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VII

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Table des matières

Madame Daliphare ne s’était décidée à faire revenir son fils à Paris qu’au moment où le médecin lui avait déclaré qu’il n’y avait plus d’espoir de sauver le malade.

Alors elle avait fait expédier une dépêche à Amsterdam pour dire à son fils d’accourir en toute hâte. Remise au télégraphe le vendredi matin, la dépêche avait dû parvenir à Amsterdam et être distribuée avant midi; Adolphe devait donc être à Paris le samedi dans la matinée. Elle avait consulté les indicateurs et elle était surprise qu’il ne fût pas encore arrivé, et plus encore qu’il ne lui eût pas répondu. Suivant la façon dont elle calculait, il aurait dû partir de Bruxelles dans la nuit, et par conséquent arriver le matin à Paris. Elle ne s’expliquait pas ce retard et s’irritait de ce silence.

Enfin Lutzius lui monta une dépêche qu’on venait d’apporter. Elle venait de Rotterdam, où elle avait été déposée le samedi matin. Curieux comme à l’ordinaire, le caissier avait grande envie de savoir ce que disait cette dépêche; après l’avoir tendue à madame Daliphare, il resta debout près d’elle, dans l’attitude d’un employé qui attend un ordre; mais de la main elle lui fit signe de la laisser seule, et ce ne fut que quand il fut sorti qu’elle se mit à lire:

«J’étais absent quand ta dépêche m’est arrivée.

» A mon retour, je n’ai eu que le temps de courir

» au chemin de fer pour prendre le train. Obligé de

» coucher à Rotterdam, c’est de là que je L’écris

» cette dépêche avant de partir pour Bruxelles où je

» compte prendre le train qui arrive à Paris à cinq

» heures cinquante minutes. Envoyer une dépêche

» à mon nom au buffet, à Douai, pour me fixer sur

» l’état de mon père. Dis-lui que je l’embrasse et

» que j’arrive. A temps, n’est-ce pas?»

Madame Daliphare regarda l’heure à sa montre et consulta l’indicateur; à la rigueur, il était peut-être encore temps d’envoyer à Douai la dépêche demandée; mais il y avait des chances cependant pour qu’elle n’arrivât qu’après le passage du train. Dans ces conditions, elle décida de ne pas répondre: à quoi bon envoyer une dépêche qui pouvait être perdue? Et puis d’ailleurs que dire dans cette réponse? La triste vérité ? Il ne la connaîtrait toujours que trop tôt.

Cette résolution prise, elle se mit à relire la dépêche qu’elle venait de recevoir. Elle était étrangement rédigée, cette dépêche. Comme tous les commerçants, Adolphe avait l’habitude du style télégraphique, et il savait dire beaucoup de choses en vingt mots. Pourquoi ces douze ou treize lignes? pourquoi ces je, ces ta, ces ce, ces au, ces de, ces que? Il était donc bien profondément ému quand il l’avait écrite, bien troublé.

Qu’eût-il éprouvé, s’il avait été question d’elle? Sans doute, c’était son père; mais enfin ce père n’avait été rien dans sa vie. Ce n’était pas lui qui l’avait élevé ; ce n’était pas lui qui, au temps de son enfance, avait rempli sa bourse de collégien; ce n’était pas lui qui plus tard avait payé sans gronder ses premières dettes, et qui lui avait donné les chevaux et les tableaux dont il avait envie. C’était elle, elle seule.

Cette pensée la ramena au sujet qui l’obsédait: il ne fallait pas que ce testament reçût son effet. N’importe comment, à quelque prix que ce fût, elle devait l’en empêcher. Ce n’était plus d’argent maintenant qu’elle avait souci. Dans le premier moment de la surprise, elle avait pu être suffoquée par ce legs de deux cent mille francs; mais, à cette heure, ces deux cent mille francs n’étaient plus rien pour elle. Plus d’une fois elle avait perdu dans les affaires deux cent mille francs sans se désespérer; elle supposerait une faillite, et voilà tout. Que pécuniairement le testament lui fût ou ne lui fût pas favorable, qu’elle eût ou n’eût pas un intérêt matériel à le consentir, peu importait maintenant: elle avait un immense intérêt moral, un intérêt de cœur et de jalousie à ce qu’il fût annulé, et il le serait. Comment? elle n’en savait rien; mais, avant l’arrivée de son fils, elle trouverait bien un moyen, dût-il lui coûter plus cher que le legs lui-même.

Et, avec plus d’ardeur que jamais, elle se rejeta dans sa méditation, presque satisfaite d’un retard qui lui permettait d’examiner à fond les difficultés que ce testament lui créait et de leur trouver une solution.

Vers quatre heures, son beau-frère Ferdinand revint pour lui rendre compte des démarches qu’il avait faites. Il la trouva dans son cabinet, ayant un code sur les genoux, et devant elle, sur son bureau, plusieurs feuilles de papier couvertes de chiffres. Elle approuva tout ce qu’il avait arrangé ; seulement, au lieu de douze voitures, elle en voulut vingt-quatre.

— C’est pour mon fils, dit-elle. Pour lui il faut frapper la mémoire de ceux qui le connaissent et même de la foule. Qui sait ce qu’il deviendra? Avec sa fortune et son intelligence, il peut aspirer à tout. C’est un homme, lui; on peut en faire un personnage.

— Si vous avez ces ambitions, croyez-vous qu’il soit politique de contester le testament de mon pauvre frère? Qui frappe mieux les mémoires que la générosité ?

— Je vous remercie de votre observation, dit-elle sèchement; là-dessus mon parti est pris. Ne traitons pas ce sujet. D’ailleurs j’ai un service à vous demander, qui ne nous en laisserait pas le temps. Adolphe va arriver par le train de Bruxelles à cinq heures cinquante. Voulez-vous aller l’attendre? S’il n’est pas prévenu à l’avance, la vue de la maison fermée pourrait lui donner un coup que je veux lui épargner. Vous prendrez une voiture, que vous garderez afin de me l’amener rapidement.

Au mot voiture, madame Daliphare remarqua un mouvement chez son beau-frère. Elle le regarda alors plus attentivement: ses chaussures étaient blanches de poussière et ses cheveux étaient mouillés de sueur. Évidemment il avait fait toutes ses courses à pied. Elle comprit.

— Vous avez dû dépenser de l’argent pour moi? dit-elle en lui tendant un billet de cinquante francs.

— Bien peu de chose.

— Veuillez prendre ce billet, nous compterons plus tard.

Pendant qu’il serrait le billet dans la poche de son gilet, elle l’examina des pieds à la tête. Il portait ce jour-là, comme tous les jours de l’année d’ailleurs, un habit trop grand pour sa maigreur, un gilet auquel manquaient deux boutons, et un pantalon déchiqueté par le bas: tout cela en drap noir, râpé par l’usage, lustré par la graisse.

— Est-ce que ce n’était pas votre frère qui s’occupait de votre toilette? dit-elle. Il me semble qu’en ces derniers temps il vous a oublié. Pour mon fils, il serait convenable que cet oubli fût réparé à la cérémonie. En son nom, je vous prie d’accepter ceci.

Tout en parlant, elle avait enveloppé deux billets de banque dans un morceau de papier et elle les avait poussés sur le coin de son bureau.

— Il est vrai que les affaires n’ont pas été brillantes en ces derniers temps, dit-il; mais je suis dans une bonne série, ça va marcher. Je pourrai vous rendre tout cela.

— A Adolphe si vous voulez; moi, je ne suis pour rien là-dedans.

Il était près de sept heures lorsqu’une voiture s’arrêta à la grande porte de la maison; madame Daliphare, qui depuis longtemps déjà se tenait devant une fenêtre ouverte, descendit rapidement en entendant le bruit de la voiture, et, au bas de l’escalier, elle reçut son fils dans ses bras.

— Ton oncle Ferdinand t’a dit...?

— Tout.

Ils montèrent; mais, au moment où il voulait entrer dans l’appartement où il savait trouver son père, elle ouvrit devant lui la porte de son logement particulier. Pendant assez longtemps ils restèrent assis en face l’un de l’autre sans parler. Elle le regardait, cherchant les changements qui s’étaient faits en lui pendant cette année d’absence: ses épaules s’étaient élargies, son teint avait bruni; ses yeux, naturellement doux, avaient pris une décision qu’ils n’avaient pas autrefois; en tout, dans ses manières plus fermes, dans son regard plus assuré, dans le port de sa tête, l’homme s’était affermi.

— Je voudrais le voir, dit-il d’une voix qui marquait la volonté.

Ils passèrent dans la chambre mortuaire, et tandis que madame Daliphare restait à la porte, il alla s’agenouiller auprès du lit sur lequel son père était étendu. Au bout de cinq minutes, voyant qu’il demeurait là, elle alla près de lui et le prenant par le bras, elle le força doucement à se relever, puis toujours le tenant, elle le ramena dans le salon.

Il se laissa tomber sur un siége et se cacha la tête entre ses mains.

— Oui, pleure-le, dit-elle, c’était ton père. J’ai passé par là. Moi aussi j’ai perdu le mien, et je l’ai pleuré. Mais moi, je restais seule; je n’avais pas une mère pour me consoler, pour m’aimer, et tu en as. une, mon enfant.

Elle vint s’appuyer sur son épaule, et, lui rabaissant les mains, elle le regarda longuement.

— Jusqu’à présent je n’ai pas été une mauvaise mère pour toi, n’est-ce pas? mais mon action n’a pu s’étendre que sur les petites choses, maintenant elle s’étendra sur les grandes. On me reconnaît une certaine intelligence dans les affaires, cette intelligence je veux la mettre à ton service. Tu ne sais pas jusqu’où peut arriver un homme qui a près de lui une femme pour l’aider dans mille circonstances où les hommes ne savent pas trouver leur chemin. Je veux parler d’une femme fidèle et dévouée, comme seule une mère peut l’être.

S’il est irritant dans l’affliction de se voir assailli par des gens qui veulent vous consoler et ne trouvent rien de mieux que de répéter les banalités qui courent le monde, «l’influence du temps, la résignation à ce qu’on ne peut empêcher, les épreuves salutaires », il est doux par contre d’entendre une voix qui vous dit: «Tu ne restes pas seul, tout ne disparaît pas. avec celui que tu regrettes, nous le pleurerons ensemble, je suis près de toi». Notre cœur s’ouvre à cette voix, comme dans une chute notre bras s’étend pour se cramponner à ce qui nous entoure; cela se fait instinctivement, machinalement.

Ce fut ce qui se produisit pour Adolphe. Pour la première fois, en rentrant à la maison après une absence, sa première pensée n’avait pas été pour sa mère, et le premier nom qui était venu sur ses lèvres avait été celui de son père, car le triste récit de son oncle emplissait encore ses oreilles.

Après tout il avait été le meilleur ami de sa jeunesse, le complaisant de ses jeux et de ses caprices, toujours disposé à subir ses tyrannies d’enfant, toujours prêt à excuser ses fautes. D’autorité, de volonté, il n’en avait jamais eu; mais quelle inépuisable bonté, quelle tendresse contenue, qui, plus d’une fois, dans leurs promenades à deux, s’étaient manifestées, en élans de caresses! Il ne le verrait plus. Il l’avait quitté plein de force, et c’était fini, sans une parole d’adieu, sans un serrement de main, sans le dernier regard.

Penchée sur l’épaule de son fils, madame Daliphare suivait en lui cette transformation. Jusqu’à ce moment il y avait eu comme un voile sur les yeux de son fils; elle vit ce voile se soulever peu à peu, et elle sentit qu’elle reprenait dans ce cœur sa place accoutumée, — la première. Elle continua:

— Ce que je te dis là en t’embrassant n’est point parole en l’air. Depuis que nous sommes séparés, j’ai beaucoup pensé à toi, à ton avenir, et depuis ce matin plus fortement encore. J’ai à te parler sérieusement.

— Demain, dans quelques jours, dit-il en voulant faire une dernière défense.

— Et pourquoi pas tout de suite? C’est de notre vie à tous deux qu’il s’agit, et les circonstances font que nous devons trancher une situation qui pouvait traîner encore longtemps indécise. Ce n’est pas être infidèle à la pensée de ton père, car nous parlerons de lui.

— Alors comme tu voudras.

— Eh bien! allons dans mon cabinet, car il me aut des pièces à l’appui de ce que j’ai à te dire.

Le mariage de Juliette

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