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TABLETTES
ANGLAISES.

Table des matières

ARRIVÉE.

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Quelle autre cité, s’écrièrent-ils, en voyant la fumée qui s’élevait au-dessus de ses murailles, quelle autre cité fut égale à cette grande cité!

Apocalypse.

Un jour mon ami Amirau vint me voir pour me décider à effectuer un voyage projeté depuis fort long-temps, mais d’une manière vague. Après avoir combattu pour son pays, Amirau a quitté l’épée pour la robe, et la théorie pour le code. Avocat à la cour royale de Paris, il s’est chargé plusieurs fois de la défense des causes politiques; dernièrement, il prit si fort à cœur l’intérêt d’un de ses cliens, qu’il se fit interdire pour six mois; il était donc condamné au repos, moi je n’avais pas grand’chose qui me retînt à Paris; le plaisir de voyager avec lui me détermina presque autant que le désir de voir l’Angleterre.

L’expédition de nos passeports retarda notre départ de quelques jours. Le mien fut prêt tout de suite: cela n’est pas surprenant; ni les commissaires, ni le préfet de police n’avaient entendu parler de moi avant cette époque. Celui d’Amirau éprouva plus de difficultés. Enfin le conseil de discipline intervint auprès des autorités, parce qu’il calcula, dans l’intérêt du licencié, que pendant que la parole lui serait interdite, il pourrait composer des mémoires à consulter et se mettre encore plus mal dans les papiers de la cour.

Nous partîmes enfin; et, au bout de trente-six heures, nous fûmes en Angleterre.

Et vite! et vite! dis-je à mon compagnon de voyage, en l’aidant à descendre du lit où les angoisses du vomissement l’avaient confiné; venez, saluer le rocher de Douvres et les côtes de l’Angleterre.–Que le diable l’emporte avec tous ses paquebots! me répondit-il d’abord; et cependant comme la douleur n’avait pas tout-à-fait amorti sa curiosité, il monta avec moi sur le tillac où la fraîcheur de l’air et la modération du roulis le mirent bientôt à même d’observer à son aise ce qu’on découvrait sur les côtes et ce qui se passait auprès de nous. A bord tout était plus vivant et plus animé que de coutume: les manœuvres se succédaient avec rapidité, les matelots chantaient pour les exécuter avec ensemble, tandis que le capitaine jurait dans son portevoix. Ceux des passagers (et c’était le plus grand nombre) qui rentraient dans leur pays après une absence de trois ou quatre ans, avaient oublié tout-à-coup le flegme britannique qui leur avait fait garder le silence et le repos pendant toute la traversée. En apercevant le château de Douvres, leurs yeux étaient devenus brillans, leurs gestes animés; ils se le montraient les uns aux autres, ou le décrivaient à leurs enfans qui étaient trop jeunes pour se souvenir de ce qu’ils avaient vu en partant. En approchant de leur terre natale, l’enthousiasme les avait rendus bavards et grimaciers comme des Italiens.

Les femmes qui étaient à bord, faisaient une toilette im-promptu pour emporter sur elles les chapeaux de paille, les plumes, les bonnets garnis de fleurs, les robes, et les autres chiffons de fabrique française sur lesquels il y a des droits équivalens à une prohibition complète. Plusieurs profitaient de ce moment pour cacher sous leurs jupons ou dans la forme de leurs chapeaux, des gants ou quelques aunes d’étoffes de soie qu’elles voulaient passer en contrebande.

Quand on arrive pour la première fois dans un pays étranger, et surtout dans un pays qui diffère autant que l’Angleterre de la France, les premières heures du séjour fournissent aux yeux et aux oreilles une telle quantité d’impressions neuves, que l’esprit n’a le temps d’en enregistrer qu’une bien faible partie. Les pertes que nous faisions en ce genre nous étaient peu sensibles, parce que nous étions sûrs de nous dédommager amplement aussitôt après notre arrivée à Londres. Nous ne fîmes donc attention ni à la forme des maisons de Douvres, ni à la manière dont ses rues sont éclairées, ni à la voix des crieurs de nuit, ni à la manière dont le souper fut composé et servi. Nous nous inquiétâmes peu d’être pris pour les plus sauvages de tous les Français, par la demoiselle de la maison, dont les yeux agaçans sont célèbres à Londres et par la servante de l’auberge, qui souhaite à tous les voyageurs des bonsoirs d’une longueur étonnante. Mais nous ne pûmes, soit dit par anticipation, nous empêcher de remarquer la différence prodigieuse qu’il y a entre la valeur de l’argent français et celle de la monnaie anglaise.

Après avoir dormi tant bien que mal sur des lits plus durs que le tillac du paquebot, nous allâmes faire une promenade matinale sur le rocher de Douvres; et, parvenus à la hauteur du château, nous jouîmes de la vue des côtes de France. Que cet espace est étroit! me disait mon ami en fixant ses regards sur la Manche; et cependant qu’il est difficile de le franchir, lorsqu’il est défendu par la haine entre les deux nations.–Mon cher ami, dis-je en serrant la main du licencié, je pense comme vous; mais nous avons encore plusieurs choses à faire avant de partir. Nous avons passe la Manche, et nous prétendons arriver à Londres avant la fin de ce jour: ne nous laissons pas arrêter par un obstacle aussi misérable que le château de Douvres ou les chicanes des douaniers. Nous voici près d’un escalier creusé dans le roc et d’une quarantaine de toises de profondeur, qui nous fera descendre verticalement au niveau de la ville, et non loin du bureau de la douane... Descendons.

En attendant notre tour de visite, nous échangeâmes à l’AlienOffice nos passeports contre des certificats, sur lesquels, outre plusieurs locutions françaises que nous n’avions jamais entendues en France, mon ami me fit remarquer que l’on avait changé la couleur de mes yeux, c’est-à-dire, que le commis avait traduit le mot français bleu par black, qui veut dire noir en anglais. Enfin, nos effets furent visités, nous retournâmes à l’hôtel de Paris pour déjeûner, et nous restâmes tranquillement à table jusqu’à ce que le piétinement des chevaux et le bruit d’une diligence qui s’arrêtait à la porte, nous eussent avertis qu’il était temps de compter avec l’hôte.

Ce fut alors que nous apprîmes quid valeat nummus, quem prœbeat usum. Je passe sous silence ce que l’on nous fit payer pour les deux repas que nous avions pris à l’hôtel et pour notre lit; c’était à peu près le triple de ce qu’on demande dans les auberges françaises où les voyageurs sont écorchés; mais des Anglais qui étaient avec nous, nous assurèrent que c’était extrêmement modéré. Le compte du mouvement des effets était la partie la plus curieuse. Un portefaix, qui tenait le haut de l’échelle quand nous étions sortis du paquebot, était porté pour un schelling; la même somme était allouée à un autre qui avait transporté les effets du paquebot à la douane; encore un schelling pour un portefaix qui avait transporté les effets de la douane à l’hôtel; et comme c’était un schelling, par paquet, qu’il fallait payer, le licencié eut à payer double tous les frais de mouvement, parce qu’outre un petit porte-manteau, il avait un carton ficelé dans lequel était renfermé son chapeau. Il fallut payer un autre schelling à une espèce d’officieux à perruque rousse, parlant moitié français, moitié anglais, qui était venu à l’hôtel pour voir si nous savions le chemin de la douane. Un schelling fut encore donné à chacun des domestiques de l’hôtel, et nous ne cessâmes enfin d’en débourser que lorsque nous eûmes payé des pionniers qui servaient la diligence, et qui aidèrent le cocher à y placer nos bagages. Si l’on fait attention à la nature des services que nous étions obligés de rétribuer d’un schelling, on verra que cette pièce de monnaie, qui ne vaut pas aujourd’hui moins de vingt-cinq sols de France, ne fait pas en Angleterre plus d’effet que cinq sols au-delà de la Manche.

Plaie d’argent n’est pas mortelle, dit-on, aussi nous résignons-nous sans murmure! nous avions entendu dire que les dépenses étaient énormes dans ce pays! Que sont quelques schellings en comparaison des guinées que nous allons semer dans la capitale de l’Angleterre! mais nous aurons vu Londres, nous pourrons parler de cette ville si grande, si extraordinaire! nous roulons sur le chemin qui y conduit, et ce soir dans quelques heures nous boirons de l’eau de la Tamise, nous parcourrons des rues éclairées par le gaz hydrogène!

Nous traversons Cantorbéry si rapidement que nous avons à peine le temps d’entrer dans sa cathédrale, et de visiter la chapelle où sont les armes du Prince Noir; nous la reverrons à Paris: le Diorama sera ouvert à notre retour.....Nous avalons à Rochester un dîner passablement bon et passablement cher.... Du pont qui sépare cette ville de Chatam, nous apercevons une quarantaine de vaisseaux de ligne désarmés et enduits d’une peinture jaune qui doit les garantir de la pourriture. Ils dorment dans la rivière Medway, comme les baleines à la surface de l’Océan boréal; et, comme elles, ils se réveilleront et déploieront leurs forces au moindre trouble qui se fera sentir sur la mer. Quarante gros vaisseaux! cela vaut la peine d’être vu; mais il y en a des milliers à Londres, de toutes les grandeurs et de tous les pays; d’ailleurs, on est si bien dans cette diligence! elle est suspendue à merveille, et ses quatre chevaux nous entraînent aussi prompts que les vents!

Le pays change d’aspect; une plaine a succédé aux collines qui séparent la vallée de la Medway, de celle de la Tamise; j’entends nommer le parc de Greenwich; nous ne sommes plus qu’à six milles du pavillon qui flotte sur Mansion-House... Le soleil est couché, le crépuscule du soir ne nous permet plus de distinguer, que vaguement, les objets que nous traversons... Enfin, il est nuit close quand nous arrivons aux premières maisons du bourg de Southwarck!

Mais l’obscurité ne se fait pas sentir dans cette partie de la ville: des flots d’une lumière vive et scintillante brillent de l’un et de l’autre côté de la rue. Depuis l’obélisque routier jusqu’à London-Bridge, c’est-à-dire, pendant une demi-lieue de chemin, le gaz hydrogène brule et dans les lanternes de la rue et dans les lampes qui éclairent les boutiques.

Quand même on n’aurait jamais entendu vanter la capitale de l’Angleterre, du moment qu’on y est entré, et à quelqu’endroit qu’on s’arrête, l’idée de sa richesse, de son immensité, arrive à l’esprit par tous les sens à la fois. L’air, imprégné des vapeurs du charbon, répand, pour ainsi dire, une odeur manufacturière; heurté, poussé et coudoyé sans cesse, on s’étonne de reconnaître pour le mouvement ordinaire de la circulation, ce qu’on avait d’abord été tenté de prendre pour une foule attirée par une curiosité momentanée. Si le fracas assourdissant des voitures cesse un moment, le même bruit se fait entendre au loin, confus et monotone comme celui des vagues de l’Océan. L’idée qu’un étranger prendra de Paris sera bien différente, selon la barrière par laquelle il entrera. Par quelque côté qu’il arrive dans Londres, il se sent tout de suite dans la capitale la plus vaste, la plus peuplée et la plus industrieuse du monde.

Certes, ce ne fut pas le même jour de notre arrivée que nous pûmes asseoir un pareil jugement. Il nous a fallu bien du temps pour visiter tous les environs de la ville, et rentrer par les principaux Turn-Pikes. Excepté ce que nous pûmes recueillir de l’intérieur de la diligence, nos observations furent très-bornées durant la première soirée que nous passâmes dans Londres. Le licencié était si fâché d’avoir été déposé à l’hôtel de la diligence, dans une petite rue de la Cité, que j’eus toutes les peines du monde à le décider à ne pas aller se coucher sans faire un tour de promenade dans Cheapside, pour digérer les pommes de terre et le beefsteak qu’on nous avait servis à souper.

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