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LA FUITE.

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Le 16 juillet 1646, à la tombée de la nuit, le château fort du comte d’Essex, à Exeter, retentissait des éclats d’une joie immodérée; le comte, suivi de ses principaux officiers, s’était absenté pour toute la journée; les soldats, abandonnés à eux-mêmes, mettaient à profit ce moment de liberté; il est vrai de dire aussi que, depuis le matin, on n’avait cessé de leur faire des distributions de viande et de vin, en leur disant que ces dons leur venaient des parlementaires, pour récompenser les troupes de leur dévouement à la cause de Cromwell, et célébrer la récente victoire de ce chef sur les partisans de la royauté.

Au nombre des domestiques chargés de la distribution des vivres, il en était un surtout dont le zèle à faire manger et boire les soldats paraissait infatigable; c’était un homme jeune encore, d’une figure sévère et douce à la fois; on le nommait Péterson; du reste, personne ne le connaissait parfaitement: il n’était que depuis peu admis parmi les gens du comte. Allant d’une table à l’autre, excitant les soldats, leur versant lui-même à boire, cet homme, d’après le plaisir qu’il éprouvait à voir l’ivresse gagner chaque convive, semblait possédé d’une autre idée que celle d’enivrer simplement des soldats.

Effectivement, quand il les vit enfin rouler tous ou à peu près sous la table, les uns plongés dans un état à ne plus rien voir et rien entendre, les autres, dans un sommeil lourd et profond, il les contempla, un moment, avec l’air d’un homme qui a réussi dans ses projets; puis, leur jetant à tous un regard de mépris, il s’achemina lentement et avec précaution vers une autre partie du château.

Lorsque ce personnage eut traversé bien des galeries et des appartements, monté, descendu plusieurs escaliers, il parvint à une tourelle entièrement isolée, à laquelle des portes massives, des croisées bardées de fer, donnaient toute l’apparence d’une prison.

C’en était une. Péterson en ouvrit la porte, saisit derrière cette porte un petit paquet de hardes, que probablement il avait caché là depuis quelques instants; puis, grimpant avec agilité un escalier roide et obscur, il arriva devant une porte qu’il ouvrit à l’aide de plusieurs clefs et en tirant plusieurs verroux, enfin il se trouva devant une femme pâle et tremblante, qui lui cria d’une voix émue: «Eh bien!

—Tout a réussi, madame, répondit respectueusement Péterson, grâce à la vente de vos bijoux; cet argent m’a servi à enivrer les soldats; je leur ai fait une distribution de vin et de viande, au nom de Cromwell, de sa récente victoire et des parlementaires; la ruse a eu un plein succès. J’ai fait répandre ces mêmes bruits dans la ville... toute la garnison est désarmée, jusqu’aux sentinelles qui dorment dans leur guérite; voici des vêtements de paysan pour la princesse; vite, vite, madame, il n’y a pas un instant à perdre, revêtons madame Henriette de ce costume et partons.»

A ce nom de madame Henriette, une petite fille de trois ans et demi, blonde et rose, s’avança vivement en s’écriant:

«Nous allons donc sortir de cette vilaine tour grillée; oh! oui, petite maman, partons.

—Chère enfant, reprit la comtesse Morton en déployant le paquet que venait de lui remettre Péterson, il faut d’abord endosser ces vêtements.

—Ces vêtements! dit la jolie enfant avec un sourire dédaigneux; mais ce sont des habits de paysan, et moi, je suis une princesse!

—Pauvre petite! répliqua madame Morton, tout en habillant Henriette; hélas! le fils d’un paysan est, en ce moment, plus heureux que toi.

—Oh! vous avez bien raison! petite maman, soupira l’enfant devenue soudain triste et soucieuse; les princesses sont bien malheureuses; d’abord, pas de papa ni de vraie maman... une bonne petite maman, c’est vrai, ajouta-t-elle en passant ses jolies mains autour du cou de madame Morton; mais, enfin, une petite maman n’est pas une maman pour tout de bon; puis, une chambre dont on ne sort jamais... tout plein de joujoux, c’est vrai, mais personne avec qui jouer... et puis, pas d’air!

—Comment, pas d’air, répéta madame Morton surprise.

—Est-ce que vous croyez, petite maman, dit Henriette, que je ne me suis pas aperçue que, lorsque vous vouliez de l’air, vous ouvriez la croisée; donc, l’air est dans le jardin, et non pas ici... ah! mon Dieu! que les petites princesses sont malheureuses!...»

Madame Morton soupira sans répondre; Henriette avait alors revêtu son petit costume de paysan; et certes, rien ne ressemblait moins à un enfant des champs que cette jolie petite fille, si blonde, si blanche, si délicate, et dont le front, le cou, les bras et les mains avaient le poli de l’albâtre.

Péterson, qui était sorti pendant la toilette de la princesse, revint sur ces entrefaites:

«Partons, partons, s’écria-t-il en entrant; le comte d’Essex ne sera de retour que demain; mais, s’il lui prenait fantaisie de revenir ce soir, nous serions perdus... La princesse est-elle prête?

—Oui, la princesse est prête, dit Henriette d’un ton boudeur, la princesse est prête, et bien mal costumée pour une princesse, on peut le dire.»

Péterson prit la princesse sur ses bras, et, lui recommandant le plus grand silence, il sortit avec elle de la chambre; madame Morton le suivit, inquiète et troublée, après avoir abaissé sur ses yeux le capuchon de son mantelet noir; ils descendirent ainsi l’escalier de la tourelle, tournèrent le grand bâtiment en se dirigeant vers une petite poterne qui donnait sur un chemin de traverse; la porte en était ouverte; deux chevaux se trouvaient là, tout sellés, tout bridés; Péterson monta l’un d’eux et assit Henriette devant lui; la comtesse s’élança sur l’autre avec toute la grâce et la prestesse d’une excellente écuyère, et les chevaux partirent au galop.

«Comme on est secoué, disait Henriette à Péterson... et puis, mal assise, ajouta-t-elle voyant que celui-ci ne répondait pas... et puis, il pleut, reprit-elle.

—Hélas! dit madame Morton qui avait entendu ses plaintes, les princesses ne sont pas toujours heureuses!

—On peut bien dire jamais, répliqua Henriette en soupirant à son tour et bâillant.

—Dieu est grand! ma fille, repartit la comtesse; il faut le prier pour votre mère et pour vous.

—Je ne demande pas mieux, petite maman, dit l’enfant;» elle joignit aussitôt les mains, et marmotta une petite prière que lui avait apprise madame Morton, sa gouvernante; mais le sommeil l’ayant surprise au milieu de sa prière, Péterson la couvrit de son manteau, et lui et la comtesse continuèrent leur route en silence.

Le Dimanche des Enfants

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