Читать книгу Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil - Jean-Étienne-Marie Portalis - Страница 11
INTÉRIEUR.
ОглавлениеParis, le 29 août 1807.
Conformément aux ordres de S. M. l’empereur et roi, et par les soins de Leurs Excellences les ministres de l’intérieur et de la guerre;
Aujourd’hui 29 août 1807, à sept heures du soir, ont eu lieu les funérailles de son Exc. M. Jean-Étienne-Marie Portalis, ministre des cultes, grand aigle de la Légion d’honneur, membre de l’Institut et de plusieurs autres sociétés savantes, décédé en son hôtel, rue de l’Université, le mardi 25 du courant.
Les députations des corps de l’état, les fonctionnaires publics, civils et militaires, les administrations, les parents et amis du défunt, s’étaient rendus à l’église.
Le cortège en est parti à pied pour aller à l’église Saint-Thomas d’Aquin, au milieu de deux haies de troupes, à la lueur des flambeaux et au milieu d’un concours de spectateurs sensiblement émus.
Un corps de cavalerie ouvrait la marche, réglée ainsi qu’il suit:
Le tribunal de commerce,
Le tribunal de première instance,
La cour de justice criminelle,
La cour d’appel,
La cour de cassation,
Les commissaires de la comptabilité,
Ces cours et tribunaux représentés par le président, et par ceux des membres qui voulurent prendre part à cette funèbre cérémonie.
Les maires et adjoints de la ville de Paris,
Les conseillers d’état préfets du département et de police,
Le tribunat,
Le corps législatif,
Les sections du conseil d’état,
Le sénat conservateur,
Dans la personne de leur président, et de ceux des membres qui prirent part à la cérémonie:
Son Exc. M. le gouverneur de Paris,
Le chef de l’état-major général,
Les adjudants et autres officiers de l’état-major,
Les grands officiers de la Légion d’honneur,
Son Exc. M. le grand chancelier de la Légion d’honneur, commes énateur titulaire de la sénatorerie de Paris, etc.
Le corps diplomatique,
Les grands dignitaires qui ont daigné prendre part à cette cérémonie.
Les évêques de France qui se trouvent à Paris,
Le clergé de Paris,
Le corps sur un char funèbre magnifiquement décoré.
Quatre ministres ont porté les coins du poêle, depuis le lieu de l’exposition jusqu’à la porte extérieure de l’église.
La famille du ministre décédé.
Sa voiture vide, attelée de quatre chevaux, avec ses gens et sa livrée.
Diverses autorités et administrations.
Le président du consistoire.
Les voitures de deuil.
Un corps de cavalerie fermait la marche.
La nef de l’église de Saint-Thomas d’Aquin, le chœur et les deux côtés étaient tendus de noir depuis le haut jusqu’en bas.
Les sièges des différentes autorités étaient également tendus de noir.
Un nombre infini de cierges éclairaient les différentes parties du temple.
Le corps a été déposé sur un magnifique catafalque, dressé sous la coupole de Saint-Thomas d’Aquin.
Après les prières accoutumées, le cortége s’est remis en marche vers le Panthéon, dans le même ordre qu’auparavant, mais en voiture.
Là, les restes du ministre si justement regretté ont été reçus et déposés dans un des caveaux destinés à cet usage, au milieu de nombreuses décharges de mousqueterie.
L’assemblée s’est tenue dans la nef du temple, et son Exc. M. le grand juge, ministre de la justice, a terminé cette lugubre cérémonie par le discours suivant:
Messieurs,
Je ne me présente point dans cette enceinte auguste, destinée à recevoir la dépouille mortelle de l’homme vertueux que nous pleurons, pour y prononcer son oraison funèbre, cette tâche honorable est réservée à des bouches plus éloquentes que la mienne; je viens seulement, au nom de mes collègues et au mien, payer à sa cendre en ce peu de mots que le cœur a dicté, le tribut de notre douleur et de nos regrets.
M. Portalis, né en 1746, dans le département du Var, annonça de bonne heure tout ce qu’il devait être un jour. Dès son début au parlement de Provence, à l’âge de vingt-deux ans, il égala les plus célèbres orateurs du barreau. De si glorieux commencements ne furent point démentis par la suite; ses progrès furent si rapides, que tout jeune encore il était généralement reconnu que personne au barreau ne pouvait plus lui disputer la palme de l’éloquence.
Ses brillants succès le firent appeler avant le temps aux états de la province, où il prouva bientôt qu’un esprit supérieur ne se trouve jamais au-dessous de l’attente publique, quelque poste qu’on lui assigne.
Ainsi sa réputation et comme orateur et comme administrateur était faite lorsque les autres hommes commencent à peine la leur; il s’était justement acquis l’admiration universelle; mais, ce qui vaut bien mieux encore, il jouissait au plus haut degré de la considération publique, que les talents, quelque éclatants qu’ils soient, ne donnent jamais, si la vertu ne les accompagne.
Il se trouvait dans cette situation flatteuse, lorsque les premiers symptômes de la révolution se manifestèrent en Provence; ils y avaient pris un caractère bien propre à agiter péniblement une âme aussi douce et aussi sensible qu’était la sienne; la violence de la tourmente lui fit donc prendre le parti de la retraite, non pour s’y livrer à une oisiveté incompatible avec l’activité de son esprit, mais pour fortifier son âme par la lecture et la méditation, contre les périls et les malheurs qu’il prévoyait.
Après avoir erré dans des temps funestes de retraite en retraite et de prison en prison, enfin échappé à la tempête révolutionnaire, il fut député en l’an IV au corps législatif, par l’assemblée électorale du département de la Seine.
Les souvenirs de ses succès au conseil des Anciens sont encore trop récents, pour qu’il soit besoin de vous les retracer ici; je dirai seulement que son éloquence ayant à s’exercer sur de plus grands sujets, prit aussi un nouvel et plus sublime essor; que même en le combattant, on admirait encore en lui ce talent de la parole qui tenait du prodige, et que ses plus ardents adversaires n’hésitaient pas à l’égaler aux premiers orateurs de la Grèce et de Rome.
Mais ce qui doit principalement honorer sa mémoire, c’est que cet orateur, qu’il était si difficile de combattre et de vaincre à la tribune, était en même temps le plus doux, le plus conciliant et le meilleur des hommes.
Nul dans nos assemblées politiques n’a cherché plus que lui à calmer la fougue des passions, et à éteindre les haines et la soif des vengeances; et si la voix de la sagesse et l’autorité de la raison eussent pu se faire entendre dans le sein des orages, il aurait contribué plus que personne à détourner les malheurs qui, en l’an v, pesèrent sur la France; mais il était arrêté, dans l’ordre éternel de la Providence, qu’une longue suite de discordes et d’erreurs devait précéder l’heureuse époque où nous vivons; et loin que Portalis ait pu rapprocher les esprits divisés, il devint lui-même victime des événements; mais ni pendant son exil, ni depuis son retour, il ne s’est jamais permis d’accuser personne de ses malheurs, qu’il n’imputait qu’à la force irrésistible des choses et aux chances inévitables des grandes révolutions.
Rendu à sa patrie par le bienfait de l’homme immortel qui l’a délivrée et qui la gouverne si glorieusement, il n’a pas tardé à y devenir utile, en coopérant avec une constance infatigable à la rédaction de ce code, qui occupera toujours une des premières places parmi les monuments d’un règne si fécond en miracles.
Appelé au conseil d’état, il s’y montra, et par l’esprit et par le cœur, ce qu’il avait été toute sa vie; et lorsque pour récompenser ses talents et ses vertus, Napoléon le Grand lui confia le ministère des cultes, alors si délicat, il n’y eut personne qui n’applaudît à un tel choix, et qui ne convînt que c’était précisément l’homme qu’il fallait; vous savez, Messieurs, combien cette opinion publique s’est trouvée juste dans la suite. Honoré de la bienveillance de son prince, décoré du grand aigle de la Légion d’honneur, père, époux heureux et jouissant de l’estime générale, que lui restait-il à désirer?
Hélas! Messieurs, il n’est point dans cette vie de félicité parfaite: depuis longtemps la vue de M. Portalis s’affaiblissait d’une manière sensible et faisait craindre une entière cécité ; il ne se le dissimulait pas lui-même, et quoique son courage ne l’abandonnât point dans un état si pénible, ses jours en étaient pourtant mêlés d’amertume.
Tout à coup il prend une résolution hardie, il se condamne pendant plusieurs mois à des privations qu’il est difficile de soutenir, et se soumet à une opération longue et douloureuse. A peine il l’a subie, qu’un bruit se répand que l’opération a réussi, et vous vous rappelez, Messieurs, avec quelle satisfaction générale fut reçue cette heureuse nouvelle.
Malheureusement elle ne se confirma point, et vous vous rappelez aussi comment l’affliction succéda bientôt à la joie publique.
Je me souviendrai toujours avec attendrissement de la constance et de la résignation sublimes avec lesquelles cet homme vraiment vertueux supporta son malheur.
Pas une plainte, pas un murmure; et lorsqu’il reparut au milieu de ses collègues pour reprendre ses fonctions accoutumées, le même calme, la même sérénité, la même douceur et la même égalité d’humeur qu’auparavant. Il faut le dire, son infortune fut bien adoucie par les bontés de l’empereur, qui avait daigné témoigner à ce serviteur fidèle que ses services ne cessaient pas de lui être agréables.
Grand prince! cette sensibilité généreuse pour un homme de bien dans le malheur, vous honore autant que vos plus héroïques vertus.
M. Portalis supportant son état sans impatience et jouissant d’une bonne santé, qu’une vie constamment réglée fortifiait encore, nous pouvions nous flatter de le posséder longtemps, lorsqu’il a été frappé d’une mort inopinée.
Vous savez, Messieurs, quelle sensation cette mort a produite; mais après sa famille, dont il était si justement révéré et chéri, ce sont ses collègues qui lui doivent le plus de regrets; son image est empreinte sur la toile et sur le marbre, mais elle est plus profondément gravée dans leurs cœurs.