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CHAPITRE III.

Table des matières

DE L’UTILITÉ, DE LA VALEUR ET DU PRIX.

LA propriété qu’une multitude d’objets ont de servir à nos besoins, se nomme utilité. Ceux de ces objets qui sont répandus en si grande abondance que chacun peut se les procurer, n’ont point de valeur. Tels sont l’air et la lumière. La valeur est une qualité des choses susceptibles d’être échangées.

L’utilité peut exister sans la valeur, mais la valeur a pour base nécessaire l’utilité. On ne veut rien donner d’un objet inutile; mais qu’une heureuse découverte révèle que ce même objet peut satisfaire des besoins naturels ou factices, il va peut-être acquérir une valeur prodigieuse. Une plante étrangère qui ne peut servir d’aliment, et dont la fleur n’a rien d’agréable, eût été connue des seuls botanistes. On apprend que sa feuille séchée, roulée en tube ou réduite en poudre, a des effets salutaires, que son parfum dissipe les ennuis, éveille les idées de l’homme studieux, et délasse l’ouvrier courbé sous de rudes travaux. En peu d’années, des multitudes de bras cultivent cette plante, et de nombreuses manufactures s’élèvent pour la préparer. Cette industrie nouvelle en fait naître d’autres; il y a des fabriques de pipes et de tabatières. Une foule de petits marchands doivent leur existence à ces produits variés; de riches négocians font voguer au loin leurs navires qui rapportent des cargaisons de tabacs précieux; et les gouvernemens établissent d’énormes impôts sur une plante long-temps inaperçue.

L’utilité n’est pas le seul principe de la valeur; il faut trouver quelque obstacle à se procurer un objet utile, pour qu’on veuille donner un autre objet en échange. L’eau est si commune que nous ne la payons pas; nous payons seulement le travail de celui qui nous l’apporte : si cependant elle devient rare, il faudra l’acheter. Dans les montagnes de mon pays, durant les chaleurs de l’été, on vend quelquefois très cher l’eau des neiges, qu’on a pris soin de recueillir pendant l’hiver et le printemps. Il est des situations déplorables où les biens que la nature dispense avec le plus de libéralité, deviennent très difficiles à se procurer; alors ils peuvent être échangés, ils peuvent être vendus. Plus d’un infortuné, près de périr au fond d’un cachot infect, obscur, n’a-t-il pas, à prix d’or, acheté d’un avide geôlier, un peu d’air extérieur et de lumière du jour?

L’utilité et la rareté sont les deux élémens de la valeur. Si le second paraît tenir lieu du premier, c’est une illusion. Les futilités qui brillent dans un riche magasin, les pierreries, les bijoux n’ont rien d’utile, dit-on, et, cependant, ils ont une grande valeur. L’utilité, telle que je l’ai définie, est la propriété que certains objets ont de satisfaire nos besoins. Des besoins factices peuvent égaler, surpasser même en intensité des besoins naturels. Une femme jeune, frivole, qui craint de voir, le lendemain, sa parure éclipsée dans une fête, dort peut-être d’un sommeil moins tranquille que la pauvre mère de famille heureuse d’avoir pu donner du pain à tous ses enfans, en retranchant de sa nourriture. La rareté excite, dans quelques personnes, un désir de possession: les objets qui font naître ce désir ont, par cela même, de l’utilité , puisqu’ils peuvent dissiper la souffrance légère ou vive, dont un besoin non satisfait est toujours accompagné. Les manufacturiers créent de l’utilité toutes les fois qu’ils produisent des choses qui se vendront; et parmi celles dont ils rendent tributaires les besoins factices, il en est qu’on voit s’élever à une grande valeur, parce que, d’une part, elles ont exigé un travail difficile et très cher; et que, de l’autre, elles sont offertes à des gens opulens que stimule dans leurs dépenses l’aiguillon de la vanité.

On remarque sans doute que le mot utilité n’a pas, en économie politique, le sens rigoureux qu’il reçoit en morale. Ces deux sciences paraissent donc opposées sur un point important; mais l’observateur les voit bientôt se rapprocher et se réunir;

Lorsque ces sciences reposent sur des principes exacts, elles se prêtent un mutuel secours. La morale, effrayée des vices qui naissent de la misère, accorde une juste importance aux divers moyens de bannir ce fléau. Dans le nombre des objets que l’industrie vend aux besoins factices, je n’en connais guère. d’aussi futiles que les dentelles; et cependant un homme raisonnable peut considérer leur fabrication avec intérêt. Cette fabrication est une ressource pour des milliers de femmes qui s’en occupent dans les intervalles que leur laissent les soins du ménage. Le salaire est bien modique; et toutefois il diminue la gêne de beaucoup de familles; il procure l’aisance à quelques autres. Les ouvrières ont leurs métiers chez elles; la mère instruit sa fille, et la fait travailler sous ses yeux; en sorte que cette industrie est plus propre à conserver l’union des familles et les bonnes mœurs, que telle autre industrie infiniment plus utile. La morale ne proscrit point les travaux dont l’objet est frivole, mais qui contribuent à répandre l’aisance et la sagesse dans la classe nombreuse: en même temps, elle attache plus d’intérêt aux travaux dont les produits, vraiment utiles, satisfont, non les désirs de la vanité, mais les besoins des hommes. Loin de contredire ces jugemens, l’économie politique démontre que les genres de fabrication qui subviennent aux besoins véritables sont la source féconde de la prospérité d’un état, que par le nombre de bras qu’ils emploient, et par les richesses qu’ils versent en abondance, ils sont incomparablement supérieurs à ces petits genres d’industrie, dont les produits brillans sont destinés à peu d’individus. L’économie politique fait voir qu’un père, libre de choisir pour son fils un métier, doit préférer un de ceux que rendent nécessaires nos besoins réels. C’est avec ces métiers qu’on est le plus certain de trouver toujours à gagner sa vie. Des circonstances imprévues çontraignent souvent les hommes à restreindre leurs dépenses. Une guerre, des troubles intérieurs jettent la société dans un état de crise; et si l’on réduit alors les dépenses nécessaires, que sera-ce des dépenses superflues? Sans qu’il arrive des calamités, l’influence changeante de la mode suffit pour rendre onéreuse demain une entreprise aujourd’hui lucrative. Il est évident que la fabrication et le commerce des objets utiles, dans l’acception rigoureuse de ce mot, sont les plus assurés, les plus propres à garantir cette aisance, cette sécurité de la famille, que doit avoir en vue l’homme laborieux, instruit de ses vrais intérêts. Ces observations font disparaître la contradiction qui semblait exister, sur un point essentiel, entre la morale et l’économie politique.

L’utilité et la rareté, ces deux conditions nécessaires de la valeur, ont des effets bien différens. L’une est avantageuse pour tous; l’autre est généralement nuisible, puisqu’elle implique l’idée de privation pour le grand nombre. Les hommes sont d’accord sur la première; ils diffèrent, selon leurs positions, dans les jugemens qu’ils portent sur la seconde. Ainsi, le manufacturier desire que les matières brutes soient communes, pour les avoir à bon compte, et que les matières fabriquées soient rares, pour leur conserver beaucoup de valeur. Dans la suite de cet ouvrage, nous verrons l’économie politique rejeter les petites considérations de l’intérêt particulier; nous la verrons s’occuper d’accroître l’utilité, et de combattre la rareté.

Les idées générales que j’ai données sur la valeur ne font point connaître comment on l’apprécie avec une certaine exactitude, comment on parvient à déterminer le prix des choses. Le prix, c’est la valeur exprimée en numéraire.

Il semble, au premier aperçu, que l’évaluation des marchandises doive être fort arbitraire, qu’elle doive uniquement dépendre du besoin que tel a d’acheter et tel autre de vendre; qu’en conséquence, à la même heure, dans le même marché, on verra, pour des objets de même espèce, payer des prix très différens. Il n’en est cependant pas ainsi: la valeur de chaque marchandise se trouve généralement fixée; et, lorsqu’elle varie, la hausse ou la baisse est également déterminée d’une manière générale. Comment s’opère ce phénomène de l’évaluation uniforme?

La fabrication d’une marchandise exige des frais. L’entrepreneur achète des matières premières, paie des salaires, etc. Ces frais sont des avances dont la valeur passe dans l’objet manufacturé. Quand le producteur vend cet objet, s’il est remboursé de ses avances, et ne touche rien de plus, il vend au prix de fabrication. Cependant, il devait raisonnablement espérer un profit. Le montant des avances et ce juste bénéfice forment le prix réel d’une marchandise.

En supposant que les avances n’aient pas été trop considérables par la faute des producteurs, qui souvent ont de l’impéritie, de la négligence etc., il serait à desirer que les produits se vendissent toujours à leur prix réel. Ni les vendeurs ni les acheteurs n’auraient à se plaindre, et les richesses se répandraient de la manière la plus favorable à l’aisance générale. Mais souvent on dit, et l’on s’exprime avec justesse, que telles marchandises viennent d’être vendues au-dessus ou au-dessous de leur valeur réelle. Il y a donc, pour les prix, un régulateur plus puissant que ceux dont je viens de parler.

Rarement l’acheteur s’inqniète-t-il des frais qu’exige la fabrication des objets qu’il marchande; et peut-être n’est-il pas moins rare que le vendeur se restreigne au plus juste bénéfice, s’il peut l’élever sans nuire à son commerce. Lorsque des marchandises sont offertes en abondance, et sont peu demandées, il est évident que les acheteurs sont maîtres de faire baisser les prix par les vendeurs empressés d’obtenir la préférence. Lorsque, au contraire, les demandes sont nombreuses, et les marchandises trop rares pour les satisfaire entièrement, les vendeurs sont, à leur tour, dans la situation avantageuse où l’on est maître du marché. C’est donc la balance de l’offre et de la demande qui règle le prix courant.

Après avoir reconnu ce fait incontestable, observons que la force des choses lutte sans cesse pour rapprocher le prix courant du prix réel. En effet, si la surabondance de marchandises fait trop baisser le prix courant, plusieurs manufacturiers cherchent un autre emploi de leur industrie et de leurs capitaux; d’autres restreignent leur fabrication; la quantité des produits diminue, et se réduit à-peu-près au niveau des demandes. Si au contraire le prix courant est très élevé, parce qu’il y a beaucoup d’acheteurs et peu de fabricans, la certitude de vendre encourage ceux-ci à produire davantage; l’espoir de partager leurs hauts bénéfices fait naître de nouveaux producteurs; la quantité des marchandises augmente, et l’effet de leur abondance est de les rapprocher du prix réel.

Tel est du moins le cours des choses dans les pays où la législation garantit à l’industrie les bienfaits de la liberté. C’est lorsque les gouvernemens établissent des monopoles, des corporations, des privilèges, que les prix de vente peuvent être long-temps maintenus à un taux fort différent du prix réel.

Aux bienfaits de la liberté, il faudrait unir ceux de l’instruction et de la morale, qui peuvent aussi contribuer à faire prévaloir le prix réel des choses. L’opinion flétrit un homme s’il abuse de l’ignorance ou du malheur d’un autre, soit pour lui vendre une marchandise à un prix excessif, soit pour la lui acheter à vil prix; mais combien d’abus moins graves, de friponneries moins criantes, excitent à peine des reproches et n’éveillent aucun scrupule! Tout ce qui répandrait la bonne foi, le désir de s’entr’aider, contribuerait à multiplier les richesses et les moyens d’en jouir.

Économie politique: Principes de la science des richesses

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