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LE GÉNIE ET LA FOURMILIÈRE.

Table des matières

CONTE.

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PAR MADAME FANNY RICHOMME.


Dans un beau pays des Indes vivait un puissant génie, l’effroi des méchants par ses formes gigantesques. Mais, s’ils tremblaient de lui déplaire, craignant l’effet de sa vengeance, en revanche le Génie était adoré des bons, qui se reposaient sous sa protection juste et paternelle.

Dans ce même pays vivait un savant nommé Phanor, que ses vastes connaissances auraient rendu l’admiration de tous, si son orgueil insupportable ne l’avait fait détester lui, et même la science qu’il professait. Il faisait un tel abus de cette science, qu’il en était venu jusqu’à nier l’existence de Brama[1]! Le génie souffrait d’entendre ainsi raisonner le docteur, car ces faux raisonnements pouvaient entraîner la jeunesse simple et ignorante qu’il enseignait.

Un jour donc, il se présente devant lui, pendant qu’il faisait un cours à ses disciples: il l’écoute parler, propose avec douceur quelques objections, auxquelles Phanor répond par de si grands mots, que tout son petit auditoire, étourdi et ravi, à proportion qu’il comprenait moins, l’applaudit à tout rompre.

Le génie sentit que tous ces esprits avaient besoin d’une leçon; mais, désespérant de les ramener par des discours, il pensa que l’expérience serait un meilleur maître; d’un coup de sa baguette il touche Phanor, et trace un cercle dans lequel il l’enferme lui et tous ses disciples. Allez, dit-il, puisque vous faites un si mauvais usage de l’intelligence que Brama vous a donnée pour le comprendre, l’admirer et l’aimer, devenez un des plus petits insectes qui végètent sur la terre: soyez fourmis, et remerciez-moi, car j’aurais pu vous choisir une condition plus abjecte, et vous classer parmi des êtres plus chétifs encore.

Il n’avait pas achevé, que tout avait disparu, et à la place de la tribune du docteur, sur un léger monticule de sable, s’agitait une fourmilière. Le génie se coucha à terre pour l’observer; comme il avait non-seulement de bons yeux, mais encore les yeux d’un génie, il distingua Phanor, qui, ayant pris avec la forme, l’instinct de ces industrieux animaux, dirigeait les travaux de sa nouvelle république.

Savez-vous, mes enfants, que c’est intéressant à observer une fourmilière? l’intelligence de ces petits êtres, leur industrie, leur persévérance, l’ordre, l’économie, qui règnent parmi eux, forment une histoire charmante et qui vous amusera beaucoup quand vous vous occuperez d’histoire naturelle; mais revenons à Phanor.

Vous jugez bien qu’en devenant si petit, il avait beau être admirablement organisé pour une fourmi, ce n’était plus l’organisation d’un homme; et toutes ces grandes idées de science qui l’occupaient autrefois, s’étaient réduites à proportion de sa petite tête. Cependant parmi les fourmis, c’était encore une fourmi raisonneuse, et surtout orgueilleuse.

En visitant le petit espace de terre qu’il pouvait parcourir, il se disait: Que ce monde est grand! En montant sur une petite hauteur, il se croyait au moins sur la cime d’une des plus hautes montagnes; de là il regardait aussi loin que ses petits yeux pouvaient le lui permettre, et il disait: Que la nature est belle! Jusque-là c’était bien; si sa vue ne s’étendait pas davantage, l’on ne pouvait raisonnablement lui en faire un reproche, c’était la faute de son organisation.

Mais à force de réfléchir, il voulut, comme auparavant, approfondir le grand secret de la nature, et connaître celui qui l’avait créée. Ceci était encore une louable pensée et un noble désir, s’il eût su comprendre que tout ne peut être dévoilé à de simples créatures; mais Phanor, trop orgueilleux pour soumettre son esprit, niait toujours ce qui n’était pas à sa portée.

Le voilà donc parcourant la terre qui l’entoure, dans un assez grand espace pour ses petites pattes; il monte jusqu’au haut d’un magnifique tulipier; il en suit les branches qui lui paraissaient autant de vastes et immenses routes. Arrivé au sommet, il aperçoit les brillantes fleurs qui couronnent ce bel arbre. Où suis-je! s’écrie-t-il; sans doute dans les régions célestes... Que c’est admirable!—Toutes ces tentes légères faites d’étoffes transparentes et embaumées, panachées de couleurs brillantes, se balançant doucement dans les airs, doivent être au moins la demeure des génies, si ce n’est celle de Brama lui-même. Que j’ai bien fait d’avoir la persévérance de supporter les fatigues d’un long voyage! mais oserai-je pénétrer dans ces réduis mystérieux et aériens? Pourquoi pas: c’est ma conquête; je suis venu là par la force de mes hautes facultés; j’en veux recueillir le fruit.

Il descend donc hardiment dans le sein de la plus belle des tulipes; il peut faire un savoureux repas sur les étamines de la fleur; au fond de son calice, quelques gouttes de rosée le rafraîchissent délicieusement, et là il attend en vain l’hôte de ces palais enchantés; mais il n’aperçut que quelques mouches légères et bourdonnantes, et notre fourmi comprenait bien qu’une mouche était une créature dans son genre.

Après avoir parcouru toutes les fleurs, il pensa: Mais je suis fou; tout cela est seulement fait pour moi, pour moi qui ai su le découvrir!... J’irai dire ces belles choses à mes disciples; ils seront bien surpris.

Et voilà Phanor, tout fier, reprenant la route par laquelle il était venu.

Arrivé près de son domaine, après bien des dangers; il aperçoit une masse dont il ne peut apprécier les véritables proportions; il la parcourt, avec de grandes difficultés, dans tous les sens, et se dit: Voilà sans doute une nouvelle montagne formée par quelque grande catastrophe durant mon voyage; je veux analyser ce nouveau phénomène: un terrain mouvant sous ses pas, des bruits sourds, un sol brulant, offraient matière à ses observations.

Il découvre bientôt, entre autres merveilles, plusieurs gouffres de formes différentes, des cavernes profondes, des bois touffus, et enfin deux lacs couverts d’un cristal transparent.

Voilà, dit-il, des choses moins riantes, mais plus extraordinaires que tout ce que j’ai vu. Mais Dieu! quel vent violent, quel bruit affreux, sortent de ces cavernes! Où suis-je? la terre tremble sous moi, la montagne s’ébranle, m’enlève dans les airs. Tenons-nous bien; mettons-nous à l’abri dans cette forêt.

Phanor entre dans le taillis, se cramponne à la terre, lorsqu’une puissance dont il ne peut se rendre compte, l’en arrache et le jette dans l’espace.

Grâce à sa petitesse, le vent le porta doucement jusqu’à sa fourmilière. Il resta longtemps sur le sable, à se débattre et à reprendre ses esprits. Quand il fut revenu à lui, il se pressa de rentrer dans ses Etats, et Dieu sait comme ses aventures parurent surprenantes aux fourmis qui l’écoutaient.

Il en était à conter les dernières choses qui l’avaient frappé; il parlait des cavernes bruyantes, des lacs de cristal, de la forêt où il s’était réfugié, et de la force extraordinaire qui l’en avait arraché, quand le Génie, qui l’écoutait, se prit à rire de toutes ses forces, et, touchant la fourmilière de sa baguette, Phanor et ses disciples reparurent sous la forme d’hommes.

Le Génie leur apprit que cet objet si étonnant, cette montagne, n’était autre chose que lui-même, qui s’était couché près de la fourmilière pour l’observer.

«Les cavernes profondes d’où soufflait un vent violent, c’étaient ma bouche et mes narines; les lacs de cristal, mes deux yeux; et la forêt où tu t’étais réfugié, pas autre chose que ma barbe, où tu m’as causé une démangeaison si vive, que je t’ai lancé sur la terre. Les superbes tentes aériennes qui causaient ton admiration, ne sont que les fleurs du tulipier. Ce qui te semble à toi, homme, un fort bel arbre seulement, pour toi, fourmi, avec tes petits yeux, tes petites idées, devait être un étrange phénomène.

«Et toi, avec tes yeux d’homme, tu prétends comprendre Brama le créateur de toutes les merveilles qui embellissent notre terre, des astres qui brillent aux cieux, des créatures qui peuplent et la terre, et l’air, et les ondes; le créateur enfin de tout ce que tu vois et de tout ce que tu ne peux voir! Pauvre Phanor!...

»Moi, Génie, je vois un peu plus que toi, comme toi, homme, tu vois un peu plus que la fourmi... Brama seul peut embrasser d’un coup d’œil les mondes qu’il a créés; lui seul est grand!!!» Phanor courba sa tête altière devant le raisonnement du Génie; il fit mieux, il comprit le néant de sa vanité.

Depuis ce jour, au lieu de chercher à vouloir définir Brama, il l’admira dans ses œuvres; pénétré de reconnaissance, il le bénissait pour sa bonté et l’adorait dans sa grandeur. Il n’avait plus qu’un désir, plus qu’un orgueil; c’était de faire connaître à tous cette vérité qui avait subjugué son esprit et attendri son cœur.

Cet heureux changement lui attira l’amitié et la protection toute particulière du Génie, qui lui fit part des hautes connaissances et des secrets auxquels son organisation plus parfaite lui permettait d’atteindre. Phanor, cette fois, n’en fit usage que pour rendre hommage à Brama; et lorsqu’après de longs jours qu’il avait su rendre utiles, Brama, content de Phanor et de la tâche qu’il avait remplie, le rappela à lui pour le récompenser, Phanor, admis dans les célestes régions du bonheur, de la science et de la lumière, put voir alors combien autrefois il était peu de chose, combien Brama était grand, et comme il avait dû rire de son orgueil.


[1]Nom sous lequel les Indiens adorent Dieu.
Le Dimanche des Enfants

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