Читать книгу Le livre des enfants et des mères - Hippolyte Durand - Страница 4
ОглавлениеOBJET DE CE LIVRE.
Comment les grands poètes de l’antiquité et ceux des temps modernes ont-ils compris et représenté l’enfance? Quelle place lui ont-ils donnée dans leurs chants? Tel est le sujet qu’on se propose de traiter dans ce livre.
La poésie est la grande amie de l’enfant. Lyrique, elle s’assied auprès de son berceau, le berce et l’amuse par les vieux refrains, les naïves chansons qui ont endormi ses pères, qui endormiront ses descendants. Epique, elle a de longs et merveilleux récits, qui le tiennent en extase et lui donnent la notion d’un monde idéal où tout est plus grand, plus beau, meilleur que dans le monde réel. Dramatique, elle le prend lui-même pour sujet de ses fables, l’intéresse à sa propre histoire, provoque son rire ou ses larmes, l’amuse, l’instruit, l’émeut, le fait réfléchir. Didactique et morale, elle s’applique à épurer ses mœurs, discipliner sa volonté, changer en force intelligente et docile l’instinct qu’il a reçu du vrai et du bien.
Pourquoi ce double titre: Les Enfants et les mères? C’est qu’on ne peut concevoir isolément les deux objets. L’enfant tire de sa mère l’être physique et l’être moral. Il n’existe que par elle, par le secours de sa tendresse toujours présente, toujours active. Elle est la providence qu’une Providence plus haute attache à tous ses pas. Si quelque fatalité le prive de cet indispensable appui, le voilà condamné à une vie parfois plus misérable que la mort. L’enfant sans mère est un cas douloureux que nous rencontrerons, que nous étudierons avec intérêt et sympathie. Chaque fois, nous reviendrons avec plus de charme et d’allégresse au type de l’enfant qui, selon le plan divin, s’élève et grandit sous l’aile, sous les regards, sous les baisers de sa mère.
Oh! l’amour d’une mère! amour que nul n’oublie!
Pain merveilleux qu’un Dieu partage et multiplie!
Table toujours servie au paternel foyer!
Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier!
(VICTOR HUGO.)
Et réciproquement: privée ou séparée de ses enfants, toute mère est comme un corps sans âme. Leurs peines, leurs souffrances lui sont communes, et sa vie n’est qu’une longue méditation de leur bonheur. Détachées d’elle-même, toutes ses pensées tendent vers ce centre unique ou principal de sa vie terrestre. La mort même est impuissante à rompre les liens qui vont d’un être à l’autre, et la force de l’amour rapproche incessamment celle qui reste de celui qui n’est plus; il n’y a pas d’espace, il n’y a pas de durée, il n’y a pas de séparation pour les mères.
Ce livre contient des scènes joyeuses, il en contient de tristes, de cruelles même. L’un et l’autre côté du sujet sera, nous l’espérons, goûté de nos jeunes lecteurs. Si nous atteignons le but proposé — et nous y avons mis tous nos soins, — ils fermeront ce livre sous une impression de grave et reconnaissante tendresse. Plus d’une page de narrateur et de poète leur aura remis en mémoire une page de leur propre enfance. Ils auront lu leur histoire dans celle d’autrui. C’est eux-mêmes qu’ils reconnaîtront sous les voiles de la fiction, c’est la providence maternelle veillant sur leurs jeunes années qui leur sourira de nouveau dans l’image de ces vaillantes mères dont la poésie se complaît à retracer la figure auguste.
Que si parfois une émotion plus forte leur serre le cœur, ouvre même la source des larmes, qu’ils ne s’en étonnent ni ne s’en défendent: c’est que ce livre est fait pour eux, comme eux pour ce livre. La réflexion qui s’en suivra ne peut être qu’opportune et salutaire.
On en sortira préparé, fortifié pour des tâches futures, lesquelles, pour être lointaines, n’en sont pas moins bonnes à connaître, bonnes à méditer d’avance.
Mais pourquoi remonter jusqu’à l’antiquité ? Nos poètes modernes ne suffisaient-ils pas à l’œuvre entreprise?
Les poètes antiques, surtout les Grecs, sont incomparables dans l’expression des grands sentiments innés au fond de l’âme humaine, et c’eût été trahir notre sujet, trahir l’intérêt de nos lecteurs, que de ne pas inscrire à côté des noms de Shakespeare, de Racine, de Rousseau, de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand, de Victor Hugo, ceux d’Homère, de Sophocle, d’Euripide et de Virgile. Placés plus près que nous du berceau des peuples, au sein d’une société naissante, si on la compare à notre vieux monde, les poètes antiques goûtent, sentent et reproduisent plus fidèlement que nous et avec moins d’effort les pures affections naturelles. Leur art a moins de recherche, de complication, d’apprêt. Tout ce qui est vrai les enchante, tout ce qui les enchante se reflète spontanément dans leurs poèmes. Aucune poursuite du nouveau et du rare dans un temps où la poésie moissonne, à pleines mains, en pleine nature, en des champs encore intacts, et dont nul autre n’a défloré la virginale beauté. Age heureux, moment unique dans l’histoire des lettres! Alors, comme un enfant inspiré, le poète n’a besoin, pour créer, que de peindre ce qu’il voit, d’exprimer ce qu’il sent, d’imiter ces formes premières qui l’entourent. Ni le lieu commun, ni le paradoxe, ces deux fléaux de la poésie et de l’éloquence, n’existent encore. Ceux qui écoutent ou qui lisent ne demandent, pour être ravis, que des objets simples comme eux. De là, dans les tableaux de cette poésie primitive, une sincérité, une fraîcheur, tous les dons enfin que l’heureux génie de Fénelon exprime d’un mot quand il vante «l’aimable simplicité du monde naissant».
Mais, puisque nous remontions jusqu’au vieil Homère, pourquoi ne pas faire un pas de plus dans le passé, et consulter aussi la poésie biblique, si originale, si expressive, si riche en admirables figures d’enfants? C’est que, d’une part, dans un sujet si vaste, il faut savoir se borner, et qu’à trop embrasser on risque de mal étreindre. C’est en outre qu’il nous paraît peu séant de soumettre à l’analyse littéraire, en compagnie de tant d’œuvres profanes, un livre qui est le livre sacré de tant de millions d’hommes. D’ailleurs, notre théâtre français du moyen âge nous ramènera nécessairement aux sujets bibliques. L’Ancien et le Nouveau Testament sont la source où les auteurs des Mystères ont abondamment puisé. La lacune que nous sommes les premiers à signaler sera donc, par ce moyen, en partie comblée, et il n’y aura pas de double emploi.