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LETTRE V.

Table des matières

MERVEILLE A CHARMANTE.

26 décembre.

Nous sommes tous enrhumés du cerveau. Loulouse m’a confectionné des mouchoirs et m’a appris à me moucher.

La neige tombe. Bonne maman nous tient dans sa chambre et invente toutes sortes de jeux.

Hier, au moment où nous nous y attendions le moins, elle nous a raconté l’histoire que j’ai transcrite d’un bout à l’autre. Notre correspondance développe singulièrement ma mémoire.

C’est donc notre grand’mère qui fera tous les frais de cette lettre; je ne t’envoie pas moins mille tendres baisers.

Adieu.... Que ce mot a de charmes, malgré la tristesse qu’il met au cœur!

MERVEILLE.

L’OISEAU EMPAILLÉ ET LE ROSSIGNOL.

«Un oiseau apporté d’Amérique en France fut mis dans une belle cage dorée: mais l’étranger regrettait ses forêts, son ciel toujours bleu et ses amies. Au bout de quelques jours, Il mourut. Son maître le fit empailler; et pour conserver au moins une illusion, il le laissa dans la cage, ayant soin d’y mettre du grain et de l’eau pure, comme si le bel oiseau vivait. Le printemps venu, la cage fut accrochée à la fenêtre, qu’ombrageait un rosier dont les fleurs abondantes complétaient la parure des filles du village.

«Par une belle matinée d’avril, tous les oiseaux du pays s’éveillèrent en chantant, joyeux qu’ils étaient de voir l’hiver fini. Ils s’appelaient, se répondaient, battaient des ailes, se becquetaient, se racontaient les terreurs passées de l’hiver, la disette, le froid et la tristesse de leurs mauvais logements, puis aussi le courage dont il avait fallu faire preuve pour entreprendre le plus petit voyage; car, disaient-ils tout bas, il y a toujours sur notre chemin un chasseur ou un méchant enfant pour nous faire mourir!

— Ce n’est pas moi, s’écria le petit Gustave, je leur donne du pain tout l’hiver!

— Mais ce jour-là, continua grand’mère, Louise m’a permis cette familiarité, les oiseaux oublièrent leurs chagrins, Ils voltigeaint partout, sur la haie fleurie, sur les toits des maisons, ayant soin de chanter un petit air, en guise de bonjour amical aux hôtes du logis. Quelques-uns même allaient frapper les vitres de leur bec, comme pour dire: nous voici encore revenus avec le beau temps!

Ils voltigeaient partout


«Ils n’étaient pas seuls joyeux, mes enfants: tout le monde était content de voir la prairie verte, parsemée de pâquerettes, et d’entendre de bonne musique, sans aller au spectacle ou au Conservatoire.

«Parmi toute cette troupe joyeuse, une fauvette s’approcha de la cage du bel Américain, et fut tellement éblouie de son plumage qu’elle resta le bec ouvert au milieu d’un fort beau morceau, qu’elle était en train d’exécuter. La petite coquette sauta sur la cage, frappa du bec les fils de fer, déroba un morceau de biscuit et alla le manger chez elle avec son compagnon.

«Je viens,» dit-elle, «de voir ici près, dans une cage, un bel oiseau; il n’y en a pas de semblables dans toute la France, ni même en Europe.

— Bonne maman, Merveille dit que la fauvette savait la géographie.

— Assurément; tous les voyageurs ont des connaissances géographiques.

— Chante-t-il bien? demanda l’oiseau un peu piqué.

— Gardez-vous d’en douter, mon ami!

— Je veux le voir,» dit-il; et aussitôt il partit. Chemin faisant, il rencontra certains oiseaux de ses amis, qui, sur son invitation, le suivirent.

«Arrivés près de la cage, ils restèrent tous stupéfaits, et ne retrouvèrent plus la parole que pour louer et envier la parure de l’étranger. «Je voudrais ses ailes,» dit le pivert; «moi. son aigrette, » ajouta la mésange; «moi sa cravate; moi, son gilet,» dit un autre, et là-dessus il s’éleva une discussion des plus chaudes.» Eh bien,» dit un moineau pas mal honteux de sa robe terne, de la simplicité de sa coiffure et surtout de la mesquinerie de sa queue, «je déclare que, vou-

«lût-on me faire présent du plumage éclatant de

«cet étranger, je refuserais net, s’il fallait pas-

«ser ma vie dans une cage, sans mot dire, sans

«rien voir du monde.» Et là-dessus, il alla se poser sur le tuyau d’une cheminée, regardant à droite, à gauche, puis il disparut dans la cheminée pour faire croire aux autres, sans doute, qu’il avait une affaire importante dans la maison.

«Cet oiseau d’Amérique, dit grand’maman (en ôtant ses lunettes pour délasser son nez), était vraiment bien beau.

«Je vais vous en faire le portrait.

«Sa tête était surmontée d’une aigrette vert et or; ses ailes à moitié étendues semblaient recouvertes d’un manteau de pourpre brodé de jais noir; sa poitrine violette et jaune étincelait sous les rayons du soleil; enfin, sa queue se composait d’un mélange de plumes qui rappelaient toutes les couleurs de sa parure.

«Les visiteurs firent de grands compliments à l’étranger, car c’est toujours par là qu’on commence; ils lui chantèrent leurs morceaux les plus renommés, sans obtenir un signe d’assentiment, et ils parurent fort humiliés d’une semblable réception. Tout en disant que l’hôte de la belle cage était un sot, un malhonnête, les gentils oiseaux ne pouvaient s’empêcher de parler de lui, d’aller jeter de temps à autre un coup d’œil sur la cage; et toujours ils revenaient émerveillés.

«Un rossignol, fort occupé de sa famille, était le seul, à trois lieues à la ronde, qui n’eût pas daigné se déranger pour aller voir l’étranger.

«Cependant, sa compagne lui dit un jour:

«Mon ami, je veux que, toi aussi, tu ailles rendre

«visite à ce bel étranger.

— Moi! te quitter, ma mie, s’écria le rossignol,

« pour voir un oiseau habillé de rouge et

«de vert! Oh! non! Il y a loin d’ici. Tu t’ennuierais,

« et moi je serais inquiet.»

«Puis il se mit à chanter l’air favori de sa mie. Mais cette bonne Mme Rossignol n’était pas une vilaine égoïste: «Va,» lui dit-elle, «mon tendre

«ami;» et, le voyant un peu ébranlé, elle ajouta:

«Je ne serais pas fâchée pour mon compte de

«savoir à quoi m’en tenir sur cet Américain du

«Nord.

— Tu le veux? Eh bien, je pars.»

«L’aimable oiseau voltigea d’ombrage en ombrage, et arriva près de la maison; mais il se tint caché longtemps sous une branche fleurie de lilas. Le cœur lui battait; il ne pouvait se décider à se montrer au grand jour. Il soulevait ses ailes, sans quitter la branche. Enfin, profitant d’un moment de silence, il se mit à soupirer comme pour annoncer sa visite, et alla se poser assez près de la cage pour faire ses observations.

«Comme tous les autres, le rossignol fut ébloui; mais il ne se laissa pas intimider, et, avec l’assurance qu’ont tous les véritables artistes, il n’en fit ni une ni deux, et adressa la parole au superbe étranger.

— Je crois, dit grand’mère, que nous pourrions interrompre, au moins jusqu’à ce soir.»

A cette proposition inattendue, il s’éleva de tels cris d’opposition, que moi-même j’en eus les oreilles écorchées.

Bonne maman se rendit bien vite. Les enfants resserrèrent le cercle; Louise me ferma les yeux un instant, pour avoir le plaisir de baiser mes paupières.

«Donc, le rossignol dit: «Salut, noble étranger,

« comment vous portez-vous?

— Mais, vous êtes bien honnête. Je suis un peu étourdi de toutes les visites que j’ai reçues depuis mon séjour dans ce pays. Puis-je savoir à qui j’ai l’honneur de parler?

— Au rossignol.

— Oh! votre réputation est bien connue. Vous êtes, dit-on, le premier chanteur du monde. Moi, je n’ai jamais eu beaucoup de voix, et je l’ai tout à fait perdue, depuis que je suis empaillé.

— Vous êtes empaillé ?

— Ne l’est pas qui veut. C’est un honneur rarement accordé aux oiseaux de votre espèce.

— Pour le quart d’heure, répondit le rossignol, je me contente d’être en vie.

— Je vous plains, moi, mon cher, d’être en vie, d’avoir froid, de courir d’arbre en arbre, de vous nourrir, de bâtir un nid, de trembler pour votre couvée.

GEORGES. — Qu’il est bête!

— Comme tous les orgueilleux.

GUSTAVE. — Vous interrompez toujours bonne maman!

«Ah!» dit le rossignol d’une voix émue,

«ne

«me plaignez pas; je suis le plus heureux des

«oiseaux. J’aime l’air, la feuillée et ma douce compagne.

« Mon nid! avec quelle joie je le bâtis au

«printemps! Il est pauvre, obscur, j’en conviens;

«mais là, on s’aime en liberté. Plus d’une fois,

«sans doute, nous tremblons pour notre couvée;

«mais, le danger passé, le bonheur est plus

«grand. J’ai trois beaux petits, qui reconnaissent

«déjà leur mère et moi; nous leur donnons tour

«à tour la becquée.

— Tout cela n’empêche pas que vous pouvez crever, sans que personne songe à vous empailler. Personne ne vous admirera.

— Peu m’importe, j’aime l’oubli des hommes; il n’a fallu rien moins que le désir de plaire à ma compagne pour me faire sortir de ma retraite. Le soleil m’a donné mal à la tête.... je vous quitte..., aussi bien nous ne nous entendons guère.

— Je vous remercie de votre visite. Ne voudriez-vous pas me chanter un petit air?

— Impossible.

— Eh bien! adieu. Reviendrez-vous me voir?

— Dans un an. D’ici là, j’aurai mille affaires. Il se peut même que je fasse un petit voyage. Je suis très-désiré par d’aimables enfants, qui ne m’ont jamais entendu, et quand on peut faire plaisir....

«Les deux oiseaux se saluèrent poliment en se disant: «A l’année prochaine.»

«Le rossignol ne fit que deux petites stations, tant il lui tardait de rentrer chez lui.

— Eh bien! l’as-tu vu?

— Oui.

— Est-il aussi beau qu’on le prétend?

— Il est superbe; mais....

— Mais quoi?

— Il est empaillé, et très-fier de l’être.

— Horreur!» dit le gentil oiseau en tournant la tête.

— Il me plaint d’être en vie, d’être mal vêtu, de bâtir mon nid, de vivre loin du monde...

— Assez, assez, mon tendre ami, il ne faut pas que nos petits entendent de pareils discours. Ce bel oiseau est un égoïste qui ne connaît pas le bonheur d’aimer. Nous plaindre d’être en vie! de voir la verdure, d’en respirer le parfum, de vivre enfin. Pardon, mon ami, de t’avoir fait sortir pour aller voir un si sot personnage.»

«A ce discours succéda un renouvellement de tendresse. La mère becqueta ses petits, resserra ses ailes, et le père n’eut pas la patience d’attendre jusqu’au soir pour chanter son plus doux chant d’amour.

«Cependant, en ce monde, tous les oiseaux, grands ou petits, sont les mêmes: le rossignol, malgré sa philosophie, était vexé de s’être entendu reprocher sa mauvaise tournure et sa fortune précaire.

«L’année suivante, sans rien dire, il se dirigea vers la demeure de l’orgueilleux étranger. La maison était fermée, les jardins négligés. Quelques roses printanières levaient timidement la tête au milieu des ronces, que l’absence du jardinier avait rendues hardies. Une seule fenêtre était entr’ouverte et laissait voir la cage dorée. L’oiseau aux vives couleurs n’était pas, comme l’année précédente, perché sur un bâton d’ébène. avec toutes les illusions de la vie. Il était couché sur le plancher, presque entièrement dépouillé de ses plumes, et de gros vers couraient sur lui. Voici ce qui était arrivé : son maître étant absent, la gardienne du logis oublia bien vite un oiseau qui ne chantait pas, ainsi que les recommandations du maître. La poussière et le soleil engendrèrent la vermine, et, au bout de quinze jours, l’orgueilleux était réduit en poussière!

«Les meilleurs oiseaux ne sont pas exempts de mauvais sentiments. Le rossignol, dont nous avons tant admiré la sagesse, ne put se défendre d’un mouvement de joie involontaire en voyant la fin misérable de ce fier Américain, et le regardant avec mépris: «Je ne voudrais pas,» dit-il,

«un de ces vers pour nourrir mes petits!

«Il s’en retourna, méditant sur la vanité des plumes rouges et vertes, et bénissant sa modeste parure qui lui permettait de passer inaperçu dans les bois.

— Eh bien! dit Louise, en me mettant debout sur ses genoux, et posant un doigt sur sa petite bouche rose, ce qui arrive aux oiseaux pourrait fort bien arriver aux poupées: il faut se faire aimer, Merveille, par ses qualités et ses talents, et non pas pour la couleur de ses plumes.

— Je n’aurais pas mieux dit, ajouta bonne maman. Allons, vous êtes de gentils enfants et si....

— Et si nous sommes sages, nous aurons encore une histoire,» répliqua le grand Georges.

Bonne maman sourit et nous mit tous à la porte.

J’espère que mon histoire t’a intéressée. J’allais dire: raconte-la à ta petite fille. J’oubliais qu’il ne nous manque que la parole.

Encore adieu, amie, je t’envoie mon plus doux sourire.

MERVEILLE.


Lettres de deux poupées

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