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IV

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Table des matières

Saniel, qui était sur ses gardes et s'attendait à quelque rouerie de la part de l'agent d'affaires, n'avait pas du tout prévu que ces témoignages d'intérêt aboutiraient à une proposition de mariage; une exclamation de surprise lui échappa. Mais elle se perdit dans le tintement de la sonnette.

Caffié se leva:

—Quel ennui de n'avoir pas de clerc! dit-il.

Il mit à aller ouvrir la porte un empressement qu'il n'avait pas eu pour Saniel, et qui prouvait que, n'étant pas seul, il n'avait plus les mêmes craintes d'introduire quelqu'un chez lui.

Ce fut un garçon de banque qui entra.

—Vous permettez, dit Caffié, revenant dans son cabinet et s'adressant à Saniel; c'est l'affaire d'un instant.

Sous la lampe, le garçon de banque cherchait dans son portefeuille; il en tira une traite qu'il présenta à Caffié.

—Les fonds sont faits, dit celui-ci.

—Avec vous, monsieur Caffié, les fonds sont toujours faits.

Caffié avait tiré de la poche de son gilet une clef avec laquelle il avait ouvert la caisse en fer placée derrière son bureau, et tournant le dos à Saniel ainsi qu'au garçon de banque, il comptait des billets dont ils entendaient le flat-flat. Il se redressa bientôt et, repoussant la porte de sa caisse, il posa sous la lampe les liasses qu'il venait de compter. A son tour, le garçon les compta, et, les ayant placées dans son portefeuille, il salua.

—Tirez la porte en sortant, dit Caffié qui avait déjà repris son fauteuil.

—N'ayez crainte.

Le garçon de banque parti, Caffié s'excusa pour cette interruption.

—Reprenons notre entretien si vous le voulez bien, mon cher monsieur. Je vous disais donc qu'il n'y avait pour vous qu'un moyen d'être tiré à jamais de vos embarras, et que ce moyen vous le trouveriez dans un bon mariage qui mettrait hic et nunc une somme raisonnable à votre disposition.

—Mais ce serait folie à moi de me marier en ce moment, quand je n'ai pas de position à offrir à ma femme.

—Et votre avenir, dont vous parliez tout à l'heure avec tant d'assurance, n'y avez-vous pas foi?

—Une foi absolue, aussi ferme aujourd'hui que quand je suis entré dans la lutte, mais plus éclairée. Cependant, comme les autres n'ont pas les mêmes raisons que moi pour espérer et croire ce que j'espère et crois, je trouve tout naturel qu'on doute de cet avenir: ce que vous avez fait vous-même, à l'instant, en ne le trouvant pas bon pour garantir un simple prêt de trois mille francs.

—Prêt et mariage ne sont pas même chose: un prêt ne vous tire d'embarras que momentanément, en vous laissant bien des chances pour que vous soyez obligé d'en contracter successivement plusieurs autres: ce qui, vous en conviendrez, atténue singulièrement les garanties que vous pouvez offrir; tandis qu'un mariage vous ouvre tout de suite la route que votre rêve ambitieux s'est promis de parcourir.

—Je n'ai jamais pensé au mariage.

—Si vous y pensiez?

—Pour cela il faudrait tout d'abord une femme.

—Si je vous en proposais une, que diriez-vous?

—Mais....

—Vous êtes surpris, n'est-ce pas?

—Je l'avoue.

—Mon cher monsieur, je suis l'ami de mes clients et pour plusieurs,—j'ose le dire,—un père. C'est ainsi qu'ayant beaucoup d'affection pour une jeune dame—et la fille d'une de mes amies, j'ai pensé, en vous voyant et en vous écoutant, que l'une ou l'autre pourrait être la femme qu'il vous faut; toutes deux ont de la fortune; elles sont intelligentes et elles possèdent des avantages physiques qu'un homme, un bel homme comme vous, est en droit d'exiger. Au reste, j'ai précisément leurs photographies, et vous pouvez voir vous-mêmes ce qu'elles sont.

Il ouvrit un tiroir de son bureau et en tira un paquet de photographies dans lesquelles il se mit à chercher. Saniel, qui le suivait des yeux, remarqua que toutes ces photographies étaient des portraits de femmes; enfin il fit son choix et présenta deux cartes à Saniel.

L'une représentait une femme de trente-huit à quarante ans, de forte corpulence, d'apparence robuste, toute couverte d'une quincaillerie d'horribles bijoux dont elle s'était parée pour se faire portraiturer; l'autre, une jeune personne d'une vingtaine d'années, assez jolie, habillée simplement, élégamment, et dont la physionomie distinguée et discrète contrastait avec celle du premier portrait.

Pendant que Saniel regardait ces portraits, Caffié l'examinait, cherchant à deviner l'effet que produisaient ses deux sujets.

—Maintenant que vous les avez vues, dit-il, parlons-en un peu. Si vous me connaissiez mieux, mon cher monsieur, vous sauriez que je suis la franchise même et qu'en affaires j'ai pour principe de tout dire: le bon et le mauvais, de façon que mes clients aient seuls la responsabilité de la décision qu'ils prennent. En réalité il n'y a rien de mauvais sur ces deux personnes, car s'il y en avait, je ne vous les proposerais pas; mais enfin il y a des cotés que ma délicatesse m'oblige à vous signaler, ce que je fais sans inquiétude, bien certain qu'un homme comme vous n'est pas l'esclave d'étroits préjugés.

Il fit une grimace douloureuse et, de nouveau, se prit la mâchoire à deux mains.

—Vous souffrez? demanda Saniel.

—Oui, des dents, cruellement, pardonnez-moi de le laisser paraître; je sais par moi-même que rien n'est plus agaçant que le spectacle de la douleur d'autrui.

—Pas pour les médecins, en tout cas.

—Enfin, laissons cela et revenons à mes clientes. Celle-ci,—il présenta le portrait de la femme aux bijoux,—est, comme vous l'avez deviné, une veuve, une très aimable veuve. Peut-être a-t-elle quelques années de plus que vous, mais ce n'est pas là, me semble-t-il, un grief sérieux que vous puissiez soulever, votre expérience de la vie vous ayant assurément appris que l'homme qui veut être aimé, tendrement aimé, choyé, caressé, gâté, doit prendre une femme plus âgée que lui, qui le traitera en mari et en fils. Son premier mari était un commerçant habile qui, s'il eût vécu, eût fait une belle fortune dans la boucherie,—cela fut mâché plutôt que nettement prononcé,—mais qui, bien que mort au moment où ses affaires se développaient, a laissé vingt belles mille livres de rente à sa femme. Comme je dis le bon, je dois dire aussi le regrettable. Entraîné par les fréquentations que nécessitait son commerce, cet homme très intelligent avait pris des habitudes d'intempérance fâcheuses que, du dehors, il avait apportées dans son intérieur et qu'il avait en quelque sorte imposées à sa femme. J'ai tout lieu de croire qu'elle s'en est corrigée; mais, s'il en était autrement, vous pourriez facilement, vous médecin, l'en guérir....

—Vous croyez?

—Sans doute. Cependant, comme le contraire est possible, vous n'auriez alors qu'à l'abandonner à son vice qui l'emporterait dans un assez bref délai, et, comme le contrat serait réglé par moi en vue de cette éventualité, vous vous trouveriez investi de la fortune et débarrassé de la femme.

—Si nous passions à l'autre? dit Saniel, qui avait écouté sans interrompre ce curieux exposé de situation que Caffié faisait avec la plus parfaite bonhomie; si graves que fussent les circonstances, il ne pouvait pas ne pas s'amuser de cette diplomatie cousue de fil blanc.

—J'attendais votre demande, répondit l'homme d'affaires avec un sourire grimaçant, et, si je vous ai parlé de cette aimable veuve, c'est plutôt par acquit de conscience que dans l'espoir de réussir: quelque dégagé de préjugés qu'on soit, on en garde toujours quelques-uns. Je comprends les vôtres, et je dirai plus, je les partage. Heureusement celle dont j'ai à vous entretenir maintenant ne donne pas prise à des griefs de ce genre. Prenez sa photographie, mon cher monsieur, et regardez-la pendant que je parle. Physionomie charmante, n'est-il pas vrai? Éducation supérieure, faite dans un couvent à la mode. En un mot, une perle dont vous vous parerez. Maintenant, je vais aller à la paille, car il y en a une. Qui n'en a pas? Fille de comédienne, d'une de nos plus gracieuses comédiennes de genre. A sa sortie du couvent, la jeune fille a vécu chez sa mère. C'est là, dans ce milieu... hem! hem! je dirai capiteux, si vous voulez bien... qu'il lui est arrivé un accident. Bref, un enfant, un délicieux petit garçon, que le père aurait sûrement reconnu, tant il estimait la mère, si lui-même n'avait été marié. Au moins a-t-il assuré son sort par une donation de 200,000 francs, de sorte que celui qui épousera la mère et légitimera l'enfant par mariage subséquent aura la jouissance légale de ces deux cent-mille francs jusqu'à la majorité du gamin... si celui-ci y arrive: ces petits êtres sont si fragiles! vous, médecin, vous le savez mieux que personne. Dans le cas d'un malheur, le père hériterait de son fils pour moitié; et, s'il est cruel pour un vrai père d'hériter de son vrai fils, la situation change du tout au tout quand c'est d'un étranger qu'on reçoit une fortune. Voilà l'affaire, mon cher monsieur, nette et franche, et je ne vous fais pas l'injure de supposer que vous n'en voyez pas les avantages sans qu'il soit besoin d'insister. Si je ne me suis pas plus clairement expliqué....

—Mais rien n'est plus clair.

—....La faute en est à cette fluxion qui me paralyse.

Il se prit la mâchoire en geignant.

—Vous avez une dent qui vous fait souffrir? demanda Saniel sur le ton d'un médecin qui interroge un malade.

—Toutes les dents me font souffrir. A vrai dire, elles m'abandonnent.

—Vous avez consulté un médecin?

—Ni médecin, ni dentiste. Certainement je crois à la médecine; mais; quand je me suis adressé à des médecins, ce qui ne m'est arrivé que rarement, j'ai remarqué qu'ils pensaient à leurs propres affaires beaucoup plus qu'à ce que je leur disais, et cela m'a éloigné d'eux; moi, mon cher monsieur, quand un client me consulte, je me mets à sa place et j'entre dans sa peau.

Pendant qu'il parlait, Saniel l'examinait, ce qu'il n'avait pas fait jusqu'à ce moment, et il constatait en lui des signes d'un amaigrissement rapide tout à fait caractéristiques; il flottait dans ses vêtements, faits pour un homme moitié plus gros qu'il ne l'était maintenant; son visage était rouge et luisant comme s'il eût été recouvert d'une couche de sucre de cerise.

—Voulez-vous me montrer vos dents? demanda Saniel; il serait peut-être possible de soulager vos douleurs.

—Vous croyez....

Son examen ne fut pas long.

—Vous avez la bouche sèche bien souvent, n'est-ce pas? demanda-t-il.

—Oui.

—Votre soif est vive?

—Vraiment gênante.

—Dormez-vous bien?

—Non.

—Vous avez des troubles dans la vue?

—Oui.

—Ne vous êtes-vous pas aperçu que vous mettiez des taches poisseuses à votre linge?

—Sans doute; mais je n'y ai pas attaché d'importance.

—Mangez-vous bien?

—Je dévore; et, plus je mange, plus je maigris; je tourne au squelette.

—Je vois que vous gardez à la nuque des cicatrices de furoncles.

—Ils m'ont fait assez souffrir, les coquins; mais ils sont partis comme ils étaient venus. Dame! on n'est plus jeune à soixante et onze ans, on a ses petits ennuis; car ce ne sont que des ennuis, n'est-ce pas?

—Assurément; avec quelques précautions et un régime que je vous indiquerai, si vous le voulez bien, vous vous en débarrasserez facilement. Je vais toujours vous faire une ordonnance pour calmer vos douleurs de dents.

—Nous reparlerons du reste, car nous allons avoir occasion de nous revoir si, comme je le présume, vous appréciez les avantages de la proposition que je vous ai faite.

—Je voudrais y réfléchir,

—Rien de plus juste; d'ailleurs il n'y a pas urgence.

—Où il y a urgence, c'est avec moi; car, si je ne paye pas Jardine, je me trouve dans la rue, ce qui n'est pas une position à offrir à une femme.

—Dans la rue, dans la rue! Les choses n'iront pas aussi vite que cela. Où en sont les poursuites?

—Elles vont commencer; Jardine m'en a menacé.

—Elles vont commencer; elles ne sont pas commencées. Si, comme je le présume, il procède par une saisie-revendication, nous aurons du temps avant le jugement. Devez-vous quelque chose à votre propriétaire?

—Le terme échu le 15.

—Ne le payez pas.

—Cela est facile; il n'y a même que cela qui me soit facile.

—C'est un obstacle dans les jambes de votre Jardine et qui peut l'arrêter un moment. Nous pourrons ainsi manoeuvrer plus aisément. L'essentiel est de m'avertir aussitôt que le feu commencera. Au revoir donc, cher monsieur.


Conscience

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