Читать книгу Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil - Jean-Étienne-Marie Portalis - Страница 8
Séance du jeudi 27 août 1807 .
ОглавлениеUn membre obtient la parole et dit:
Messieurs,
Je n’ai pas l’ambition de vous faire entendre un panégyrique de l’homme illustre que la France a perdu. Son meilleur, son véritable panégyrique, sera la mémoire des hommes éclairés et le cœur des gens de bien. Eh! quel Français un peu familier avec nos luttes politiques, et depuis avec les discussions du Code civil, ignore Portalis, cette imagination brillante et d’une inépuisable fécondité, cette érudition rare qui s’étendait à tout et surmontait tout, et cette mémoire infaillible qui parvint à suppléer, sans peine, à la perte du premier des sens.
J’entendis Mirabeau dans ma jeunesse; j’ai siégé près de ce Vergniaud qui commandait aux cœurs; et l’éloquence de Portalis ne pâlit point près de celle de ces deux orateurs si justement célèbres; mais s’il les balança par ses talents, combien ne les a-t-il pas surpassés par l’emploi qu’il en fit. Si la Provence applaudit encore, dans ses souvenirs, aux lumières du jurisconsulte, à l’intégrité de l’arbitre, à la logique pressante de l’avocat, la France entière s’enorgueillit de ses discours étincelants de beautés vraies, forts de justice, d’une sage politique, d’un patriotisme éclairé, qui préparèrent, hélas! à la tribune nationale, la proscription de leur auteur.
Loin de moi, Messieurs, bien loin de moi, l’intention d’exhumer les ressentiments des partis, dont aucun, je le pense, dans ces temps de vertige, ne fut exempt de torts ou d’erreurs. Mais le héros libérateur qui nous sauva de nous-mêmes, et dont l’incomparable génie, d’un coup d’oeil, sonde et devine les hommes, comme il maîtrise les événements, a jugé Portalis, comme je le fais à cette tribune.
Il voulut doter la France de ce Code régénérateur, si souvent promis et toujours en vain: Portalis fut appelé au conseil d’état.
Il voulut repousser le fanatisme et la superstition, en replaçant la morale sur ses fondements antiques, et combiner ainsi le catholicisme et la tolérance; et Portalis fut ministre des cultes.
Or, vous tous qui l’avez connu dans l’exercice de cette délicate et difficile délégation du pouvoir souverain, dites si l’on pouvait unir à un plus haut degré une obligeance sincère, une sagesse conciliante, des sentiments plus religieux, un respect plus constant pour les intentions du prince?
Cette conduite remarquable et soutenue n’était point un jeu de la politique, elle avait sa source dans le caractère et le cœur de cet homme célèbre. Il était dans la vie privée, pour sa famille et ses amis, tel qu’il s’est montré dans la carrière politique. Malheureux, fugitif et proscrit, il fut le même encore, et sa bonhomie native, sa simplicité touchante, ne triomphèrent pas avec moins de facilité de l’épreuve et de l’ivresse des grandeurs.
Je m’arrête, Messieurs, et je le redis en finissant: ce n’est point un panégyrique que j’ai voulu prononcer; mais j’ai cru qu’à cette tribune, sous ces voûtes qui rappellent avec énergie ses travaux et ses succès, vous me permettriez ce faible hommage à la mémoire d’un homme dont le nom vivra dans nos fastes, dont je partageai les infortunes et qui m’honorait de son amitié.
Un autre membre ayant obtenu la parole, prononce le discours suivant:
Messieurs,
Un sentiment pénible et douloureux que je m’honore de partager avec mes collègues, m’appelle à cette tribune, que je n’aborde pour la première fois qu’en hésitant.
M. Portalis, ministre des cultes, a cessé d’exister.
L’homme en qui l’empereur avait mis sa confiance pour la restauration de la plus auguste et de la plus salutaire des institutions, est tout à coup ravi à cette confiance si honorable.
Le ministre, si fort des volontés du grand Napoléon pour le rétablissement de la paix intérieure, et qui a opéré en son nom et sous son heureuse influence une des merveilles du règne présent, l’extinction des haines religieuses, est ravi à la reconnaissance et à l’affection de tous les gens de bien.
Si tous nous regrettons M. Portalis, qu’il soit permis à ceux qui, comme moi, viennent de ces départements de l’Ouest, si soumis, si paisibles, si religieux, de manifester plus spécialement de si justes regrets.
Je ne vous proposerai pas, Messieurs, de nommer une députation pour assister aux funérailles de M. Portalis, parce que cette marche pourrait sembler inusitée.
Mais chacun de nous peut rendre individuellement à sa mémoire ce dernier devoir.
Je me bornerai à demander que l’expression des regrets du corps législatif soit mentionnée au procès-verbal de la séance de ce jour, et qu’il en soit adressé un extrait par M. le président, à la famille de M. Portalis.
Le corps législatif adopte cette proposition, et ordonne l’impression des deux discours qui l’ont précédée.
CORPS LEGISLATIF.