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LETTRE I.

Table des matières

MERVEILLE A SON AMIE.

5 novembre 18.... Château des Roses.

La destinée des poupées n’est donc pas si différente de celle des hommes: nous voilà séparées, et peut-être pour toujours! Resterons-nous chacune à notre place sans nous donner signe de vie? Non: en cela, comme en bien d’autres choses, montrons-nous supérieures aux enfants. N’oublions jamais que nous sommes sœurs, sorties de la même fabrique, et qu’en nous voyant l’une à côté de l’autre, les nombreux visiteurs de Giroux ne pouvaient nous séparer dans leur admiration. Peut-être devons-nous à cette heureuse ressemblance, à ces charmes pareils, le privilége de n’avoir pas connu la jalousie.

Que ces jours d’intimité ont passé vite, ma chère petite sœur!

Que veux-tu? Nous ne pouvions pas raisonnablement espérer d’être sur le même bâton toute notre vie! Laissons les regrets et songeons au bonheur inouï pour des poupées, de pouvoir prendre la plume et épancher notre cœur. Suppose, ma chérie, que nous soyons ensemble, il nous serait impossible de causer. Mais, dis-tu, il serait si doux de se voir!

Sans doute, ma chère amie; pourtant, crois-moi, il y a bien du bonheur dans une lettre, qu’on l’écrive ou qu’on la reçoive. Sans compter que notre vie va être doublée par le seul fait de cette correspondance; car, semblables à ces auteurs d’histoires terribles ou merveilleuses, c’est la nuit que nous confierons à notre petite plume les peines et les plaisirs qui vont se succéder.

Allons! Que tu sois convertie ou non aux charmes de l’absence, je ne peux pas prolonger davantage mon exorde; j’ai mille choses à te dire.

Je suis arrivée ici dans du coton rose. La femme de chambre, personne très-soigneuse, ayant reçu une forte impression de ma personne, persuada aisément à sa maîtresse que la mienne aurait plus de plaisir à me déballer qu’à me voir sortir de la malle de sa grand’mère, où je risquais de me casser le nez dans une crinoline.

Voyez la merveille! (Page 7.)


Malgré son nom, le Château des Roses est sans fleurs au mois de novembre, et le fonds de gaieté que tu me connais n’a pu écarter le voile de tristesse dont j’ai été enveloppée en entrant dans ce grand château.

Le vent gémit en accords majestueux, la neige tombe: c’est bien triste quand on ne peut pas faire de boules de neige! Heureusement que jamais poupée n’a su résister à un aimable sourire d’enfant, et si tu avais vu l’extase de la petite Louise, lorsqu’elle eut soulevé de sa main rouge et potelée le papier de soie qui me couvrait le visage, tu aurais compris comme moi que j’étais déjà aimée. Louise a deux frères: Gustave, le plus jeune, est doux, blond et frisé. Il n’a pas dédaigné de me considérer. Georges est un tapageur de neuf ans, qui ne rêve que sabres et trompettes. Il m’a élevée à une hauteur prodigieuse en me faisant tourner et s’est écrié : «Voyez la merveille! » Louis et Gustave poussaient des cris perçants; la mère et la grand’mère désapprouvaient cette plaisanterie peu convenable; mais comme chaque circonstance de notre vie amène presque toujours un événement inattendu, cette plaisanterie a tranché une difficulté dont les esprits étaient fort préoccupés depuis mon arrivée.

«Merveille! Merveille! s’écriait le lutin, c’est son nom.

— Soit, dit la mère, ce sera la huitième merveille du monde.»

Il y eut alors un tel enthousiasme, que je fus comme suffoquée d’orgueil. Ce sentiment ne dura qu’un instant. Je rentrai aussitôt en moi-même et je bénis Louise d’avoir eu la pensée de me fermer les yeux. Oh! plaignons ces infortunées poupées qui passent leur vie les yeux ouverts comme des sottes, sans pouvoir obéir à un sentiment de modestie ou de recueillement!

On dit que la vérité sort de la bouche des enfants: cette fois-ci je ne puis le croire. Toutefois, j’accepte ce grand nom de Merveille et je veux m’en rendre digne.

«Maman, demanda Louise, je voudrais bien savoir pourquoi ma poupée est la huitième merveille du monde plutôt que la première?»

La mère sourit:

«Par cette raison, ma petite fille, qu’il y en a déjà sept de connues.

— Lesquelles, maman? répliqua Louise d’un air de doute.

— Votre père vous le dira ce soir, quand nous serons tous réunis, si vous êtes bien sages.

— Et à Merveille aussi, maman, car je suis sûre qu’elle n’est pas plus savante que nous.

— Qui sait?» répondit la grand’mère avec une gravité qui fit rire tout le monde, excepté moi.

Ainsi, ma chère amie, je saurai bientôt l’histoire des sept merveilles du monde. Je me figure que c’est une bien vieille histoire! N’importe, il ne faut jamais négliger l’occasion de s’instruire.

Adieu, ma chérie. Ah! que cette lettre m’a fait du bien!

Je t’embrasse de tout mon cœur. Cette formule est un peu usée entre les grandes personnes, mais elle est toute nouvelle pour nous.

MERVEILLE.

P. S. J’oubliais de te dire que Louise a huit ans, Je te ferai son portrait plus tard. Je brûle de savoir ton nom.


Lettres de deux poupées

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