Читать книгу Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil - Jean-Étienne-Marie Portalis - Страница 18

DES REGISTRES DE LA COUR DE CASSATION.

Оглавление

LETTRE DE S. M. L’EMPEREUR AU GRAND JUGE, MINISTRE DE LA JUSTICE.

Monsieur le comte Régnier, — Nous avons résolu de faire placer dans la salle de notre conseil d’état, les statues en marbre des sieurs Tronchet et Portalis, rédacteurs du premier projet du Code Napoléon, et dont nous avons été à même d’apprécier les grands talents dans les conférences qui ont eu lieu lors de la rédaction dudit Code; notre intention est que nos ministres, conseillers d’état et magistrats de toutes nos cours, voient dans cette résolution le désir que nous avons d’illustrer leurs talents et de récompenser leurs services, la seule récompense du génie étant l’immortalité et la gloire. Nous avons fait connaître nos volontés à notre grand maréchal du palais et à l’intendant de notre maison. Mais nous vous chargeons spécialement de porter tous vos soins à ce que les statues soient promptement faites et ressemblantes. Nous désirons que vous fassiez connaître ces dispositions à nos différentes cours. Cette lettre n’étant à autre fin, nous prions Dieu qu’il vous ait en sa sainte garde.

Signé : NAPOLÉON.

Burgos, 18 novembre 1808.

Le premier décembre mil huit cent huit, la Cour ayant été convoquée par M. le premier président, ainsi que M. le procureur général et ses substituts, et tous étant réunis dans la chambre du conseil, M. le premier président a dit: que l’objet de la convocation était de donner communication à la Cour, d’une lettre circulaire qui lui a été adressée par S. Exc. le grand juge ministre de la justice. C’est avec d’autant plus de plaisir qu’il l’a déposée sur le bureau pour que la lecture en soit faite, que cette lettre annonce de la part de S. M. l’Empereur, les sentiments et les dispositions les plus honorables pour les magistrats.

Lecture faite de la lettre, la Cour en a unanimement ordonné la transcription sur ses registres, et arrêté qu’il sera fait à S. M. l’Empereur une adresse de remercîment sur les témoignages d’honneur qu’il donne à deux hommes qui se sont illustrés dans les fonctions civiles qu’ils ont remplies, témoignages réversibles à tous les magistrats, pour lesquels ils deviennent un si puissant encouragement.

De suite l’adresse ayant été rédigée, lue et approuvée et individuellement signée par tous les membres présents, la Cour en a ordonné la transcription à la suite de la lettre, et a chargé M. le premier président de se rendre le plus tôt possible auprès de S. Exc. le grand juge ministre de la justice, pour lui remettre ladite adresse et le supplier d’en hâter l’envoi à S. M. l’Empereur et roi.

(Suit copie de la lettre circulaire de S. Exc. le grand juge ministre de la justice. )

A MM. les magistrats composant la Cour de cassation, les Cours d’appel et les Cours de justice criminelle.

C’est avec la plus douce satisfaction, Messieurs, qu’en exécution des ordres de S. M. impériale et royale, je vous donne connaissance de la résolution qu’elle a prise de faire placer dans le lieu des séances de son conseil d’état, les statues en marbre de MM. Tronchet et Portalis.

En leur décernant ces statues, l’Empereur a voulu honorer de grands talents qu’il avait appréciés, surtout dans le premier projet du Code Napoléon, dont ils furent les rédacteurs, en présidant les conférences mémorables qui ont précédé la rédaction définitive de ce Code immortel.

Mais ne croyez pas, Messieurs, que dans l’érection de ces monuments, Sa Majesté ait eu uniquement en vue ceux dont ils sont destinés à transmettre la mémoire et les traits aux siècles à venir, toujours guidé dans ses conceptions par les considérations supérieures du bien public et de la gloire nationale, l’empereur a étendu sa pensée beaucoup plus loin, il a voulu que les statues élevées à deux hommes illustres dans la carrière qu’ils ont parcourue, devinssent la source féconde de la plus noble comme de la plus utile émulation.

Vous en jugerez, Messieurs, par ce passage de la lettre que Sa Majesté a daigné m’écrire à ce sujet. Notre intention est que nos ministres, conseillers d’état et magistrats de toutes nos Cours voient dans cette résolution, le désir que nous avons d’illustrer leurs talents et de récompenser leurs services, la seule récompense du génie étant l’immortalité et la gloire. Quelles actions de grâces ne sont pas dues au grand prince, qui destine aux services et aux talents une aussi noble récompense!

Que les magistrats en conservent à jamais la plus vive et la plus respectueuse reconnaissance, et qu’ils la lui prouvent chaque jour par un redoublement de zèle, d’application et de dévouement à sa personne sacrée.

Recevez, Messieurs, les nouvelles assurances de mes sentiments affectueux. Le grand juge ministre de la justice, comte de l’empire.

Signé : RÉGNIER.

(Suit copie de l’adresse de remercîment.)

Sire, vos fidèles sujets les magistrats tenant votre Cour de cassation, ont reçu avec un sentiment profond de respect, de reconnaissance et de joie, la communication que S. Exc. le grand juge ministre de la justice leur a donnée au nom de Votre Majesté, de la résolution qu’elle a prise de faire placer dans le lieu des séances de son conseil d’état, les statues en marbre de MM. Tronchet et Portalis.

Sire, c’est en effet à celui qui a si rapidement parcouru et franchi toutes les routes de l’immortalité ; c’est à celui qui déjà l’a si glorieusement conquise, à en distribuer les palmes, et lorsque au milieu des sollicitudes de la guerre et du tumulte des armes, un souvenir généreux nous retrace les services de deux hommes qui ont honoré votre règne par leurs travaux en législation, par les lumières qu’ils ont portées dans votre conseil, par les vertus dont ils ont donné l’exemple, dans les magistratures que vous leur avez confiées, lorsque du milieu des camps vous posez sur leur tête la couronne civique, pour vous, Sire, quel nouveau genre de gloire, pour eux, quelle plus honorable justice; pour la France quel plus touchant spectacle, pour la magistrature quel plus noble encouragement!

En décernant un si magnifique honneur à la mémoire de MM. Tronchet et Portalis, vous manifestez la grande et utile pensée d’environner la magistrature de cette haute considération sans laquelle elle n’existe pas; aussi cet honneur devient à la fois et la récompense de tous les magistrats et une nouvelle garantie de leur application et de leur fidélité.

Lorsque le monarque sait ainsi dispenser la gloire, celle de tous ses sujets est dans leur dévouement à sa personne et dans leur zèle à le servir.

Sire, la cour de cassation en son nom et au nom de la magistrature entière de la France, vous remercie.

Nous sommes avec le plus profond respect, Sire, de Votre Majesté, les très-humbles, très-obéissants et très-fidèles serviteurs et sujets.

Du trois décembre mil huit cent huit.

Je soussigné premier président de la Cour de cassation, me suis porté ce jour au matin chez S. Exc. le grand juge ministre de la justice, auquel, en conformité de l’arrêté ci-dessus, j’ai remis l’adresse y mentionnée, et qui a bien voulu me promettre d’en faire dès ce jour même l’envoi à S. M. l’Empereur.

Les statues de Tronchet et de Portalis, exécutées par les ordres de l’Empereur, et placées au Louvre, sous la restauration, sont aujourd’hui à Versailles, où elles ont été transportés par ordre du roi Louis-Philippe.

Encore de son vivant, la réputation de Portalis était tellement établie, que dans le voyage de découverte aux Terres-Australes, entrepris et continué par Péron, dans les années 1801, 1802, 1803 et 1804, ce savant navigateur, si prématurément enlevé aux sciences et à la marine qu’il honorait par ses talents éminents, imposa le nom de Portalis à l’un des caps qu’il découvrit en Océanie . Depuis cette époque, les Anglais, possesseurs actuels de ces contrées, ont désignés ces mêmes lieux sous d’autres noms que l’usage a consacré, mais il n’en est pas moins intéressant de constater cette nouvelle preuve de l’ascendant exercé par les talents et les hautes vertus de cet homme célèbre.

Après sa mort, à côté des éclatants témoignages de respect et de douleur que nous avons déjà recueillis, on peut placer encore les services solennels célébrés spontanément en son honneur par les catholiques à Coutances, à Quimper, à Aix-la-Chapelle, dans la cathédrale de Vintimiglia, et dans un grand nombre d’autres villes: ceux que célébrèrent dans leurs temples les ministres de la religion réformée, et les hommages qui furent rendus à sa mémoire, par des prières solennelles, dans plusieurs synagogues.

Diverses inscriptions latines furent composées en son honneur, beaucoup de discours furent prononcés. L’un entre autres, en langue italienne, par Giacomo Pio Philippi, chanoine préposé à la cathédrale de Vintimiglia, et un autre, en langue allemande, par Jean Laurent Blessig, professeur de théologie, inspecteur ecclésiastique, membre du directoire de la confession d’Augsbourg, à Strasbourg.

Ce discours, dont l’épigraphe tirée de Pline indique suffisamment la haute idée que l’auteur avait de Portalis , est remarquable par l’élévation du style et des pensées, où respirent les plus nobles sentiments de tolérance et d’humanité ; on y rencontre le passage suivant, qui paraîtrait avoir été écrit sous l’impression des circonstances présentes, et qui est relatif aux rapports respectifs de l’Irlande et de l’Angleterre. L’orateur faisant allusion à la belle consultation de Portalis sur la validité du mariage des protestants, s’écrie en s’adressant à Servan, Tronchet, Portalis et Malesherbes

«Vous tous, vaillants défenseurs, non d’une tolérance précaire,

» mais de l’immuable et éternelle justice qui, à votre voix, fut solennellement

» rendue aux protestants en France! puissent votre

» mâle courage et le généreux esprit public qui vous anima,

» trouver leur récompense dans l’accomplissement d’un vœu que

» nous formons tous ici de concert, d’entendre proclamer bientôt

» la parité civile de toutes les confessions religieuses en Europe,

» et le respect mutuel pour le sanctuaire de la conscience.

» Les protestants de France attendent avec impatience le moment

» où ces généreuses maximes pénétreront enfin dans cette

» île, notre voisine, trop longtemps notre rivale et notre ennemie,

» pour que, d’accord avec elle-même dans le haut prix qu’elle

» attache à la liberté de penser, elle prête l’oreille aux vœux

» que ses ministres et ses représentants les plus distingués ont

» fait retentir naguère encore dans le sénat de la nation en faveur

» des catholiques irlandais, dont le sort intéresse toutes les

» âmes honnêtes de notre hémisphère.»

De tous les points du vaste empire de Napoléon, tout ce qu’il y avait d’élevé dans l’église, dans l’état, dans les sciences et la littérature, exprima dans un grand nombre de lettres adressées à la famille de Portalis les regrets et la douleur que causait universellement sa mort prématurée. Au milieu de ces nombreux et souvent fort curieux autographes, nous avons distingué surtout quelques lignes pleines de naturel et de bonté que l’impératrice Joséphine avait adressées à la veuve de Portalis, et une lettre, pleine de franchise et de sentiment, écrite par le prince Eugène de Beauharnais, dont le noble et héroïque caractère est une des gloires de notre siècle.

Les statues érigées en l’honneur de Tronchet et de Portalis ne furent terminées que sous la restauration , et furent placées au Louvre sur l’escalier qui conduisait à la salle où le conseil d’état tenait ses séances. Depuis 1830 elles ont été placées au château de Versailles, dans une des galeries du rez-de-chaussée. Le portrait en pied de Portalis, peint par Gautherot, mis d’abord au château de Compiègne, dans la galerie des Ministres, se trouve aussi à Versailles, dans une des galeries de portraits, situées dans les attiques du château. Lorsque le conseil d’état a été transféré au quai d’Orsay, M. Collin fut chargé de faire le portrait de Portalis pour la grande salle des séances publiques du conseil, et ce portrait, peint avec soin, y figure actuellement.

La chambre des pairs a également demandé qu’une statue de Portalis fût placée dans l’hémicycle qui se trouve derrière le fauteuil du chancelier; ce vœu a été ratifié par le gouvernement, et M. Ramus, artiste plein de talent et compatriote de Portalis, a exécuté avec talent cette œuvre importante. Il est également chargé d’exécuter les statues dont le conseil municipal de la ville d’Aix et le conseil général du département des Bouches-du-Rhône ont voté l’érection en l’honneur de Portalis et de son illustre beau-frère le comte Siméon. Ces deux statues seront placées dans le palais de justice de la ville d’Aix, où tous deux, jeunes avocats au parlement de Provence, ils ont obtenu leurs premières couronnes.

Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil

Подняться наверх