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CHAPITRE V.

Table des matières

DU TRAVAIL.

L’ÉTUDE de l’économie politique peut dessécher les esprits étroits, et ne leur laisser voir sur la terre que des marchandises, des ventes et des profits; mais cette étude sera toujours pour les esprits doués de quelque étendue, une source de nobles méditations sur les moyens d’améliorer le sort des hommes et sur les bienfaits de l’éternel auteur des choses.

Lorsqu’on examine quels sont les agens de la production, on reconnaît que la nature et l’homme concourent à faire naître les richesses. Toutes les substances minérales, végétales, animales, sur lesquelles s’exercenotre industrie, sont les produits d’un travail occulte, mystérieux, que nous n’aurons jamais le pouvoir de suppléer. Ces grains que sème le laboureur sont nés de la terre, et lorsqu’ils lui sont rendus, le sol, l’eau, l’air, la chaleur, la lumière, travaillent de nouveau pour féconder ces germes qui se développent ou périssent au gré d’une puissance supérieure à la nôtre.

Sans exagérer la part de l’homme à la production des richesses, cette part est immense. Les grandes forces physiques sont hors de lui, mais une force intelligente est en lui. Avec elle, souvent il domine et dirige les premières. Dans des lieux où la nature offrait des végétaux sans valeur, il contraint le sol à lui préparer d’abondantes récoltes. L’air qui passe sur ces collines, l’eau qui tombe de ces rochers, se perdaient inutiles; l’industrie leur présente des machines; et l’eau, l’air, dociles ouvriers, leur impriment le mouvement. Le feu même, dompté, laisse obéir a nos arts ses forces redoutables.

L’influence féconde que le travail de l’homme exerce sur la nature fait penser à Smith que ce travail est le seul agent de la production des richesses. Toutefois, il est impossible qu’un si judicieux observateur ait méconnu des vérités frappantes d’évidence. L’homme peut se considérer, au milieu des agens de la nature, comme un chef que de nombreux ouvriers environnent, dans un immense atelier; mais quels résultats obtiendrait - il sans leur secours? Si, tout-à-coup, les agens naturels étaient privés de leur activité par la main qui la leur a donnée, que deviendrait l’homme, alors même qu’il conserverait son intelligence et sa force? Quel effroi le glacerait en voyant l’immobilité des machines qu’inventa son génie! Avec quelle stupeur il attacherait ses regards sur une terre morte, que ne pourraient plus ranimer ses travaux!

L’homme ne peut rien sans le concours des agens naturels; mais il opère des prodiges en les dirigeant, en leur communiquant pour ainsi dire son intelligence. On voit ses forces ingénieuses produire une multitude d’ouvrages, que les forces aveugles de la nature n’auraient jamais créés.

La classe dont les travaux produisent les richesses est la plus nombreuse, la plus active; c’est elle qui donne à la société ce mouvement, cette vie extérieure, dont on est si frappé quand on visite un pays peuplé d’hommes industrieux.

Les uns labourent les plaines, ou cultivent la vigne sur le flanc des collines, ou portent la hache dans les forêts, au sommet des montagnes; d’autres s’enfoncent dans lés entrailles dè la terre, pour exploiter les mines et les carrières; d’autres trouvent leur existence dans la pêche, si paisible au bord des ruisseaux et des fleuves, si hasardeuse sur les mers; d’autres rapportent de leurs chasses le gibier et les pelleteries. Tous ces travaux se réunissent sous le nom d’industrie agricole.

Des hommes, non moins laborieux, façonnent les matières brutes pour les approprier aux divers usages que réclament nos besoins, nos goûts et nos caprices. Les ouvrages travaillés dans une fabrique passent successivement dans plusieurs autres; et, dans chacune d’elles, redeviennent matières premières. Les moyens de produire sont aussi variés que les produits: là, on fait mouvoir ces machines dont la force surpasse immensément les forces humaines; ici, on use de procédés minutieux avec une ingénieuse adresse. Nos alimens, nos habitations, nos meubles, nos vêtemens, nos parures occupent non-seulement les bras d’une multitude d’ouvriers, mais encore l’esprit de beaucoup de gens habiles à trouver des préparations, des formes nouvelles, pour satisfaire nos goûts et réveiller nos désirs. L’industrie manufacturière s’exerce sur des objets si nombreux et si variés que je fatiguerais le lecteur si j’indiquais les principaux genres de fabriques et de métiers qu’elle embrasse.

Enfin, des hommes voués à l’industrie commerciale transportent les produits où les besoins des consommateurs les appellent: ils vendent en détail, en gros, dans l’intérieur, à l’extérieur; ils font parvenir les marchandises d’un pays étranger à d’autres contrées étrangères. Source du plus grand mouvement social, cette industrie occupe une foule d’agens, depuis le roulier qui conduit de lourds transports, jusqu’au banquier dont la signature facilite, dans les deux mondes, les paiemens du commerce et même ceux des gouvernemens.

Telle est la division de l’industrie en trois branches principales. Les lois ne doivent jamais régler la division du travail; ce serait priver beaucoup d’hommes des moyens d’existence qu’ils ont ou qu’ils peuvent se former, ce serait imposer une gêne funeste à la distribution, ainsi qu’à la production des richesses. Les divisions utiles s’établissent d’elles-mêmes. Si, dans une peuplade, chaque individu tente de pourvoir seul à ses besoins, la misère de tous est extrême. Mais, à l’instant où ces hommes s’aperçoivent que chacun d’eux pourrait travailler exclusivement à produire un des genres d’objets qui leur sont nécessaires, et se procurer les autres par des échanges, les progrès de la civilisation commencent. Chaque individu gagne le temps qu’il perdait à passer d’une occupation à une autre, et bientôt acquiert la dextérité que donne l’habitude des mêmes mouvemens. A mesure que l’industrie se développe, la division se subdivise, les subdivisions se divisent encore, et finissent par être portées à tel point que, dans plusieurs fabriques, par exemple dans celles d’épingles ou de cartes à jouer, un objet de la plus mince valeur est le résultat du travail de vingt ou trente ouvriers, dont chacun a produit rapidement une seule partie de cet objet.

L’abondance, la perfection et le bas prix d’un grand nombre d’ouvrages sont dus à la division du travail, qu’il faut regarder comme une des causes les plus puissantes de l’accroissement des richesses, et de l’aisance dont jouissent les peuples civilisés. Cependant, elle excite les inquiétudes et les plaintes d’observateurs chagrins. L’ouvrier, disent-ils, est réduit à une opération tellement simple que l’intelligence n’est plus nécessaire pour l’exécuter; l’ouvrier devient une machine vivante, et les merveilles de l’industrie s’achètent par la dégradation de l’homme.

On peut à ces idées opposer un fait incontestable. Depuis que l’industrie se perfectionne en Europe, on a vu s’accroître à-la-fois la division du travail et le développement de l’intelligence; dans les classes inférieures de la société. Ainsi les effets nuisibles de cette division sont compensés, et au-delà, par l’influence qu’exercent, sur les facultés intellectuelles des peuples, l’aisance plus répandue et le mouvement d’idées qui l’accompagne.

Je suis loin, cependant, de vouloir qu’on ferme les yeux sur les dangereux effets que des travaux purement mécaniques ont sur un certain nombre d’individus; je pense qu’il importe de s’attacher à combattre ces effets. La division du travail, au point où elle est portée maintenant, peut fournir un argument très solide pour prouver combien il est essentiel que l’instruction populaire soit très répandue, et que les cultes ne se réduisent pas à des pratiques machinales.

On aurait des idées fort incomplètes sur les travaux qui concourent à former les richesses, si l’on supposait qu’ils sont tous renfermés dans les trois genres d’industrie dont j’ai parlé. Il est des travaux d’un ordre supérieur, qui perfectionnent et multiplient les moyens de créer des richesses. A ces mots, la pensée du lecteur se dirige vers les savantes recherches en mécanique, en chimie, en physique, vers les hautes méditations auxquelles nous devons tant de perfectionnemens dans les arts usuels, dans les exploitations agricoles et manufacturières. Il y a quarante ans, lorsqu’on parlait aux fabricans des améliorations qu’un savant leur conseillait d’introduire dans leurs ateliers, ils montraient de l’incrédulité et même du dédain. Aujourd’hui, lorsqu’un savant visite une manufacture, il est reçu avec respect, consulté avec empressement, écouté avec confiance. Un tel changement doit avoir des résultats incalculables.

D’autres genres de travaux influent, d’une manière indirecte mais puissante, sur l’accroissement des richesses. Les magistrats qui font régner l’ordre dans l’état, les militaires qui le garantissent des attaques de l’ennemi, rendent aux arts des services qu’on pourrait évaluer en calculant les pertes commerciales qui sont inévitables au milieu des troubles civils et des invasions étrangères.

Les occupations des ministres des cultes, des instituteurs, des écrivains amis de l’humanité, contribuent à faire naître l’aisance. En ne considérant que les richesses, les nations auraient encore un grand intérêt à propager la morale, qui rend les hommes plus intelligens et plus laborieux, plus disposés à s’entr’aider, et plus fidèles à leurs engagemens.

Les produits immatériels et les produits matériels, si différens par leur nature, ont entre eux des rapports multipliés. Un père donne des produits matériels pour qu’on enrichisse son fils d’utiles connaissances; et peut-être un jour ce fils offrira-t-il à l’industrie des secours nouveaux, par les produits immatériels de sa pensée. Les producteurs de richesses doivent un hommage aux purs travaux de l’intelligence. Tout ce qui peut éclairer les esprits, adoucir les mœurs, exerce une influence heureuse sur les moyens de perfectionner les arts, et d’appeler un plus grand nombre d’êtres à jouir de leurs bienfaits.

Économie politique: Principes de la science des richesses

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