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I
LE ROI CARNAVAL.

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C’était le premier jour du carnaval. Toute la population courait les rues. C’était partout un fourmillement de couleurs et un débordement de vie.

Les masques en gaîté tournoyaient autour des grilles de fer du Dôme et lançaient leur grêle de joujoux et de fleurs contre les sombres façades des vieux palais et des prisons; leur masse, semblable à une mer écumante, promenait sa joie et ses plaisanteries tout le long du vert Adige, à la lumière d’une après-midi d’hiver.

Pendant un mois tout entier, le roi Carnaval serait souverain absolu, son chemin serait semé de violettes, sa royauté serait acclamée partout, par les grands et par les petits, depuis le savetier qui se déguise en Stenterello jusqu’à la grande dame qui sourit derrière son masque de velours vénitien.

Mais au bout de ce mois, à la chute du jour, juste au lever de la lune, la populace inconstante conduirait le vieux roi à son bûcher funéraire et le brûlerait en grande pompe sans le moindre remords.

Ainsi on le brûlerait, lui monarque hier encore, aujourd’hui bouc émissaire, symbole ironique de toutes les grandeurs humaines.

Pauvre roi Carnaval!

Son règne a duré plus longtemps que celui de toute autre dynastie; ses sujets, il est vrai, le brûlent tous les ans; mais il renaît de ses cendres, et l’on crie: «Vive le roi!» quand apparaît son successeur.

Mais la hache est à la base de son trône; ses jours sont comptés; toute sa pompe et sa magnificence vont disparaître.

Le monde est vieux et fatigué.

Même en ce pays, le pays des fleurs et du soleil, le pays où l’on connaît encore les plaisirs sans prix de l’oisiveté et où l’on sait en jouir, même en ce pays où le cœur d’un enfant bat dans une poitrine d’homme qui porte les cicatrices de la guerre, les jours du roi Carnaval sont comptés.

Oui, même ici, le monde est plus vieux, plus gris, plus triste qu’au temps jadis.

Le monde est trop sage pour être fou.

Voilà ce qu’on dit.

Ne serait-ce pas plutôt qu’il est trop fou pour être sage?

C’est une question à laquelle pourrait répondre le roi Carnaval, s’il le voulait.

Peut-être dirait-il:

«A l’époque où les hommes étaient assez grands pour ne point craindre de s’abaisser, assez forts pour être gais sans rien perdre de leur force, ils étaient de ma suite et marchaient derrière moi, Carnaval, le vieux roi; ils riaient comme des enfants, ces contemporains de Dante, de Léonard de Vinci, de Shakespeare. Etes-vous plus sages qu’eux ou simplement plus faibles? Peut-être êtes-vous simplement plus fatigués? Qu’importe! J’ai mené grand train avec les géants, et ils n’avaient pas honte d’être gais.

Mais vous qui rougissez de votre joie, parce que votre joie n’est pas innocente, enterrez-moi vite: je suis une vieillerie.»

Et il aurait raison, ce vieux roi.

Au temps où il régnait sur la vie de tous les hommes, les hommes étaient grands, et aussi leur vie, et le but où ils tendaient. Ils avaient la foi, cette force de tous les jours, cette jouissance de toutes les heures. Dans leur ménage régnaient le bon ordre et la simplicité. Ils prenaient sur leur nécessaire pour élever ces monuments qui vivent encore aujourd’hui, qui ont encore aujourd’hui un langage pour nous.

Les grands artistes ne se confinaient pas dans une phaso étroite de l’art; ils embrassaient l’art tout entier.

L’art était dans le cœur du peuple, qui s’en nourrissait; aussi ce mot n’était-il pas un vain nom; c’était une réalité vivante: la divinité du temple et du foyer, qui planait sur les cités, qui les protégeait d’un amour sans tache.

Les hommes étaient laborieux, désintéressés, patients, féconds en grandes pensées et en grandes actions. Travaillant pour leurs contemporains, ils pouvaient rire avec eux; servant Dieu, ils osaient être heureux. Dans ces vies, intrépides, graves, austères, l’amusement d’un gai carnaval était comme un grain d’or dans le chapelet de bois du pèlerin.

Leur but était élevé; ils l’avaient atteint; ils pouvaient donc revenir vers leurs enfants et se mêler à leurs jeux.

Mais nous, pour qui l’art est une religion éteinte dont les prêtres sont morts; qui ne songeons qu’à passer de plus en plus vite du désir à la jouissance et de la jouissance au désir, sans parvenir jamais à nous satisfaire; nous, parmi lesquels le plus grand génie n’arrive qu’à élever une protestation vague de désespoir contre quelque divinité inconnue, nous avons étranglé le roi Carnaval, nous l’avons tué, nous l’avons enterré dans les cendres d’une satiété et d’un malheur qui n’a plus de nom.

Le vieux roi soupire après le rire viril qu’il entendait dans sa jeunesse; et nous, nous ne savons plus que ricaner et soupirer.

Pascarel. Ouida

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