Читать книгу Le livre des enfants et des mères - Hippolyte Durand - Страница 15
ОглавлениеL’Anthologie; VŒUX DES MÈRES — MÉDAILLONS D’ENFANTS — UN ENFANT TERRIBLE.
Ouvrons l’Anthologie. Anthologie (choix de fleurs) est un titre bien trouvé pour ce recueil des fleurs les plus gracieuses et les plus fraîches de la poésie grecque. L’inspiration maternelle en remplit, en pénètre bien des pages. Ce sont presque toujours des mères qui parlent dans ces dédicaces, ces inscriptions, ces chants de joie ou de douleur qui remplissent une partie du recueil.
Tenez, voici une petite statue qui représente une jolie enfant encore à la mamelle. Sa mère Aristo dépose pieusement l’image sur l’autel de Diane aux pieds de la déesse, et l’enfant, ensuite la mère prononcent ces mots: «Toute petite et presque sans voix, je réponds à qui m’interroge et sans me faire prier. — 0 reine des femmes, ô brillante Latone, ta prêtresse Aristo, femme d’Hermoclite, t’a consacré cette statue. Et toi, propice et reconnaissante, fais prospérer notre famille.»
Une autre mère offre sur le même autel la statue de ses deux filles, nées le même jour: «Les deux filles de Clio, Aristodice et Ammo, toutes deux Crétoises et âgées de quatre ans, te sont offertes, auguste Diane, par leur mère, ta prêtresse. Tourne les yeux, ô Déesse, vers ces beaux enfants, et au lieu d’une seule prêtresse, acceptes-en deux.» — Longue vie et bonheur aux deux petites jumelles! est-on tenté de dire.
Un frère et sa sœur dialoguent avec le passant:
«LE PASSANT: Enfants, soyez heureux. De quel pays êtes-vous? De quel gracieux nom vous appelle-t-on, vous qui êtes si beaux? — LE FRÈRE. Je suis Nicanor. Mon père se nomme Epiorète, et ma mère Ilégéso. La Macédoine est mon pays. — LA SŒUR. Et moi je suis Phila. Il est mon frère. Sur le vœu de nos parents, nos statues ont été placées ici.»
Une fille à côté de sa mère, dans la même image, où elles se sourient l’une à l’autre: «C’est ma fille, c’est Mélinna elle-même; voyez comme son gentil visage semble avec une douce joie me reconnaître, et comme la fille est le fidèle portrait de la mère. Vraiment c’est une douce chose, lorsque les enfants sont la vivante image de leurs parents.»
Au-dessus d’un arc suspendu en ex-voto aux branches d’un chêne, un père a écrit ces lignes, bonnes à rapprocher de la légende de Guillaume Tell: «Alcon, à la vue de son enfant qu’enlaçait un serpent au venin mortel, d’une main tremblante banda son arc. Il ne manqua pas le monstre, car la flèche pénétra dans sa gueule en effleurant la tête du petit enfant. Ainsi fut tué le serpent, et le père a suspendu aux branches de ce chêne son arc, en témoignage de son bonheur et de son adresse.»
L’Anthologie ne contient pas que des vers riants et joyeux. Elle abonde en inscriptions funèbres, et parmi ces inscriptions, bon nombre figurent sur des tombeaux d’enfants. On éprouve en les lisant comme la sensation d’une promenade dans un cimetière. Seulement, au lieu des niaiseries sentimentales qui s’étalent si complaisamment sur les marbres de nos sépultures, ici le génie grec, toujours égal à lui-même, éclaire d’un rayon de poésie les regrets et les douleurs des mères.
Dans quelques inscriptions, — et ce sont les plus saisissantes — la mère prend la parole: là, éclatent de vrais cris de désespoir et de révolte contre la rigueur du destin, contre le renversement des lois de la nature. Était-ce au petit enfant de partir le premier, à la mère de blanchir seule et sans appui dans sa vieillesse?
«La vieille Nico dépose des couronnes sur la tombe de la jeune Mélite: Pluton, est-ce de la justice?»
«A quoi sert d’être mère? Ah! n’avoir jamais d’enfants plutôt que de les voir mourir! C’est sa mère qui a élevé ce tombeau au jeune Bianor, et c’est des mains de son fils que sa mère aurait dû l’obtenir.»
«Sur cette stèle, Bianor n’a pas écrit le nom de sa mère, ni celui de son père dont le trépas eût été naturel, mais le nom de sa jeune fille. Ah! comme il gémissait en conduisant non à l’hymen, mais à Pluton, une fiancée de douze ans!»
Ici au contraire, une mère, enlevée à la vie, pleure l’orphelin qu’elle laisse au berceau: «As-tu un fils? — Oui, un fils de quelques mois, qui, dans ma maison triste et toute en pleurs, attend le lait du sein maternel. — Puisse-t-il vivre heureux! — Oui, demande-le au ciel, afin que, devenu grand, il arrose ma cendre de ses larmes.»
Parfois, l’inscription relate les circonstances douloureuses qui ont accompagné la mort de l’enfant, et l’énergie de la peinture renouvelle, pour ainsi dire, la tristesse de la catastrophe: «Le petit Cléodème, encore à la mamelle, essayait ses premiers pas sur le pont du vaisseau. Un coup de vent l’a précipité dans la mer. Les flots ont englouti le petit être infortuné.»
«Archianax, enfant de trois ans, jouait près d’un puits. Invité par sa propre image, il se penche et tombe. Sa mère le retire tout ruisselant d’eau; elle cherche avec angoisse s’il lui reste un souffle de vie. 0 nymphes, l’enfant n’a pas souillé votre onde de son cadavre: sur les genoux de sa mère il s’est endormi du dernier sommeil.»
Voici un touchant symbole: des parents ont fait élever un tombeau à la nourrice de leur enfant, et c’est l’enfant lui-même qui le consacre: «Le petit Midias a élevé à sa nourrice ce tombeau sur le bord de la route, et le nom de Clita y fut inscrit. Clita aura la récompense des soins donnés à l’enfant.»
Toujours, on le voit, la piété des mères, toujours leur tendresse vigilante et présente. Sont-elles payées de retour? Ecoutez, en guise de réponse, quelques lignes d’un joli conte de Stahl. Le nom de Stahl vient sous la plume dès qu’il s’agit d’enfants, et ce conteur parisien n’est pas dépaysé parmi les Attiques. Stahl suppose donc qu’une pauvre petite hirondelle, tardivement éclose sous les frimas du Nord, gagne péniblement, sous la conduite d’une vieille Corneille, les rives bleues de la tiède Méditerranée. Elle fait halte à Lyon, sur les coteaux de Fourvière, dont elle visite l’antique basilique, lieu de pèlerinage pour les mères inquiètes. En pénétrant sous les voûtes, elle est étonnée de voir tous ces petits tableaux toujours les mêmes qui représentent un enfant dans un lit, avec une figure pâle, le papa et la maman à genoux à côté. La vieille Corneille lui explique que ces images ont été placées là par des parents désespérés qui demandent à Dieu la vie de leurs enfants. La petite hirondelle, après un moment de réflexion: «Je voudrais voir parmi ces tableaux, dit-elle, des enfants à genoux près de leur mère malade, et demandant à Dieu de ne point la leur ravir. Est-ce que chez les hommes les mères aiment mieux leurs enfants que les enfants n’aiment leurs mères? — J’espère que non», réplique sans conviction la vieille Corneille .
L’Anthologie renferme aussi de charmants badinages, de ces riens auxquels la poésie donne l’être, en les fixant avec grâce dans le cadre brillant des vers.
Le motif suivant dut amuser le sculpteur chargé de le rendre, et le poète chargé de le décrire. Il s’agit d’un bouc qui sert de monture à des. enfants. On sait que le bouc est l’émissaire de toutes les espiègleries, dans l’antiquité. «O bouc, des enfants t’ont mis des rênes de pourpre; ils ont placé un mors entre tes lèvres velues. Ils veulent, pour simuler des jeux hippiques, autour du temple de Neptune, que tu les portes sur ton dos, compagnon de leurs jeux enfantins.»
Un adolescent consacre à Mercure les jouets qui l’ont amusé : c’est signe que, chez lui, l’enfant est soucieux de faire place à l’homme sérieux. «Philoclès consacre à Mercure son ballon aux brillantes couleurs, ses crotales de buis sonore [ce sont nos castagnettes], des osselets dont il était fou, et son sabot rapide, jouets chéris de son enfance.» — On sait que, la veille de leur mariage, les jeunes filles consacraient à Diane leurs poupées et leurs jouets. On en a retrouvé aussi dans des cercueils d’enfants, soit en Grèce, soit à Rome, dans les catacombes.
Un autre célèbre sa victoire dans un concours — peut-être le concours. général entre tous les écoliers d’Athènes. — «Vainqueur dans un concours de belles-lettres, le jeune Connare a reçu quatre-vingts osselets, et en l’honneur des Muses, il a placé ici le masque comique du vieux Charès, aux applaudissements de toute l’école .»
Encore un trait se rapportant à la joyeuse vie des enfants. Il n’est pas dans l’Anthologie: Athénée nous l’a conservé. C’est une chanson printanière en l’honneur des hirondelles, messagères de la belle saison. A Rhodes, nous apprend l’auteur grec, les enfants allaient chantant de porte en porte: «Elle est arrivée, elle est arrivée, l’hirondelle amenant les belles saisons et les belles années; l’hirondelle blanche sous le ventre, noire sur le dos.» C’est ainsi que, dans notre vieille et chère Alsace, les jeunes gens vont épier le retour des cigognes et le célèbrent par de gais refrains .
Cette note aimable nous sert de transition pour passer aux Syracusaines de Théocrite.
L’idylle des Syracusaines (ce mot d’idylle pris dans le sens de petit Tableau) peut être considérée comme une scène de mœurs réelles et familières empruntée à la société bourgeoise du temps des Ptolémées. La scène ne se passe pas à Syracuse, comme semblerait l’indiquer le titre, mais à Alexandrie, en Egypte, le jour de la fête d’Adonis.
Deux dames de Syracuse, Gorgo et Praxinoé, sont venues dans la capitale de l’Egypte pour assister aux magnificences de la fête. Elles se donnent rendez-vous l’une chez l’autre. Praxinoé attendra que Gorgo vienne la prendre. Celle-ci arrive essoufflée, ahurie, tant elle a dû traverser de flots humains! que d’hommes à grandes bottes et à longues chlamydes! Et justement Praxinoé habite au bout du monde. — «Ne m’en parle pas, répond celle-ci que le grief touche au vif, c’est la faute de mon imbécile qui a loué au bout du monde, non pas un logement, mais une caverne. Il a peur que nous voisinions, car c’est bien l’être le plus fâcheux et le plus désagréable....»
Praxinoé ne s’arrêterait pas en si bon train, si la prudente Gorgo ne l’interrompait discrètement. Le petit Zopyrion, le fils de Praxinoé, joue dans la même chambre; elle l’a vu sans doute lever la tête aux paroles transparentes de sa mère: «Ma chère, dit-elle tout bas à Praxinoé, ne parle pas comme cela de ton mari devant ton petit garçon. Vois-tu comme il te regarde? (A Zopyrion.) Sois tranquille, Zopyrion, elle ne parle pas de ton papa. — PRAXINOÉ : Par Proserpine! il comprend, le moutard. — GORGO: (à Zopyrion): Gentil, papa! gentil!»
L’incident n’empêche pas les bonnes âmes de gloser sur leurs maris absents, sur leurs habitudes de dépenses ou leur maladresse. Cependant l’heure s’avance, Praxinoé s’ajuste pour sortir avec son amie. L’enfant fait signe qu’il voudrait être de la partie. Mais sa mère le rembarre et le leurre: «Non, mon garçon, je ne t’emmènerai pas. Il y a un grand cheval qui mord les petits enfants.» Naturellement, Zopyrion n’est pas dupe du grand cheval qui mord, et en garçon bien avisé, il se met à pleurer; mais cela ne touche guère Praxinoé : «Pleure à ton aise, je n’ai pas envie de te ramener estropié ». Elle appelle la servante ou la nourrice: «Allons, la Phrygienne, prends le petit et joue avec lui. Rappelle le chien; ferme la porte de la cour.» Et voilà nos deux Syracusaines dans la rue, où elles ne tardent pas à regretter le bras protecteur de leurs maris. C’est la moralité de la pièce.
Un moderne entrevoit dans cette scène comme une première esquisse à la grecque de la «famille Benoîton», et dans Zopyrion, le frère aîné de nos «enfants terribles.» — Tant il est vrai qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil.