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LETTRE VII.

Table des matières

MERVEILLE 4 CHARMANTE

2. février.

Je ne sais, ma Charmante, si tes alarmes pour ton cher petit nez ont été plus vives que mon émotion en lisant ce drame nocturne.

C’est affreux! la pensée seule en fait frémir. Tu es bien bonne de t’excuser d’avoir tremblé pour ton nez, ma belle: les personnes y tiennent tout autant que nous. Ah! certes, je voudrais prendre la parole en faveur des chats! Ils ont leurs défauts, j’en conviens; mais ce sont des hôtes utiles. Ceux qui les haïssent leur reprochent d’aimer leurs aises, d’être ingrats, légers, perfides. La belle affaire! Ne dirait-on pas vraiment qu’eux seuls sont ainsi! Je connais pour ma part bien des gens qui ont tous ces défauts sans avoir le mérite, l’immense mérite, Charmante, de prendre des souris!

Ce matin, en voyant Minette tremper ses moustaches dans la crème que lui présentait Loulouse, j’ai fait des réflexions avantageuses et incontestables en faveur de nos amis les chats.

Tout le monde, je le sais, ne peut pas être absolument à notre point de vue; au moins est-il certain qu’une bonne ménagère doit avoir de braves chats dans sa maison pour défendre aux rats et aux souris l’entrée de son garde-manger.

Je te remercie des vœux de bonne année que tu m’envoies. Mon cœur n’est pas moins généreux et moins sincère que le tien, chère amie.

Ici, le jour de l’an a un caractère tout particulier: les enfants reçoivent peu et donnent beaucoup. C’est l’inverse de ce qui se passe dans le monde, et l’on s’étonne après cela de voir des égoïstes de quatre ou cinq ans!

La joie qu’ont éprouvée Loulouse et ses frères, en distribuant leurs largesses, prouve combien les parents et les amis se trompent, lorsqu’ils remplissent la maison de jouets inutiles pour faire le bonheur de tous ces enfants.

Il fallait voir ma Loulouse offrant aux domestiques de jolis petits châles, distribuant des pièces blanches aux pauvres! Gustave et Georges donnaient des livres, des images et des billes. Je ne trouve pas dans mes souvenirs historiques de roi qui ait montré plus de magnanimité envers ses sujets.

Gustave avait obtenu de Loulouse la permission de me faire une robe de jour de l’an. L’idée était vraiment ingénieuse, et, malgré toute ma répugnance à suivre l’exemple des femmes à la mode, j’ai consenti, pour ce jour-là seulement, à avoir un tailleur au lieu d’une couturière. Du reste, il s’agissait d’un simple ornement, les convenances n’ont été blessées en rien.

Les enfants ayant reçu un sac de papillotes de chocolat, Gustave eut l’idée de couvrir ma robe de ces bonbons, trop méprisés aujourd’hui. Au moyen de fines épingles, il attacha sur toute ma robe des papillotes de couleurs variées. J’en étais couverte de la tête aux pieds, et, pour être impartiale, je dois convenir que cela ne manquait pas d’élégance ni d’originalité.

Le soir, je parus au salon. Gustave imagina de me faire courir. Alors, c’était à qui m’attraperait et me mangerait. Tout le monde fut de la partie. et en moins d’une demi-heure j’étais dépouillée de mes ornements. Louise avait eu soin de me mettre une vieille robe; et bien elle fit, car celle que j’avais n’est plus portable aujourd’hui.

Comme le temps passe, ma chérie! encore quelques semaines et nous sentirons les haleines du printemps. Il est vrai que la saison est extraordinaire cette année. Il n’y a point encore de verdure, mais l’air est doux; les oiseaux saluent le soleil de leurs chants et doivent certainement déjà songer à leurs nids.

Loulouse et ses frères sentent cette douce influence: les garçons gambadent, crient de toutes leurs forces à propos de rien du tout, sautent les fossés, entrent dans la basse-cour, effarouchent tout le monde; cela veut dire, ma chère, qu’ils sont contents et qu’ils le seront encore davantage quand les prés seront verts et les haies fleuries.

Ils entrent dans la basse-cour, effarouchent tout le monde.


Louise a d’autres impressions. Dès qu’il fait beau, nous sortons; nous sommes en extase devant le jardinier qui pique les salades; nous faisons autant de pas que lui:

«Père François, est-ce qu’il y aura bientôt des feuilles?

— Père François, quand verrons-nous donc de beaux épis tout jaunes, des bluets et des coquelicots? »

Le père François répond à toutes les questions de Loulouse et dit à qui veut l’entendre que Mlle Louise aime à s’instruire; et pour récompenser ses goûts sérieux, il lui parle de moi, me regarde et me dit que j’ai l’air d’un vrai enfant.

L’autre jour, Louise a déclaré qu’il fallait, à l’exemple de la fermière, femme entendue, profiter du beau temps pour faire la lessive; elle annonça à sa bonne qu’elle avait une excellente laveuse et que tout irait bien.

J’étais, je te l’avoue, à cent lieues de croire que Louise faisait allusion à mes talents. Quelle fut donc ma surprise, lorsqu’elle m’adressa ces mots:

«Allons, ma chère Merveille, une poupée, comme une jeune personne, doit s’exercer aux soins du ménage. Nous allons lessiver (ce mot est français); ton trousseau a besoin d’être entièrement lavé.»

Aussitôt Louise me déshabille, remplace mon jupon de basin par un vertueux jupon de mérinos noir, me met une camisole et renferme ma chevelure sous un madras rouge, qui, soit dit en passant, m’allait à ravir.

Louise est une aimable enfant, polie, obéissante: aussi, tous les domestiques mettent ses plaisirs au nombre de leurs devoirs.

La cuisinière, voyant nos préparatifs, demanda au père François une belle citrouille. La bonne Marianne fit une large ouverture à la partie supérieure de la citrouille; elle en vida et en nettoya l’intérieur, et lorsque nous vînmes à la cuisine, Marianne nous présenta ce cuvier d’un nouveau genre.

On changea l’eau plusieurs fois, on mit au bleu. (Page 59.)


Juge de notre surprise! de notre joie! Le premier plaisir fut d’emplir la citrouille d’eau tiède, puis d’y jeter mes hardes, de savonner, de tripoter, comme dit Marianne. On changea l’eau plusieurs fois, on mit au bleu, et enfin le soleil, d’accord avec la bonne cuisinière, se montra dans toute sa splendeur pour nous permettre d’étendre une lessive blanche comme la neige. Le lendemain, une autre surprise, tout aussi forte, nous attendait: bonne maman, malgré ses appréhensions pour le feu, avait acheté de petits fers à repasser. Elle les remit à Loulouse, après lui avoir fait promettre de ne jamais approcher de la cheminée et de recevoir les fers de la main de sa bonne Jacquine.

Il est à remarquer que les enfants obéissants ont plus de plaisir que les autres, par la raison toute simple qu’une mère, ayant foi dans la parole de sa fille, lui fait des concessions que la prudence interdirait s’il en était autrement.

Adieu, ma plus chère amie, je t’envoie les baisers que j’ai reçus ce matin de ma Loulouse.

MERVEILLE.

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