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III

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Glady était monté si vivement en voiture, que Saniel restait sur le trottoir, interloqué; ce fut seulement quand la portière se referma qu'il comprit:

—Sa conscience! murmura-t-il; les voilà donc! Tartufes!

Après un moment d'hésitation, il continua son chemin et prit le pont des Saints-Pères; mais il marchait à pas hésitants, en homme qui ne sait où il va. Bientôt il s'arrêta et, appuyant ses deux bras sur le parapet, il regarda la Seine couler rapide, sombre, avec de petites vagues qui se frangeaient d'écume blanche à la circonférence des remous. La pluie ne tombait plus, mais le vent soufflait toujours en rafales, soulevant la rivière et balançant dans l'obscurité les feux rouges et verts des bateaux-omnibus. Des passants allaient et venaient, et plus d'un l'examinait du coin de l'oeil, se demandant ce que faisait là ce grand corps et s'il n'allait pas se jeter à l'eau.

Et pourquoi pas? Quoi de mieux à faire?

C'était, en effet, ce que Saniel se disait en regardant l'eau couler: un plongeon, et il en finissait avec la lutte écrasante engagée follement depuis quatre ans et qui, à la fin, affolait son esprit.

Ce n'était pas la première fois que cette idée d'en finir le tentait, et il ne l'avait écartée qu'en inventant sans cesse de nouvelles combinaisons qui, semblait-il au moment même où elles lui venaient à l'esprit, pouvaient le sauver. Pourquoi s'abandonner avant d'avoir tout essayé, tout épuisé? Voilà comment il en était arrivé à Glady. Il le connaissait cependant et savait que sa réputation d'avarice, dont tout le monde plaisantait, reposait sur des faits certains; mais il s'était dit que, si le propriétaire refusait obstinément tout prêt amical, qui ne devait servir qu'à payer des dettes de jeunesse, le poète pouvait très bien vouloir remplir le rôle de la Providence et sauver du naufrage, sans rien risquer, un homme d'avenir qui, plus tard, lui rendrait ce service reçu. Et c'était dans ces conditions qu'il avait risqué sa demande. Le propriétaire avait répondu; le poète s'était tu. Maintenant, rien à attendre de personne. Celui-là était le dernier.

En expliquant sa situation à Glady, il en avait plutôt atténué la misère qu'il ne l'avait exagérée. Ce n'était pas seulement à son tapissier qu'il devait, c'était aussi à son tailleur, à son bottier, au charbonnier, à son concierge, à tous ceux avec qui il était en relations. En réalité, ses créanciers ne l'avaient pas trop harcelé jusqu'à ce jour, parce qu'ils comptaient être payés, mais il n'en allait plus être de même quand ils le verraient poursuivi: eux aussi mettraient les huissiers en marche; alors comment se défendrait-il? Comment vivrait-il? Il n'aurait d'autre ressource que de retourner à l'hôtel du Sénat, où ils ne le laisseraient pas tranquille, ou bien de s'en aller dans son pays natal se faire médecin de campagne. Dans l'un comme dans l'autre cas c'était le renoncement à toutes ses ambitions. Mieux ne valait-il pas la mort?

A quoi était bonne la vie si elle ne lui donnait rien de ce qu'il avait rêvé et de ce qu'il voulait?

Comme beaucoup de ceux qui sont en contact habituel avec la mort, la vie était en soi peu de chose pour lui, la sienne aussi bien que celle des autres. Avec Hamlet il disait: «Mourir... dormir, rien de plus», mais sans ajouter: «Mourir... dormir, rêver peut-être», bien certain que les morts ne rêvait pas; et qu'y a-t-il de meilleur que de dormir pour ceux dont la route a été dure?

Il restait ainsi absorbé dans sa pensée, lorsqu'un corps, s'interposant entre lui et le bec de gaz vacillant, projeta une ombre sur sa tête qui machinalement le fit se redresser. Qui était là? Simplement un sergent de ville qui était venu s'adosser au parapet sur lequel lui-même s'appuyait, il comprit: assurément son attitude était celle d'un homme qui va se jeter à la rivière et le sergent de ville se postait là pour l'en empêcher.

—Merci! dit-il au sergent de ville ébahi.

Et il reprit sa route, marchant vite, mais entendant distinctement l'homme de police qui lui emboîtait le pas, le prenant pour un fou qu'il faut surveiller.

Quand il quitta le pont des Saints-Pères pour la place du Carrousel, cette surveillance cessa, et il put revenir à ses réflexions librement, au moins aussi librement que le permettaient son trouble et son découragement:

—Ce sont les faibles qui se tuent; les forts luttent jusqu'à leur dernier souffle.

Et, si bas qu'il fût, il n'en était pas encore à ce dernier souffle.

Lorsqu'il s'était décidé à s'adresser à Glady, il avait hésité entre celui-ci et un usurier appelé Caffié qu'il ne connaissait pas personnellement, mais dont il avait souvent entendu parler comme d'un vrai coquin s'occupant de toute sorte d'affaires, des mauvaises de préférence aux bonnes, de successions, de mariages, d'interdictions, de chantages; et, s'il n'avait-point été à lui, c'était autant par crainte d'être refusé que par peur de se mettre dans de pareilles mains, au cas où elles voudraient bien l'accepter. Mais ces scrupules et ces craintes n'étaient plus de saison: puisque Glady lui manquait, coûte que coûte et quoi qu'il pût en advenir, il fallait bien se retourner du côté du coquin.

Il savait que Caffié demeurait rue Sainte-Anne, mais il ignorait son numéro: il n'eût qu'à entrer chez un de ses clients, marchand de vin, rue Thérèse, pour le trouver en consultant le Bottin. C'était à deux pas; et tout de suite il décida de risquer l'aventure; l'affaire pressait. Découragé par toutes les démarches qu'il avait essayées jusqu'à ce jour, rebuté par les espoirs trahis, irrité par les rebuffades reçues, il ne s'abusait pas sur les chances de cette dernière tentative, mais enfin il devait la faire, si peu solides que fussent ces chances.

C'était une vieille maison de la butte des Moulins qu'habitait Caffié et qui, autrefois, avait dû être un hôtel particulier: elle se composait de deux corps de bâtiment, l'un sur la rue, l'autre sur une cour intérieure. Une porte cochère donnait accès dans cette cour, et sous sa voûte, après un escalier, se trouvait la loge du concierge. Ce fut vainement que Saniel frappa à cette porte: fermée à clef, elle ne s'ouvrit point; il dut attendre quelques instants et, dans son impatience nerveuse, il se mit à marcher en long et en large dans la cour. Enfin, une vieille femme cassée et voûtée parut, un rat-de-cave à la main, et s'excusa: seule, elle ne pouvait pas être partout en même temps, à garder sa loge et à allumer dans l'escalier de la propriétaire. C'était au premier étage que demeurait Caffié, dans le corps de bâtiment sur la rue.

Saniel monta au premier et sonna; un temps assez long, ou tout au moins qui parut très long à son inquiétude, s'écoula avant qu'on lui répondît; à la fin, il entendit un pas lent et traînant sur le carreau, et la porte s'entr'ouvrit, mais retenue par la main et par le pied:

—Qui demandez-vous?

—M. Caffié.

—C'est moi. Qui êtes-vous?

—Le docteur Saniel.

—Je n'ai pas appelé de médecin.

—Ce n'est pas comme médecin que je me présente, c'est comme client.

—Ce n'est pas l'heure de me consulter.

—Puisque vous êtes chez vous.

—Au fait!

Et Caffié, se décidant à ouvrir la porte, livra passage à Saniel, puis il la referma.

—Entrez dans mon cabinet.

Ils étaient dans une toute petite pièce encombrée de dossiers, qui n'avait pour tout mobilier qu'un vieux bureau et trois chaises; elle communiquait directement avec le cabinet de l'homme d'affaires, plus grand, mais meublé avec la même simplicité et tout encombré de paperasses, qui dégageaient une odeur de moisissure.

—Mon clerc est malade en ce moment, dit Caffié, et quand je suis seul je n'aime pas à ouvrir.

Cette excuse donnée, il montra une chaise à Saniel et, s'asseyant lui-même devant son bureau, éclairé par une lampe dont il avait enlevé l'abat-jour, il dit:

—Docteur, je vous écoute.

Il remit l'abat-jour sur la lampe.

Saniel exposa sa demande, non avec tous les développements dans lesquels il était entré pour Glady, mais succinctement: il devait trois mille francs au tapissier qui lui avait fourni son mobilier et, comme il ne pouvait payer en ce moment, il était sous le coup de poursuites imminentes.

—Quel est ce tapissier? demanda Caffié en tenant sa joue gauche dans sa main droite.

—Jardine, boulevard Haussmann.

—Connu. C'est son industrie de reprendre ainsi les meubles qu'il a vendus quand ils sont aux trois quarts payés, et elle l'a enrichi. Quelle somme lui avez-vous déjà versée sur ce mobilier de dix mille francs?

—Avec les acomptes et les intérêts, près de douze mille.

—Et vous en redevez trois mille?

—Oui.

—C'est gentil.

Caffié parut plein d'admiration pour cette façon de procéder.

—Quelles garanties avez-vous à offrir pour cet emprunt de trois mille francs?

—Pas d'autres que ma position présente, je l'avoue, et surtout mon avenir.

Sur un signe de Caffié, il expliqua quel était cet avenir, tandis que l'homme d'affaires, sa joue dans sa main, écoutait en poussant, de temps en temps, un soupir étouffé, une sorte de plainte.

—Hum! hum! dit Caffié quand Saniel fut arrivé au bout de son explication; vous savez, mon cher monsieur, vous savez:

Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fiera: Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.

Vous en êtes à dimanche, mon cher monsieur.

—Mais je ne suis ni au bout de ma vie, ni au bout de mon énergie, et je vous assure que cette énergie me rend capable de beaucoup de choses.

—Je n'en doute pas; je sais ce que peut l'énergie: dites à un Grec crevant de faim de monter au ciel, il y va:

Greculus esuriens in caelum, jusseris, ibit.

Mais je ne vois pas que vous soyez parti pour le ciel.

Caffié eut un mauvais sourire accompagné d'une grimace: avant d'être l'usurier de la rue Sainte-Anne dont tout le monde parlait comme d'un coquin, il avait été avoué en province, juge suppléant, et si des malheurs immérités l'avaient obligé à se démettre, pour venir cacher ses désagréments à Paris, il ne perdait jamais l'occasion de montrer qu'il était, par l'éducation, au-dessus de sa situation présente trouvant dans ce nouveau client un érudit, il était bien aise de placer quelques citations qui devaient lui valoir de la considération.

—C'est peut-être parce que je ne suis pas Grec, répondit Saniel; mais je suis Auvergnat, et les gens de mon pays ont les reins solides.

Caffié secoua la tête:

—Mon cher monsieur, je dois vous dire franchement que je ne crois pas l'affaire possible: je la ferais bien moi-même, parce que, par l'intelligence que je lis sur votre physionomie, la résolution qui se montre dans toute votre personne, vous m'inspirez confiance; mais je n'ai pas de fonds à mettre dans ces sortes d'opérations; je ne puis être, comme toujours, qu'un intermédiaire, c'est-à-dire proposer cet emprunt à un de mes clients, et je ne vois pas qui se contentera de garanties ne reposant que sur un avenir plus ou moins problématique; il y a tant de médecins à Paris qui sont dans votre position!

Saniel se leva.

—Vous partez! s'écria Caffié.

—Mais....

—Asseyez-vous donc, mon cher monsieur. Il ne faut pas ainsi jeter le manche après la cognée. Vous m'adressez une proposition, je vous montre les difficultés qu'elle rencontrera selon moi, mais je ne dis pas qu'il n'y a pas un moyen de vous tirer d'embarras; c'est à chercher. Il n'y a que quelques minutes que je vous connais, mais il ne faut pas longtemps pour apprécier les gens comme vous, et franchement vous m'inspirez un très vif intérêt.

Où voulait-il en venir? Saniel n'était pas un naïf qui se laisse prendre au premier mot, et il n'était pas davantage un fat qui accepte bouche béante les compliments qu'on lui adresse. Pourquoi inspirait-il ainsi un intérêt subit à ce coquin, qui avait la réputation de pousser la dureté des hommes d'affaires jusqu'à la férocité. C'était à voir. En attendant il devait se tenir sur ses gardes.

—Je suis très touché de votre sympathie, dit-il.

—Je veux vous prouver qu'elle est réelle et qu'elle peut devenir efficace. Vous venez à moi parce que vous avez besoin de trois mille francs. Que je vous les trouve—et je vous promets de les chercher, bien que cela me paraît difficile, très difficile—ils assureront votre repos présent; mais assureront-ils votre avenir, c'est-à-dire vous permettront-ils de continuer les travaux importants dont vous venez de me parler et sur lesquels votre ambition compte? Non. Les luttes dans lesquelles vous vous débattez et vous usez, recommenceront bientôt. Et c'est de ces luttes que vous devez vous débarrasser pour vous assurer la liberté de travail qui vous est indispensable si vous voulez marcher droit et vite. Pour cela, je ne vois qu'un moyen:—vous marier.


Conscience

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