Читать книгу Études sur les animaux domestiques - Guy de Charnacé - Страница 8
III
ОглавлениеLe mot sélection, dans le sens propre du mot, veut dire simplement: choix entre divers objets. Quelques zootechniciens ont adopté ce terme pour caractériser un système d’amélioration qui consiste à fixer dans une race, par l’accouplement de sujets d’élite de cette même race, les caractères qui la distinguent. Cette opération, les Anglais l’ont désignée par ces mots: in and in. Ici se placerait naturellement la question de la consanguinité ; mais la discussion nous entraînerait trop loin, et nous la réservons pour l’étude qui va suivre.
Tout système d’amélioration, quelque nom qu’il prenne, est basé sur la loi de l’hérédité, c’est-à-dire la perpétuation, dans les descendants, des formes et des aptitudes des reproducteurs. On comprend dès lors avec quelle puissance agit l’hérédité, lorsqu’elle trouve son application dans deux individus chez lesquels les caractères de la race sont également répartis. Aussi n’y a-t-il aucune raison pour qu’un produit de la sélection faite dans la race échappe à la loi naturelle de l’hérédité ; et, si le cas se présente, ce n’est qu’un fait isolé, exceptionnel. Donc l’action du régime étant reconnue insuffisante, et surtout trop lente, attendre du hasard l’amélioration d’une race serait une chose insensée, lorsque vous avez à côté de vous des races produites par une sélection heureuse et dotées de qualités précieuses et faciles à imprimer sur une autre souche. Car, comme le dit M. Flourens: «Pour obtenir par la nourriture ce que l’homme peut obtenir par le croisement, il faut une longue série de siècles.» En conséquence, nous disons: sélection dans la race elle-même, toutes les fois qu’il s’agira d’une race répondant aux besoins des consommateurs; croisement, au contraire, lorsqu’il y aura nécessité de donner à une race les qualités qui lui manquent.
On comprend quelle est, pour nous qui préconisons le croisement comme moyen de transformation, l’importance de cette question: Quelle est l’influence de chacun des deux producteurs dans l’acte de la génération? A ce sujet, plusieurs opinions ont été émises. M. de la Tréhonnais, dans le remarquable et très-intéressant travail qu’il a publié sur ces matières dans la Revue agricole de l’Angleterre, dit: «Au moyen d’une observation attentive des phénomènes de la reproduction, on est parvenu à noter certains faits qui ont servi à déterminer, d’une manière générale et constante, la part de chacun des reproducteurs. Ainsi, on a pu établir les trois principes suivantes. 1° Le mâle donne au produit la série d’organes que comprend le système locomoteur, tels que la charpente osseuse et son enveloppe musculaire, les ligaments, les tendons, en un mot, la forme extérieure et tous les points extérieurs qui caractérisent l’espèce et la race, et servent à classer le produit. La femelle donne au jeune animal la série d’organes nutritifs: le cœur, l’estomac, les poumons, et, en général, tous les viscères et toutes les surfaces de sécrétion muqueuse. C’est elle qui détermine l’ampleur de la cavité pectorale par le volume des viscères que cette cavité contient. C’est encore elle qui fournit l’appareil lactifère et le système lympathique. 2° La femelle reçoit du mâle par l’accouplement une certaine influence, qui se manifeste non-seulement sur les produits immédiats de cet accouplement, mais encore sur les produits subséquents, quand bien même ceux-ci seraient issus de mâles différents. Cette dernière observation est entièrement d’accord avec les expériences faites dans les derniers temps par les éleveurs. Déjà en Angleterre, on les avait tentées. C’est ainsi qu’on avait fait couvrir une jument de pur sang par un zèbre et qu’à la troisième génération e quoique la jument ait été depuis son alliance avec le zèbre, couvert par un étalon de sa race, les poulains conservaient encore des traces du premier accouplement. Il est inutile d’ajouter que le produit du zèbre et de la jument ressemblait parfaitement à son père dont il avait le pelage. 3° Lorsque le mâle et la femelle appartiennent à des races très-disparates et éloignées, ou bien lorsqu’ils sont d’espèces différentes, quoique présentant des analogies de formes et d’aptitudes, comme le cheval et l’ânesse, le chien et la louve, etc., le produit est toujours métis, c’est-à-dire qu’il présente les deux types reproducteurs. Mais si les animaux reproducteurs, tout en étant de la même espèce, sont de races différentes, voici ce qui arrive: si les deux races ont leurs points distinctifs aussi fortement typifiés et aussi persistants chez l’un que chez l’autre, les produits, s’il y en a plusieurs, sont ou tout l’un ou tout l’autre: les uns ressemblant en tous points au mâle, les autres à la femelle. Si, au contraire, l’un des deux reproducteurs, soit le mâle, soit la femelle, a plus de persistance, plus de fixité dans les points qui le caractérisent, c’est lui qui transmet au produit la forme extérieure, la couleur et tout ce qui peut établir son exacte ressemblance avec le reproducteur. Même quand cette influence vient du côté maternel, la fixité, par l’ancienneté ou par d’autres causes, des qualités ou des défauts distinctifs, exerce toujours une prépondérance marquée. C’est à cette influence, qu’il a érigée en loi, que Baudement donne le nom d’atavisme.»
M. Sanson repousse ces différentes opinions comme de «pures conceptions de l’esprit.» «Il est certain, dit-il, que l’influence des deux procréateurs, pris individuellement, est au moins égale, et que, s’il y a prépondérance, elle est en faveur de la mère.» Cette théorie fait comprendre pourquoi M. Sanson combat la doctrine du croisement; mais on appréciera aussi, en réfléchissant à l’étendue de l’action du mâle, qui s’exerce autant de fois que le mâle féconde de femelles, combien il importe pour nous de réfuter les assertions de l’écrivain du Livre de la Ferme. Les exemples cités par M, de la Tréhonnais, dont l’un avait été déjà invoqué par Buffon, nous semblent fournir la meilleure des réponses aux négations de M. Sanson. «Prenons, dit M. de la Tréhonnais, comme le fait le plus vulgaire, le produit hybride des races asine et chevaline: le mulet. Le mulet peut être le produit soit d’un cheval et d’une ânesse, soit d’un âne et d’une jument. Dans les deux cas, ce sont toujours les mêmes éléments, les mêmes influences qui concourent à la reproduction du mulet; eh bien, malgré cette similitude, les résultats diffèrent, et, de plus, la différence est constamment la même. Les deux hybrides sont tellement disparates que, dans certains pays, on leur donne des noms différents. Le mulet produit d’un âne et d’une jument est en tout point un âne quelque peu modifié. Les oreilles sont celles de l’âne, bien qu’un peu plus courtes; la crinière est droite et hérissée, la queue mince et dénuée de poils à sa naissance; même peau, même couleur, jusqu’à cette croix noire qui s’étend le long de l’épine dorsale et dont les bras se couchent sur les épaules; les jambes grêles, les hauts sabots étroits; en un mot, toutes les marques distinctives de l’âne sont manifestes et reconnaissables au premier coup d’œil. Mais ce en quoi il diffère de l’âne, son père, c’est l’ampleur du corps et surtout de la poitrine, et la forme cylindrique du tronc, qu’il tient de sa mère la jument. L’autre mulet, au contraire, produit de l’étalon cheval et de l’ânesse, est essentiellement un cheval quelque peu modifié. Les oreilles sont celles du cheval, seulement un peu plus longues; la crinière tombe sur le cou, la queue est fournie de crins depuis l’attache. Comme celle du cheval, la peau est fine et se détache bien au toucher, et la couleur du pelage varie comme celle du cheval; les jambes sont fortes, le sabot aplati et large; en un mot, c’est un animal appartenant ostensiblement à la race chevaline; seulementle tronc est aplati sur les côtes, et la poitrine est étroite comme chez l’ânesse, sa mère... On peut également observer que, lorsque le mulet fils du cheval et de l’ânesse donne de la voix, il hennit comme son père quand c’est l’âne qui est le père, au contraire, il brait...» M. de la Tréhonnais fait encore observer que le croisement du bélier d’Ancône, dont les jambes sont torses, avec les brebis ordinaires, produit un hybride qui ressemble identiquement au père; que le croisement du bouc avec la brebis produit aussi un hybride ressemblant extérieurement au bouc; et que les produits du croisement d’un loup avec une chienne ont une ressemblance frappante avec le loup, tandis que ceux provenant de l’accouplement d’un chien avec une louve ressemblent fortement au chien. Le docteur Wilson raconte qu’ayant croisé un chat ordinaire avec une femelle manx, race féline qui n’a point de queue, tous les petits vinrent au monde avec des queues. Il fit alors l’opération contraire, c’est-à-dire qu’il croisa le chat manx avec une femelle ordinaire, et il arriva que les petits chats naquirent presque tous sans queue. Ces exemples, auxquels on pourrait en ajouter beaucoup d’autres, parlent, ce nous semble, bien haut en faveur de la prépondérance du mâle dans l’acte de la génération, surtout en ce qui concerne la structure extérieure et l’appareil musculaire.
M. Sanson, à l’appui de ses opinions, fait appel à la pratique des Arabes, qui d’après lui, accorderaient à la femelle une grande supériorité. Nous ne savons pas où notre contradicteur a puisé ses renseignements; mais voici ce que nous trouvons dans un des ouvrages du général Daumas, dont personne ne contestera la compétence, et à qui nous devons tant de documents précieux sur les différentes pratiques de l’éleveur arabe.» Il n’est pas rare, lit-on dans les Chevaux du Sahara, d’entendre les Arabes dire: «Choisissez l’étalon, et choisissez encore; car
«les produits ressemblent toujours plus à leurs pères
«qu’à leurs mères. Souvenez-vous que la jument
«n’est qu’un sac: vous en retirez de l’or si vous y
«avez mis de l’or, et vous n’en retirerez que du cui-
«vre, si vous n’y avez mis que du cuivre.» Voici, en outre, ce que l’émir Abd-el-Kader écrivait, à ce sujet, à M. le général Daumas: «La noblesse du père est la plus importante. Les Arabes préfèrent beaucoup le produit d’un cheval de sang et d’une jument commune au produit d’une jument de sang et d’un cheval commun. Ils considèrent la mère comme presque étrangère aux qualités du produit; c’est, disent-ils, un vase qui reçoit un dépôt et qui le rend sans en changer la nature.» Voilà donc, contrairement à ce que pense M. Sanson, une croyance parfaitement établie chez un peuple essentiellement observateur et chez lequel toute science est le résultat de l’expérience, croyance qui prend à nos yeux une grande valeur, puisqu’elle est partagée par l’ex-prisonnier d’Amboise, dont les connaissances sont justement appréciées.
L’exemple du mulet rentre, au dire de M. Sanson, «dans les faits anormaux.» Puis il ajoute: «Donc, égalité pour la transmission des formes et prépondérance quant à la constitution, cela met au compte de la femelle une supériorité dans l’acte générateur qui n’est pas douteuse.» Cette conclusion, basée seulement sur les théories personnelles de l’auteur, est, comme on vient de le voir, détruite par les faits et en désaccord avec l’opinion générale. Voici ce que dit, à ce sujet, Girou de Buzareingues: «Plusieurs naturalistes ont reconnu les influences générales du père sur la vie extérieure et de la mère sur la vie intérieure des produits. En parlant des mulets, Vicq-d’Azyr dit: «Il semble que l’extérieur et les extrémités
«soient modifiés par le père, et que les entrailles
«soient une émanation de la mère.» Suivent de nombreux exemples à l’appui: «Les propriétaires de vaches, continue Girou, ont remarqué qu’il était encore plus important au perfectionnement d’une vacherie de faire un bon choix de taureaux que de génisses, attendu que la propriété de donner beaucoup de lait se transmet plus sûrement parle mâle que par la femelle: or, ce fait, que je considère comme très-constant, parce que je l’ai observé très-souvent dans mon étable, n’annonce-t-il pas que le mâle a souvent une grande influence sur l’organisation sexuelle des produits féminins?.... De ces observations, on peut déduire les propositions suivantes: Il n’y a rien dans l’animal qui ne puisse être transmis par la génération. Les deux sexes sont représentés, dans chacun de leurs produits, dans des rapports différents et variables. Le père y prédomine par la vie extérieure et la mère par la vie de végétation cellulaire, et cette prédominance est d’autant plus sensible que la famille, la race, ou l’espèce du père diffèrent davantage de la famille, de la race ou de l’espèce de la mère. Il y a presque équilibre dans la distribution de l’organisation intérieure. Cependant, même encore sur ce point, il y a une légère prédominance du père.» Puis plus loin: «Dans l’appareillement des animaux, on ne doit pas s’occuper exclusivement des individus, on doit encore faire attention à leur race, et spécialement à celle de la femelle pour la taille, la fécondité, les formes du tronc et du bassin, pour tout ce qui tient, en un mot, à la vie intérieure ou en reçoit les influences; à celle du mâle, pour la force musculaire, les dimensions de la poitrine et la forme de la tête et des membres; à l’un et à l’autre pour le tempérament... Lorsqu’on doit suivre constamment l’amélioration par les mâles, il est bon que la première femelle employée soit issue d’une longue suite de mélanges.» On sait que c’est en se basant sur ce principe que Malingié a formé la race ovine de la Charmoise. Dans un autre endroit, Girou dit: «Je reconnais, avec Aristote, l’influence spéciale du mâle sur les formes extérieures des produits.» M. Gayot est arrivé aux mêmes conclusions dans son grand et très-instructif ouvrage intitulé : La France chevaline; et comme elles sont confirmées par nos propres observations, nous maintenons jusqu’à preuve du contraire la prédominance du mâle dans l’acte de la génération.