Читать книгу Économie politique: Principes de la science des richesses - Joseph Droz - Страница 15

Оглавление

CHAPITRE PREMIER.

Table des matières

IMPORTANCE DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

LA plupart des écrits sur l’économie politique dirigent trop exclusivement l’attention du lecteur vers la production des richesses; il semble qu’on veuille produire uniquement pour produire; on ajoute ainsi à la sécheresse d’une science qui ne peut intéresser que par son but. Ce but étant de satisfaire les besoins des hommes, il importe que les richesses soient bien distribuées, c’est-à-dire réparties dans un grand nombre de mains. On diffère trop d’exposer, de développer ces vérités, lorsqu’on rattache à la production tous les sujets qui présentent des rapports avec elle. On évitera ces inconvéniens si l’on observe qu’il y a des questions spécialement relatives à la formation des richesses, d’autres à leur distribution, mais qu’il en est beaucoup aussi qui concernent, à-la-fois, les deux premières parties de l’économie politique. Je consacre à ces sujets mixtes le second livre de cet ouvrage.

Le bonheur d’un état dépend moins de la quantité de produits qu’il possède, que de la manière dont ils sont répartis. Supposons deux états également peuplés, dont l’un a deux fois plus de richesses que l’autre. Si les produits sont mal distribués dans le premier, qu’ils le soient bien dans le second, celui-ci offrira la population la plus heureuse. Aucun pays n’est aussi remarquable que l’Angleterre, sous le rapport de la formation des richesses; en France, leur distribution est meilleure: j’en conclus qu’il y a plus de bonheur en France qu’en Angleterre.

C’est pour que la distribution soit abondante qu’il est à desirer que la production soit considérable. Mais, lorsque nous méditons, souvent il arrive, à notre insu, qu’une idée se substitue, dans notre esprit, à une autre idée. Ainsi, nous pensons d’abord à la prospérité publique; et, pour l’accroître, nous examinons comment on peut multiplier les richesses: bientôt, préoccupés de cet examen, nous ne songeons plus qu’aux richesses; le moyen devient un but, et le bonheur est oublié. La facilité avec laquelle s’opèrent ces changemens d’idées est une grande cause d’erreurs. Un écrivain distingué en économie politique, Ricardo, prend la plume pour être utile à ses semblables; mais, entraîné par ses calculs, il semble quelquefois oublier les hommes et ne tenir compte que des produits. Par exemple, il établit que dans une contrée où se trouvent dix millions d’habitans, si le travail de cinq millions d’entre eux suffit pour les nourrir et les vêtir, ce pays n’aurait point d’avantage à compter douze millions d’habitans, si le travail de sept millions devenait nécessaire pour obtenir les mêmes résultats . Il lui est donc indifférent que deux millions d’individus existent ou n’existent pas, si le produit est le même. En lisant certains économistes, on croirait que les produits ne sont pas faits pour les hommes, et que les hommes sont faits pour les produits.

Les richesses bien distribuées mettent les habitans d’un état dans une situation favorable pour en créer de nouvelles. Si la distribution est tellement vicieuse que les uns aient presque tout, et que les autres n’aient presque rien, les premiers n’ont pas plus la volonté d’encourager l’industrie que les seconds n’ont la possibilité de s’y livrer. Tout languit: l’intelligence est engourdie; les hommes ne savent se procurer ni des travaux ni des plaisirs. Sous le gouvernement féodal, le luxe des seigneurs consistait à s’entourer d’un nombreux domestique, et leur passe-temps favori était la chasse. Pour satisfaire de pareils goûts, il suffisait du revenu de leurs domaines mal cultivés et du vaste espace de leurs forêts. Les arts leur semblaient méprisables; et de pauvres vassaux ne pouvaient tenter d’éveiller leurs desirs par des produits variés. On croirait qu’il n’est aucun moyen pour sortir de cet état d’ignorance et de misère, si l’expérience n’apprenait quels prodigieux changemens peuvent être opérés, à la longue, par une suite de causes et d’effets qui deviennent causes à leur tour, et produisent des effets toujours plus remarquables. Avec le temps, il arrive que des vassaux, plus intelligens que les autres, apportent dans les châteaux quelques produits d’une industrie naissante. Leurs gains les encouragent, et leur exemple a des imitateurs. Les grands propriétaires commencent à concevoir qu’il peut exister des plaisirs ignorés de leurs pères: ceux qui voyagent, ceux que la guerre entraîne au loin, sont frappés par la vue d’objets qui leur plaisent, et qu’ils aimeraient à retrouver dans leur pays. Animés par des désirs nouveaux, ils sentent le besoin d’augmenter et d’employer différemment leurs revenus: ils prennent intérêt aux progrès de la culture, afin d’accroître la rente de leurs domaines; ils renvoient des valets, dont les gagesse changent en salaires pour des artisans. Le travail est excité, la misère diminue, l’intelligence se développe, les capitaux se forment, et le travail prend un nouvel essor. Dans ces heureux changemens, la distribution des richesses se présente, tantôt comme un effet, tantôt comme une cause: née de l’industrie, elle en est devenue la gardienne et le moteur.

Je dois reconnaître une exception au principe qui fait dépendre, en grande partie, la formation des richesses de leur bonne distribution. Il est des contrées où elles sont réparties de la manière la plus vicieuse, et cependant où la production est très considérable. Pour opérer ce phénomène, deux conditions sont nécessaires: l’une, c’est que les hommes qui ont tout soient intelligens; l’autre, c’est que ceux qui n’ont rien soient esclaves. Alors, une contrée ressemble à un vaste atelier, garni de machines vivantes, que des êtres industrieux font mouvoir. Tel est le spectacle que présentent ces déplorables colonies, où l’Européen condamne les noirs à s’exténuer pour lui. Ne cherchons point à prouver que le travail des hommes libres coûterait moins que celui des esclaves. J’admets que ce fait est douteux. Peut-être, sous un ciel brûlant, l’homme libre travaillerait-il moins que l’esclave; peut-être la supériorité de son intelligence n’offrirait-elle pas une compensation suffisante. Qu’importe que ces conjectures soient justes ou fausses? Les questions sur la liberté, et sur le rang des hommes sont-elles des questions mercantiles? Quand les partisans de la traite vantent les profits qu’ils lui doivent, et s’imaginent la justifier ainsi, je crois entendre des brigands qui prétendraient se faire absoudre, en prouvant que leurs crimes sont lucratifs.

Hâtons - nous d’observer qu’une production abondante ne peut être obtenue par le moyen exécrable dont je viens de parler, que dans le cas où les travaux sont tellement simples que les ouvriers n’ont pas besoin d’intelligence. Si l’on veut qu’un pays soit fécond en produits variés, il est indispensable de le peupler d’hommes industrieux et de leur garantir qu’ils jouiront des fruits de leurs travaux. Ainsi, l’exception confirme le principe que la bonne distribution des richesses est un moyen puissant de les multiplier.

Économie politique: Principes de la science des richesses

Подняться наверх