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LETTRE VIII.

Table des matières

LA MÊME A LA MÊME.

1er mars.

C’est encore moi! Et vraiment je n’ai garde de m’en excuser. Qui aime beaucoup a beaucoup à dire aussi.

Triste ou gaie, dans la santé, dans la maladie, je pense à toi, j’ai besoin de te raconter ma vie. Cela s’appelle aimer. Or, Charmante, hier a été un jour remarquable.

Ne t’attends pas toutefois au récit de grands événements. Il s’agit d’une belle journée de campagne.

Un congé fut solennellement annoncé au déjeuner, sans qu’on s’y attendît. C’était la veille du jeudi, ou si tu veux mercredi. La sensation fut profonde, même chez moi: j’aime Louise, et je partage ses petits chagrins et ses plaisirs, comme le ferait une bonne petite sœur.

La nouvelle de ce congé extra aurait ôté l’appétit à tout le monde, si grand’mère n’eût déclaré de la façon la plus positive qu’on ne partirait pas une minute avant l’heure dite. L’effervescence se calma, l’appétit revint.

Ici tous les plaisirs tournent à profit pour l’instruction des enfants. Il s’agissait cette fois d’une visite à la ferme, où nous verrions boulanger, battre le beurre, et bien autre chose encore.

Contre leur ordinaire, les garçons étaient prêts avant nous; ils se tenaient dehors, comme si leur impatience pouvait faire avancer l’horloge du château, mais cette bonne vieille horloge sait bien qu’elle apporte heur et malheur dans la même minute, et son amour de la justice la rend inflexible.

Georges prenait patience en écrivant son nom sur le sable; Gustave disait à tous les échos d’alentour qu’une minute venait de s’écouler.

Si ce manège n’eut pas la puissance de faire devancer l’heure du départ, il contribua à prévenir tout retard. Les mères les plus raisonnables n’en sont pas moins de tendres mères, et elles ne veulent pas d’autres plaisirs que ceux de leurs enfants. L’heure a donc sonné et nous voilà partis; père, mère, grand’mère, poupée et enfants. Gustave et Georges nous précédaient, et revenaient ensuite sur leurs pas, pour nous annoncer quelque découverte précieuse, comme celle d’un nid, placé si bas dans la haie qu’on pourrait le prendre; mais pour rien au monde ces braves Français n’auraient voulu d’une conquête aussi facile!

Louise et moi, abritées sous nos chapeaux à larges bords, nous marchions paisiblement, émerveillées des progrès rapides que la verdure avait faits en quelques jours. Déjà de blancs liserons se montraient timides dans la haie.

Au détour du chemin, apparut un champ de blé d’un vert tendre.

«Oh! maman, s’écria Louise, que c’est beau! qui aurait dit, lorsque Thomas marchait dans le sillon en jetant du blé au vent, que ça ferait une si belle pelouse?

— Et qui dirait, ajouta Mme Deville, que ces jolis brins d’herbe, qui frémissent au moindre souffle, deviendront de beaux épis jaunes qui rapporteront vingt fois et plus à maître Thomas le grain qu’il a semé ?

— C’est vrai! quand j’étais petite, toute petite par exemple, je croyais que le fermier jetait du grain aux oiseaux. Maintenant, je ne crois plus ça.

— Eh bien! dit Georges, je vais t’apprendre une chose que tu ne sais pas: il y a là-bas un champ où la galette pousse toute chaude.

— Maman, dit Louise, les larmes aux yeux, Georges se moque de moi!... je sais bien que la galette ne pousse pas.... il aime la galette aussi, lui.

— Chère petite fille, la galette ne pousse pas, c’est avec de la belle farine que Marianne fait la nôtre. A propos, j’ai vu l’autre jour de ma fenêtre une bonne petite fille qui donnait à un vieux pauvre la part de galette qu’elle venait de recevoir pour son goûter.

— Maman, vous m’avez vue!» Et dans la joie que lui causait le souvenir de sa bonne action, Louise laissa aller deux larmes que les taquineries de son frère avaient fait monter à ses yeux.

On arrivait à la ferme, à l’entrée de laquelle se trouvait un ruisseau boueux. Georges, qui éprouvait le besoin de faire le gentil, nous prit dans ses bras en dépit de notre résistance, et nous déposa saines et sauves dans la cour de la ferme.

Suzanne, la fermière, n’était pas prévenue de notre visite. Elle parut pourtant charmée de nous voir, et tout en nous disant le plus cordial bonjour, elle continuait à appeler ses volailles et à leur jeter du grain.

Ce spectacle n’était point nouveau pour nous; mais la cour de la ferme, le grand nombre de volailles gourmandes et affamées changeaient la scène.

Ne crois pas que Louise et moi fussions les seules charmées de cette représentation champêtre: tout le monde regardait, observait.

Il y avait parmi les convives des poules hardies, qui venaient picoter jusqu’aux pieds de Suzanne; d’autres s’avançaient timidement, et se sauvaient sans avoir pu rien attraper. Nous avons remarqué une poulette blanche qui, depuis le commencement de la distribution, n’avait pu parvenir à picoter une seule fois. Tant de modestie et de discrétion touchèrent le cœur de Louise; nous lui avons servi un petit repas à part. Cette gentille poulette nous témoignait sa reconnaissance, tout en picotant, par un petit caquetage qui voulait évidemment dire: — Merci, aimable enfant, bonne poupée; grâce à vous, je me régale; jamais je n’aurais eu le courage de braver les coups de bec des grossiers personnages, en compagnie desquels je suis forcée de vivre.

Quand Suzanne eut épuisé le grain que contenait son tablier, elle nous proposa d’entrer dans la salle. Quelle propreté, quel arrangement!

Un gros enfant joufflu, assis près de sa grand’-mère, soufflait dans une horrible trompette. La bonne vieille filait tranquillement, et goûtait d’autant plus la sérénade que lui donnait son petit-fils, qu’elle était absolument sourde.

Le petit Jacques, qui était propre comme le reste de la maison, se laissa embrasser, et, par un mouvement de douce familiarité que je lui pardonne de tout mon cœur, il me montra du doigt, s’avança vers Louise pour mieux me voir, et, séduit par la fraîcheur de ma bouche, il me donna la sienne.

Les compliments étant finis de part et d’autre, la gentille Suzanne nous conduisit dans la boulangerie. Une fille de ferme, les manches relevées jusqu’aux coudes, pétrissait. Nous eussions bien voulu pétrir un peu, tant la chose nous semblait simple et facile; mais Suzanne nous assura que cette opération était au-dessus de nos forces.

Loulouse ne se contenta pas de regarder; elle pria Suzanne de tout lui expliquer.

«Volontiers, mamzelle Louise; pour cela, faut commencer par le commencement.»

Elle nous conduisit donc au grenier, où étaient des montagnes de blé ; puis des sacs de belle farine blanche, que le meunier venait de déposer.

Suzanne fit sasser devant nous.

Loulouse ne savait pas que le son venait de la farine. Elle était émerveillée de les voir s’en aller chacun de son côté.

«Comme c’est bien, disait la petite, d’ôter ce vilain son de cette belle farine blanche!

— Oh! reprit Suzanne, ce vilain son n’est pas sans mérite. C’est avec ça que je nourris mes poules, mes canards, et encore quelqu’un que vous entendez grogner là-bas; sans compter qu’il y a des temps où les hommes sont bien forcés de se contenter de pain de son!

— Est-ce vrai, maman? demanda Louise, qui ne pouvait en croire ses oreilles.

— Oui, mon enfant; toutefois il est rare qu’on soit réduit à cette extrémité en France; mais dans les pays du nord, le peuple mange du pain de son, sans être pour cela dans la misère. Le son a encore une utilité fort précieuse, ajouta gravement Mme Deville, notre Merveille lui doit ses bras potelés.»

Louise accepta le compliment d’un air sérieux, qui me donna envie de rire.

» Quand nous eûmes parcouru les greniers de la ferme où se trouvaient aussi les provisions de maïs, de pois et de fèves, Suzanne nous ramena dans la boulangerie; elle nous lit elle-même de petits pains, sans oublier le mien qui était encore plus petit que les autres. Le four étant chaud, nous eûmes le plaisir de voir enfourner.

«Maman, dit Louise, quand on est à table, et qu’on mange de bon pain, on ne se doute guère de la peine que se donnent le meunier et le boulanger. »

Cette réflexion, vraiment sage pour une petite fille de huit ans, eût certainement donné lieu à une réponse intéressante de la part de notre chère maman, si Suzanne, craignant que la chaleur du four ne nous incommodât, ne nous eût fait sortir et marcher un peu, avant d’entrer à la laiterie.

Nous eûmes le plaisir de voir enfourner. (Page 66.)


Là, nouvelles extases, nouveaux transports! Figure-toi, Charmante, une quarantaine de terrines bien alignées et remplies d’une belle crème. Suzanne nous expliqua comment cette crème, déposée dans la baratte, ferait d’excellent beurre. Elle fit semblant de baratter pour nous aider à comprendre.

Il était bien juste d’aller rendre visite aux vaches, dont le bon lait nous avait été offert dans de jolies tasses.

Les petits veaux, après nous avoir regardés tendrement, nous donnèrent une représentation de sauts et de gambades.

Ah! Charmante, tout cela a l’air bien simple, et pourtant je ne me souviens pas d’avoir passé une journée plus agréable. Ce n’est pas tout: au moment de partir, la clochette du troupeau se fit entendre; aussitôt les agneaux bondirent au-devant de leurs mères. Si, par hasard, l’un d’eux se trompait, la mère renvoyait d’un léger coup de pied le petit à sa nourrice. Cette scène nous a tous amusés et intéressés.

Rien n’a manqué à nos plaisirs. Les canards ont plongé, les pigeons ont roucoulé, les dindons ont fait la roue en disant glouglou, et le petit berger, lui aussi, a voulu avoir un rôle. Il prit sa cornemuse et nous joua un air, dont les enfants se sont égayés en même temps que je sentais mon cœur se remplir d’une indicible tristesse.

Le soleil se chargea de nous rappeler l’heure du dîner, en nous disant bonsoir. Mme Deville donna le signal du départ.

La bonne Suzanne ne nous laissa point oublier nos petits pains. Elle poussa l’attention jusqu’à mettre le mien dans ma poche. On partit enfin, après avoir promis de revenir, à la moisson et aussi à l’automne, ramasser les châtaignes et les noix.

La clochette du troupeau se fit entendre.


Quelle journée! La ville n’a point de plaisirs comparables à ceux que nous offre la campagne. Il ne fut question le long du chemin que de tout ce qu’on avait vu chez la bonne Suzanne. Gustave et Louise convinrent secrètement de semer du blé dans un coin de leur jardin, de faire la moisson, de porter le grain au moulin, de pétrir, de mettre au four, et de croquer à belles dents la miche qui serait leur œuvre. Loulouse ajouta:

«Et nous en donnerons au pauvre petit Germain, quand il passera.

— Certainement,» répliqua Gustave avec le même accent de générosité.

Dans son transport, Loulouse m’appliqua deux baisers, que j’aurais bien voulu lui rendre.

Et toi, Charmante, que deviens-tu? Dis-moi tout, comme je te dis tout; car tu m’aimes comme je t’aime.

Adieu, ma chérie.

MERVEILLE.

Lettres de deux poupées

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