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LES BOAS DE TIMOR.

Table des matières

PAR MISS LUCY SAUNDERS.

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Timor est une île des Indes-Orientales, habitée par les Malais, méchante race d’hommes que vous ne connaissez peut-être pas encore, mes enfants; je vais vous en dire deux mots. Ces tribus se trouvent éparses sur une grande partie de l’Archipel d’Asie; cruelles, ignorantes, elles poussent la barbarie quelquefois même jusqu’à mêler du sang humain aux sacrifices qu’elles offrent à leurs idoles. C’est affreux cela! Aussi de saints missionnaires ont-ils maintes fois affronté les plus grands périls pour chercher à répandre sur ces contrées les lumières de l’Évangile; hélas! les douces paroles de ces ministres de Dieu ne parvinrent jamais à toucher le cœur de ces idolâtres, et le plus souvent leur admirable dévouement n’eut pour prix que les persécutions et la mort; mais, hommes du Seigneur, ils regardaient leurs souffrances comme un bienfait pour l’humanité; ce martyre leur ouvrait les portes du ciel.

Voilà donc ce que c’est que les Malais; maintenant parlons de Timor. Cette île montueuse, hérissée de volcans mal éteints, est fréquemment ébranlée par les tremblements de terre, ravagée par des ouragans qui éclatent à l’improviste sur ces côtes marécageuses; elle est d’ailleurs entourée de récifs, de bancs de corail, qui en rendent l’accès très-dangereux aux navigateurs. Eh bien! sans doute, allez-vous me dire, il n’y a pas grand mal à cela; que peut-on avoir à démêler avec des barbares comme vos Malais, avec une île aussi affreuse que Timor?

A cela je répondrai, moi, qu’il ne faut pas se hâter de prendre si légèrement certaines choses en aversion; souvent le bien est à côté du mal; rien de ce qui nous entoure, mes enfants, en objets d’art, d’industrie, en nécessités de la vie et dont nous jouissons tous, n’a certes été improvisé: il a fallu bien du mal, de la persévérance, des sueurs, des sacrifices et l’expérience surtout de bien des siècles pour en venir au point de produire, créer, façonner de cent mille manières toutes les choses que vous voyez. Ce qui vous charme et vous séduit, brille le plus à vos yeux, l’or même et le diamant, tout n’était, à son état primitif, qu’objet brut et grossier. Où en serions-nous donc, si nos pères s’étaient dit, à propos de toutes choses. «A quoi bon faire ceci, travailler cela?»—Et vous-mêmes, pauvres petits êtres en naissant, que deviendriez-vous, si des soins maternels, de jour et de nuit, ne veillaient à votre existence, à votre santé, à tous vos moindres besoins; si nous ne mettions avec tant de sollicitude votre corps à l’abri des difformités; si nous ne façonnions si péniblement votre esprit et votre intelligence; si nous ne mettions sans cesse votre cœur en garde contre les impressions du vice? Tout cela est-il donc l’œuvre d’un jour? Pardon, mes amis, de cette longue digression; mais j’ai voulu vous faire comprendre que, pour arriver à faire le bien, il ne faut se laisser rebuter ni par les obstacles, ni par les dangers, ni par la peine; ainsi, par exemple, vous voilà convaincus d’avance que Timor est un pays abominable, où la terre tremble, où des volcans brûlent, où les hommes sont méchants, où l’on risque (ce que je ne vous avais pas dit encore) d’être dévoré à toute heure par d’énormes serpents. Oui, et nonobstant cela, Timor a encore un puissant attrait pour les Européens; son sol est fécond et riche; il se pare de tous les brillants végétaux de l’Inde; c’est de là que les Hollandais tirent leur camphre, leur vanille, leur benjoin. Ses forêts renferment en outre des bois précieux d’aloès et d’ébène; or, tous ces produits deviennent la source de grandes richesses; voilà pourquoi Timor, malgré tous ses inconvénients, est une île aussi fréquentée qu’aucune autre.

Mais revenons à ses habitants; les Malais passent une grande partie de leur vie à la chasse. Dès l’enfance, ils se sont habitués à des luttes, souvent corps à corps, avec les bêtes fauves qu’ils ont à détruire. C’est à ces exercices journaliers qu’ils doivent leur férocité; on ne livre pas impunément une guerre acharnée à des animaux féroces, sans qu’il reste toujours quelque chose de la bête fauve au fond du cœur. Au reste, de toutes ces chasses, la plus dangereuse encore est la chasse au boa. Rien de plus curieux, mais en même temps de plus terrible! Vous allez en juger; et, si par hasard mon récit vous effrayait quelque peu, rappelez-vous bien vite que ces affreux serpents-là ne sont pas à vos côtés, mais à quelques mille lieues de vous: ce qui devra vous rassurer.

Alors donc que le soleil lance sur Timor ses rayons de feu, et qu’une chaleur étouffante absorbe la nature, le Malais dévoré, brûlé, cherche un refuge sous les grands arbres de ses forêts; et là, par le calme solennel qui l’environne, il écoute si, du milieu de ces amas de feuilles desséchées qui jonchent le sol, il ne surgira pas tout à coup certain frémissement comme celui d’un corps qui se glisserait en rampant. Il regarde s’il ne verra pas au loin d’immenses ondulations serpenter dans les allées sombres. Oh! s’il apercevait cela, le Malais sentirait aussitôt battre son cœur tout à la fois de crainte et d’espérance, car il aurait deviné son plus cruel ennemi: le boa.

Parmi les forêts nombreuses qui avoisinent Timor, il en est surtout de célèbres pour les chasses qu’y font les insulaires. Ces hommes ont eu l’audace de planter leurs cabanes jusque dans ces repaires de reptiles. Ils vivent près d’eux, au milieu d’eux; quand, d’un bond, le boa peut les atteindre, d’un repli les broyer. Un boa a-t-il saisi sa proie (soit homme, soit buffle), il l’étreint dans ses immenses anneaux, l’enveloppe, l’étouffe, brise et pétrit ses os; cela fait, il ouvre son énorme mâchoire et y engloutit sa victime tout entière. Ah! c’est alors, seulement alors, que l’habitant de la forêt peut l’approcher sans crainte et lui plonger dans le corps son poignard empoisonné; car, après un tel repas, l’affreux reptile tombe toujours en un état de léthargie complète; et cependant, qui le croirait? ce n’est pas cet instant de sommeil si propice dont profitera le vrai chasseur de boa pour attaquer le monstre; ce n’est pas un adversaire repu, engourdi qu’il lui faut: il veut avoir affaire à un ennemi furieux et altéré de sang.

Toutefois, bien que les Malais n’attachent aucune espèce d’honneur à tuer le boa, une fois plongé en cet état, ils ne manquent cependant pas alors de le percer toujours de leurs flèches aiguës, trempées dans certain poison fort subtil qui découle d’un arbrisseau: le Bohon-oupas; sa mort est ainsi assurée; et, à son tour, il servira de pâture aux animaux de la forêt.

La chasse au boa offre d’autant plus de dangers, que les armes à feu sont impuissantes contre un pareil adversaire. Quelle balle pourrait jamais atteindre ce corps immense qui sans cesse se plie, se dresse, se courbe, tournoie en mille évolutions aussi rapides qu’imprévues? A peine, en effet, le chasseur aura-t-il entendu l’herbe sèche bruïre au loin sous les ondulations du reptile, que tout à coup, d’un seul bond, il lui apparaîtra, se balançant à la branche la plus élevée d’un arbre voisin, et prêt à fondre sur sa tête. Assurément, il faut être Malais, avoir vu souvent de près un ennemi si terrible pour n’être point, en pareil cas, glacé d’épouvante.

Souvent aussi le boa déserte ses forêts pour venir attaquer l’habitant de Timor jusque dans ses huttes grossières; alors il cherche, avec mille efforts, à se glisser à travers les joints de la cabane; il rampe, se rapetisse, s’allonge; s’il y pénètre enfin, oh! malheur à qui l’habite, malheur! point d’espoir de salut, il faut périr!

Ces sortes d’attaques devinrent insensiblement fréquentes au point de répandre partout la terreur. Le conseil de l’île organisa donc des chasses régulières pour accélérer la destruction des boas: on fit choix, pour de semblables expéditions, des hommes les plus intrépides, car il ne s’agissait de rien moins que de faire, jour et nuit, dans les forêts, une battue générale.

Un Anglais, poussé par une curiosité invincible, eut un jour la témérité de se mêler, en amateur, à une bande de ces chasseurs Malais; ceux-ci étaient, selon leur habitude, armés de criks à la lame fine, aiguisée, et de flèches disposées en éventail sur leur poitrine. On marchait depuis quelques heures à travers la forêt; le lugubre silence de cette solitude n’avait encore été jusque-là interrompu que par le vol sinistre de plusieurs oiseaux de proie. On marchait donc toujours, quand nos chasseurs entendent soudain bruire près d’eux un amas de feuilles sèches; et du sein de ces feuilles agitées, presque aussitôt ils voient serpenter un corps énorme: c’était un boa. A cet aspect, ils ont tressailli de joie, et l’Anglais a senti tout à coup un léger frisson parcourir tous ses membres. Mais déjà les Malais ont préparé leurs flèches; ils s’avancent à pas de loup pour surprendre l’ennemi. A un signal donné, mille dards pleuvent sur lui. Ainsi assailli de toutes parts, le monstre fait un soubresaut horrible; sa masse immense se déroule avec la rapidité de l’éclair; ses anneaux tour à tour s’allongent, se recourbent, s’enlacent; puis tout à coup son corps entier se soulève, et, de sa queue formidable, étreignant le sommet d’un arbre qu’il ébranle, il s’élance et l’enveloppe de ses anneaux de fer; alors la gueule du monstre est béante, ses yeux lancent de terribles éclairs; il se balance, tournoie incessamment, toujours prêt à fondre sur les malheureux chasseurs. Oh! alors notre pauvre Anglais n’a plus une goutte de sang dans les veines; cependant, chacun des Malais avait, du plus grand sang-froid, déjà pris position pour l’attaque. Les uns, placés derrière l’arbre, s’élancent armés de leurs criks et frappent à coups redoublés le reptile pour en venir à briser un de ses anneaux; efforts impuissants! Le boa fait alors retentir l’air d’un sifflement horrible; et, par un mouvement soudain, cramponnant sa mâchoire à l’arbre, il déroule ses anneaux, détache sa queue et la lance au loin avec fureur. Un homme a été frappé, balayé par elle, et cet homme, c’est le voyageur anglais; l’infortuné roule sans vie aux pieds des Malais, qui se précipitent à son aide. Mais le boa n’a que trop senti la résistance d’un corps, il se retourne, et, prompt comme la foudre, il s’abat sur sa victime, l’étouffe et broie ses os avec rage.

Les Malais restent d’abord glacés d’horreur à la vue de cette scène affreuse; mais, bientôt ne respirant plus que vengeance, ils assaillent en désespérés le boa de leurs flèches; ils le frappent à l’envi de leurs criks; celui-ci, blessé d’innombrables coups, cherche en vain à saisir de nouvelles victimes; ses yeux étincèlent de mille feux; il s’agite, se tord en bonds convulsifs... c’en est fait, il est vaincu; une fois encore il s’est dressé, furieux dans l’air, puis il retombe enfin épuisé sur le sol, en poussant un dernier et sourd frémissement.

D’abord les chasseurs ont entouré leur terrible ennemi, contemplé avec ivresse sa dernière agonie; mais, au milieu de leur joie, bientôt ils reculent devant le cadavre horriblement mutilé du malheureux Anglais. Leur victoire lui avait coûté la vie; ils revinrent donc fort tristes à la ville, après avoir rendu à l’étranger les honneurs de la sépulture.

Plus tard, le gouvernement de Timor, pour mettre un terme aux ravages toujours croissants des boas, qui finissaient par dépeupler la colonie, prit le parti désespéré de livrer l’île à un incendie général. Forêts et reptiles, tout brûla donc à la fois; et, au milieu de cette immense fournaise, à la lueur des flammes, on eût pu voir mille tourbillons animés, étranges, qui sifflaient, rugissaient, se tordaient en convulsions horribles: c’étaient les boas de Timor dont on faisait un vaste auto-da-fé.

Depuis ce jour aussi l’île est-elle bien moins infestée de reptiles: ce qui n’est pas toutefois une raison, mes enfants, pour que je vous engage à l’aller visiter vous-mêmes un jour, sans nécessité; il n’y a d’agréable que les choses utiles.


Le Dimanche des Enfants

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