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REMARQUES.

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Il faut s’identifier au pays qu’on habite: si je finissais mes jours à Siam, je mourrais une queue de vache à la main.

VOLTAIRE.

En rentrant à l’auberge, le licencié trouva une lettre d’un de ses anciens amis de collége qui habitait Londres depuis quelques mois. Il fallut toute la confiance que j’avais dans Amirau pour l’en croire sur parole lorsqu’il m’assura que l’auteur de cette lettre avait été élevé en France, et, qui plus est, y avait publié plusieurs ouvrages assez bien écrits. Tous les mots en étaient français, mais les tournures de phrases étaient tellement anglaises, qu’on eût dit qu’elle avait été composée d’abord en anglais, et puis traduite mot pour mot en français. Le Docteur Dublason, tel était le titre et le nom du personnage, écrivait à son condisciple qu’il se sentait vraiment heureux de le savoir dans Londres, et que, pour le rapprocher de lui autant que possible, il avait été assez fortuné pour trouver dans la même maison où il logeait, un appartement qu’il jugeait devoir être à sa convenance. D’ailleurs, ajoutait-il, vous êtes sans doute pressé de vivre dans une partie respectable de la ville. Mettez demain matin vos effets dans un hackney-coach, et gagnez le no7de Great Russel Street, Covent-Garden. Pardieu, me dit Amirau, après avoir beaucoup ri du style du docteur, je ne savais comment quitter ce taudis; voilà un logement tout trouvé. Je suis sûr qu’il ne sera pas trop cher: le docteur est rangé; de toutes ses bonnes qualités, l’économie est la dernière que l’Angleterre pourra pervertir.

Le lendemain, aussitôt que nous fûmes réveillés, nous fîmes nos paquets, réglâmes les comptes avec l’hôte et nous nous mîmes en route vers Great Russel Street.

Les fiacres ne vont guère plus vite dans Londres que dans Paris. Dès que nous fûmes arrivés devant le numéro que le docteur nous avait indiqué, je m’élançai hors de la voiture, et j’allai frapper à la porte. Un long intervalle s’écoula et personne ne vint ouvrir. Le cocher qui s’impatientait en voyant que nous étions si longs à le payer et à retirer nos effets, s’approcha alors de la porte, et saisissant le marteau à pleine main, frappa à coups redoublés et de manière à ébranler la maison. Une domestique vint ouvrir aussitôt, et nous fit entrer au parloir où le docteur nous attendait. Amirau s’élançait vers lui pour l’embrasser; il le retint doucement à distance, et se contenta de lui tendre la main et de la secouer à plusieurs reprises.–De grâce, mon cher ami, lui dit-il, renoncez à cette habitude française d’embrasser des personnes du même sexe que vous. Ici l’on ne baise que sur la bouche, c’est pourquoi les baisers ne sont que pour les femmes. Les Anglais et les Anglaises seraient scandalisés s’ils voyaient deux hommes s’embrasser. Alors il s’avança vers moi, et me fit la même cérémonie, après toutefois que le licencié m’eût présenté à lui en forme, c’est-à-dire, lui eût décliné mon nom, mes titres et ma profession.

Je suis trop poli pour commencer mon entrevue par une querelle, reprit Amirau, en s’asseyant au coin du feu; je renvoie à un autre jour la discussion relative aux baisers masculins et aux idées anglaises à ce sujet. Pour le moment, je veux vous demander une explication et vous serez, je l’espère, à même de me la fournir, tant vous êtes initié à tous les mystères des coutumes britanniques. Vous devez avoir entendu frapper à trois reprises différentes. D’où vient, s’il vous plaît, que la domestique n’est venue ouvrir qu’après avoir été appelée trois fois.–La raison en est bien simple, répondit le docteur. La première et la seconde fois vous avez frappé comme des domestiques, ce n’est qu’à la suivante que vous avez frappé en gens comme il faut.–Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que c’est le cocher de notre fiacre qui a frappé cette troisième fois.– C’est en votre nom qu’il en agissait ainsi. Pour lui-même il se serait bien gardé de le faire, sous peine d’être rudement rabroué par la personne qui lui aurait ouvert. Il y a en Angleterre trois espèces de coups de marteau; l’un, qui est simple, est celui des domestiques et de tous les gens de boutique; l’autre, qui est double, est celui de la poste aux lettres; enfin le troisième, qui est celui du gentry et de la noblesse, est au moins d’une douzaine de coups forts et précipités. Les domestiques de la maison où l’on frappe se hâtent en proportion du nombre des coups qu’ils ont entendus.–On m’avait parlé de cet usage, dit Amirau en riant et haussant les épaules; je l’avais lu dans les livres qu’on a écrits sur l’Angleterre; j’avais pris tout cela pour des mensonges de voyageurs. Je ne voulais pas croire qu’un peuple libre poussât jusqu’à de pareilles minuties la manie des distinctions.– Allons, vous voilà encore avec vos idées françaises d’égalité. Voudriez-vous, par hasard, qu’on fit attendre un homme comme il faut, comme un domestique et comme un garçon boutiquier.– Je voudrais qu’on les introduisit tous avec une égale promptitude. Les affaires pour lesquelles ces derniers courent ordinairement sont plus pressantes que celles des premiers, et leurs épaules ne sont pas moins sensibles à la pluie, leur nez pas moins sensible au froid, leurs yeux ne sont pas plus agréablement affectés par la vive clarté du soleil, quand il y a du soleil dans Londres.– Zounds! mon ami, avec quelles dispositions vous arrivez en Angleterre! je parie cependant qu’avec la meilleure envie de quereller, vous n’aurez rien à dire contre ce que je prétends vous montrer aujourd’hui. Allons déjeûner à un Coffee-Room, qui est près d’ici et nous irons ensuite nous promener pour voir les chevaux et les équipages.

Le docteur ne nous avait pas trop promis, en nous assurant que nous admirerions sans restriction et les équipages et les chevaux anglais. Amirau lui-même, le difficile Amirau, en fut si charmé, qu’il porta la complaisance pour son ami, jusqu’à lui en faire l’éloge.

Nous sommes accoutumés en France à voir dans la valeur, ou la beauté des chevaux, une différence correspondante à la condition de leurs maîtres. En Angleterre, à moins qu’on ne soit un maquignon très-habile, l’égalité la plus parfaite paraît régner entre tous. Tous paraissent également beaux et bons: chevaux de selle ou de voiture, de diligence ou de charrette, tous sont vigoureux et de race excellente. Jamais ils ne sont empâtés de graisse, ils conservent toujours des formes sveltes et nerveuses. Les chevaux qui transportent le charbon de la rivière dans les rues de Londres, n’ont pas, je crois, leurs pareils dans le monde; nos chevaux de brasseur seraient des pygmées auprès d’eux. Les chevaux de poste furent ceux qui nous étonnèrent le plus, par rapport aux souvenirs que nous avions conservés de leurs pareils en France.

Les voitures anglaises sont toutes dignes des chevaux qui y sont attelés. Les Parisiens peuvent chaque jour en voir quelques échantillons, dans le bois de Boulogne ou aux Champs-Élysées; mais ce dont je voudrais pouvoir leur donner une idée, ce sont les diligences qui font le service des grandes routes de l’Angleterre, de la ville de Londres et de sa banlieue. Comme ils seraient dégoûtés de leurs lourdes guimbardes! L’espace est on ne peut mieux employé dans une diligence anglaise, puisqu’elle porte jusqu’à vingt et vingt-quatre personnes; mais on la construit d’une manière si industrieuse, qu’elle réunit l’élégance à la solidité. Il y a dans Londres, un très-grand nombre de stage-coaches ou stages qui, toute la journée, traversent la ville dans divers sens, ou qui vont du centre vers les divers points de la circonférence et vers les villages environnans. Le trajet par ces stages est de beaucoup moins cher que par les fiacres, et il est bien autrement rapide. En général, tout ce qui concerne les moyens de transport est poussé en Angleterre à un degré étonnant de perfection. L’abondance du fer et l’excellente trempe qu’on y sait donner, a permis d’appliquer partout la suspension sur des ressorts. Charrettes de maçons, fourgons d’écurie, voitures de pionniers, tout est suspendu.

Le cocher d’une diligence et le charbonnier, ne sont pas moins fiers de la toilette de leurs chevaux, que le palfrenier d’un grand seigneur, ou le domestique qui s’assied dans le tilbury de son maître.

Dans un pays où les chevaux sont si beaux et si nombreux, le goût de l’équitation ne peut qu’être généralement répandu: quiconque a des revenus suffisans pour fournir à l’entretien d’un cheval, ne tarde pas a se le donner. Les marchands en tiennent toujours de louage à la disposition des personnes qui ne peuvent pas en avoir toute l’année, et qui pourtant veulent chevaucher de temps en temps. C’est un plaisir que les calicos de Londres se donnent tous les dimanches, comme ceux de Paris. On voit beaucoup de vieillards et de vieilles femmes qui vont à cheval pour conserver leur santé. Beaucoup de gens de moyen âge ont un cheval, comme ils vont aux eaux de Cheltenham, parcequ’ils ne savent que faire et s’ennuient quand ils demeurent chez eux. Un élégant ne peut se dispenser d’avoir un cheval, dût-il se ruiner, ou ruiner sa maîtresse pour l’acheter et le changer dix fois par an. Tous les jours, après l’heure de la parade, les officiers de la garde royale, infanterie ou cavalerie, dépouillent l’habit rouge et couverts d’un riding-coat ou d’un great-coat, ils vont chevaucher dans Hyde-Park, à cote des héritières qu’ils lorgnent, ou des ladies auxquelles ils font leur cour. Les héritiers des grandes familles, qui, par le crédit de leurs parens, ont été nommés membres du parlement à dix-neuf ans, se rendent à cheval à la Chambre des communes et vont siéger sur les bancs ministériels en veste de chasse, en éperons et la cravache à la main. Le recteur d’une riche paroisse ou l’évêque vont se promener dans St.-James-Park avec toute leur famille.

Ah! disait le docteur, en soupirant et montrant du doigt la voiture d’un médecin du Roi, qui passait en ce moment la barrière de Piccadilly, pour aller à l’hôpital de St.-Georges, si vous saviez avec quelle facilité la fortune se laisse prendre en Angleterre, aussitôt qu’on peut la poursuivre en carosse! Si vous saviez surtout quelle considération accompagne les marques distinctives des titres nobiliaires, vous vous étonneriez moins de la tendresse que j’éprouve pour la Grande-Bretagne! Un marquis de nos compatriotes fut obligé, durant son émigration, de se donner une industrie pour vivre. L’art de faire la salade était inconnu ici; il alla dans les grandes maisons pour enseigner cet art, et chaque salade qu’il fit lui fut d’abord payée 5schellings. Un de ses amis, qui était fort riche, lui prêta sa voiture pour faire ses courses, et tout-à-coup, le prix de ses salades fut porté à une guinée, et de plus on l’invita à dîner dans toutes les maisons où il accommodait la laitue, la romaine ou la chicorée. Comme il ne pouvait dîner trente fois par jour, il prit le parti de ne dîner que dans la dernière maison, where he dressed the salad. S’il eût été natif d’Angleterre, les honneurs et les cordons n’auraient pas manque d’accompagner ces avantages pécuniaires et gastronomiques.

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