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MISS TOPLIFF

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Emilie s’attachait tous les jours davantage à Délice Sanborn. Celle-ci, de son côté, l’accablait de marques d’amitié, la patronnant en toute occasion et, avec le plus touchant abandon, lui confiant toutes ses aspirations, tous ses secrets. Il est vrai que Délice traitait de même toutes ses compagnes; mais Émilie, aveuglée par son affection, s’imaginait être la seule privilégiée. C’était le modèle des confidentes. Toujours prête à écouter les doléances de Délice ou le récit de ses succès, ne parlant presque jamais d’elle-même et de ses ennuis personnels, prenant intérêt aux choses les plus futiles quand elles émanaient de la jolie bouche de Délice, elle ne voyait rien au monde de si aimable, de si attrayant, en un mot de si parfait que sa nouvelle amie. Elle lui prêtait généreusement toutes les qualités qu’elle-même possédait, et ne voyait pas les défauts. Ils étaient bien reçus, ceux ou celles qui, devant Émilie, s’attaquaient à miss Délice!... Mme Howe haussait les épaules quand on lui parlait de cette chaude amitié. «Cela n’a pas le sens commun,» disait-elle avec quelque - raison; mais il n’y avait rien de surprenant à ce qu’une fillette au cœur ardent, à l’imagination vive et à l’esprit enthousiaste, comme était Émilie, fût séduite par les dehors brillants de Délice.

«Je ne sais ce que je deviendrais sans vous, lui disait-elle un soir qu’elle était allée prendre le thé chez Mme Sanborn; depuis deux mois que je suis à Quinnebasset, votre maison est pour moi un véritable paradis.

— Pauvre petite Émilie! lui répondit Délice, si vous êtes trop malheureuse chez votre grand’mère, il vous faut venir habiter avec nous.»

Elle eut été bien attrapée si on l’avait prise au mot.

«Oh! que je voudrais que ce fût possible! s’écria Émilie avec un tel élan qu’elle fit sourire Mme Sanborn, tout occupée qu’elle était à une partie d’échecs avec son fils John.

— Pourquoi vos jolis cheveux ne sont-ils pas bouclés comme d’habitude? demanda Délice, passant d’un sujet à un autre avec la légèreté qui la caractérisait.

— Parce que grand’maman trouve qu’ils ont toujours l’air en désordre quand ils sont sur mon cou, répondit Émilie. J’ai voulu me faire une natte; mais cela ne tient pas.»

Et elle secoua la tête de manière à faire tomber le ruban qui retenait ses cheveux rebelles.

«Comment pourriez-vous natter une chevelure pareille? dit Délice. Milie, ma chérie, vos cheveux sont trop ravissants pour ne pas les montrer à tout le monde. Laissez-les flotter à leur guise et n’écoutez pas votre grand’mère, —pour tout ce qui est affaire de goût, s’entend, — car je me garderais bien de vous prêcher la révolte; on vous défendrait de me voir, et cela me ferait trop de peine.

— Et à moi, donc! s’écria Émilie; où en serais-je sans vous? Ce n’est pas gai tous les jours chez grand-papa, le soir surtout!... Heureusement, je puis aller me distraire un peu à la cuisine; mais j’ai vu le moment où les «autorités supérieures» y mettaient bon ordre.

— Comment! cette intimité dure encore? Je ne vous comprends pas, Milie, de vous commettre ainsi avec des gens de bas étage, des domestiques, si vous aimez mieux, ajouta-t-elle avec une petite moue de dédain.

— C’est moi qui ne vous comprends pas! s’écria Émilie, le sang lui montant aux joues en entendant attaquer ses humbles amis. Le travail n’a jamais déshonoré personne; au contraire. Vous reprochez à Mme Fagg et à Charles Preston d’être rétribués pour les services qu’ils rendent à grand-père; voudriez-vous donc que ce fût gratuit de leur part? Pour moi, je ne vois rien de respectable comme les gens capables de gagner leur vie eux-mêmes. Ma plus grande ambition serait d’arriver un jour à n’être à la charge de personne. Charles et Mme Fagg sont pauvres, je le veux bien; mais ils sortent tous deux d’une famille honorable, et ils sont très bien élevés. Si, au lieu d’être une fille, j’étais un garçon, j’aiderais probablement mon grand-père pour tout ce que fait Charles; m’appelleriez-vous pour cela un domestique, et refuseriez-vous de causer avec moi? Le père de Charles était docteur en médecine, et tout aussi bien posé que votre père et le mien;

Mme Fagg est cousine au second degré de ma grand-mère. En quoi puis-je déroger, je vous prie, en me considérant sur le même pied que «nos domestiques» ? Comme naissance, ils sont mes égaux; comme intelligence, qui sait s’ils ne me sont pas supérieurs?

— Oh! s’écria Délice, quant à cela, vous savez bien que non, puisque vous donnez des leçons à ce garçon qui est plus âgé que vous.

— Eh bien, qu’est-ce que cela prouve? que j’ai eu des maîtres et que Charles n’en a pas eu; ce n’est pas sa faute après tout!

— Ce qui n’empêche pas, dit Délice, que, si j’étais vous, je ne perdrais pas mon temps à me faire son répétiteur.

— Si vous saviez comme cela me coûte peu!...

— Qu’il aille à la classe du soir; il n’aura plus besoin de vos leçons.

— Il ira certainement, mais l’hiver prochain, quand il aura un peu rattrapé ses camarades. Jusque-là il souffrirait trop. Mettez-vous à sa place, Délice.»

Mais Délice ne s’y mettait pas du tout, à la place de Charles; elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi Émilie, qui repoussait les avances de Dora Topliff, la riche, l’élégante, la sublime Dora, se mettait en frais pour un garçon sans fortune et sans position.

«Quelle chaleur! dit-elle en riant. Ne vous emportez pas, Milie chérie, cela n’en vaut pas la peine. Ainsi, vous passez la moitié de vos soirées à servir de précepteur à M. Charles, et l’autre moitié à griffonner pour l’amusement d’une sourde-muette? C’est de la vertu ou je ne m’y connais pas! Et cela ne vous ennuie jamais?

— Pas un seul instant! s’écria Emilie; rien que la vue de Mme Fagg suffirait pour me récompenser, tant elle est transfigurée quand je m’occupe d’elle. La pauvre femme est là travaillant son éternel crochet pendant que je remplis son ardoise. Elle suit mon crayonnage du coin de l’œil, et quelquefois elle est si pressée de savoir ce que j’écris, qu’elle le lit à mesure, par-dessus mon épaule. Je ne lui dis pourtant rien de bien intéressant. Je lui raconte tout ce qui me passe par la tête, ce que nous faisons en classe et pendant les récréations, un tas d’enfantillages, en somme; mais elle prétend que cela lui fait plaisir.

— Généreuse enfant que vous êtes, dit Mme Sanborn avec une spontanéité un peu imprudente, voilà de la vraie philanthropie!

— Ah! madame, balbutia Émilie, j’avais oublié que vous étiez là. Que je suis donc confuse! Depuis une demi-heure que je parle de moi, j’ai l’air de me poser en modèle de vertu; n’en croyez rien, je vous prie; je ne suis ni douce ni patiente.

— Vous êtes douce comme un petit agneau et patiente comme Job, répliqua Délice.

— Vous aussi! s’écria Émilie, en rougissant jusqu’aux yeux. Je vous en prie, Délice, ne vous faites pas d’illusions sur mon compte. Vous me connaissez depuis si peu de temps que vous n’avez encore vu que mes bons côtés; mais j’ai un caractère terrible, et, quand on me contrarie, il m’arrive parfois de me mettre dans des colères folles. J’ai mieux aimé vous en prévenir d’avance; un de ces jours, peut-être, vous me verrez sous un aspect qui me fera perdre à jamais votre amitié.»

Pauvre Émilie! il lui en coûtait de faire un tel aveu devant des étrangers; mais elle était trop franche pour ne pas se soustraire à des éloges qu’elle savait immérités.

«M’aimez-vous encore un peu? demanda-t-elle tout bas à Délice après sa confession.

— Deux fois plus qu’avant, répondit celle-ci; mais, quand vous serez tentée de vous livrer à une de ces formidables colères qui vous poussent à des actes si terribles, il faudra venir me trouver, et je vous mettrai une camisole de force, comme celle-ci,» ajouta-t-elle en lui faisant une prison de ses deux bras.

Les jeunes filles de Quinnebasset

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