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LETTRE II.

Table des matières

MERVEILLE A SON AMIE.

25 novembre.

Ton silence m’afflige: serais-tu malade? a-t-on mis ton bras droit en écharpe après une chute d’âne, ou bien as-tu versé sur quelque route?

La vie des poupées, hélas! est soumise à toutes sortes d’événements, et aussi à une foule de caprices, ce qui, selon moi, est encore plus fâcheux.

Je suis déjà attachée à ma famille. Louise, qu’on appelle Loulouse, est une bonne petite fille, grande, svelte, gaie, franche; ses beaux yeux noirs et brillants disent toujours vrai, et sa jolie bouche ne les dément jamais. Loulouse m’aime et me le dit. Je lui en suis fort reconnaissante.

Comme je ne peux pas croire à ton indifférence, ma chère amie, je vais répondre aux questions que tu devrais déjà m’avoir faites.

M. et Mme Deville, les parents de Loulouse, passent l’hiver à la campagne depuis plusieurs années, non pour leur bon plaisir, mais pour venir en aide aux habitants du pays, que de mauvaises récoltes ont réduits pour la plupart à un état voisin de la misère. J’aime cela.

Dans cette famille, on connaît ses devoirs, on les accepte avec générosité.

Voilà donc de pauvres gens qui ne manqueront pas de secours et d’ouvrage pendant la mauvaise saison.

Nous sommes en Alsace, dans le Bas-Rhin, une des plus riches provinces de France. Louise m’assure qu’une fois le printemps venu, je verrai de belles forêts, des prairies, des châteaux en ruine, où nous irons faire la dînette. En attendant, elle m’étouffe dans des fourrures; heureusement que je suis de sang-froid et d’une forte constitution. J’ai une petite boule d’eau chaude dans mon lit pour prévenir les rhumes, qui sont, à en croire Louise, très-dangereux en Alsace.

La mère de ma petite mère est une aimable femme, qui aime tendrement son mari et ses enfants; sa mère est l’objet de toutes ses sollicitudes. Oh! cette grand’mère, il faut la voir au milieu de ses petits-enfants!

Elle les laisse grimper sur ses genoux; Georges l’embrasse, Louise lui tire les cheveux sous prétexte de la coiffer, Gustave se charge du tricot; les lunettes sont un ornement dont les trois enfants essayent tour à tour.

Cette chère bonne maman voudrait se fâcher quand Georges s’empare d’une certaine tabatière d’or, sa fidèle compagne; mais le lutin gagne son procès en prisant comme monsieur l’avocat général, et, au lieu de gronder, la grand’mère rit. La représentation se termine par une distribution de sucre d’orge. Oh! les grand’mères, c’est bon, même pour les poupées!

Le père de Louise me fait l’effet d’un savant; je dois convenir toutefois qu’il semble oublier toute sa science en notre présence. Il raconte des histoires, joue au loto le jeudi et le dimanche. C’est un homme simple et bon, qui ne dédaigne pas à l’occasion de dire un mot à une poupée. Il donne des conseils pour ma santé et mon éducation. Il n’éprouve pas le plus léger sentiment de jalousie pour la huitième merveille du monde.

A tous ces personnages, il faut ajouter la gouvernante des enfants, une excellente personne, adroite comme une fée, mais qui manque de simplicité en n’osant pas avouer que ma présence est une douce distraction pour ses vingt-deux ans! Quelle faiblesse! Qui ne sait que les mères, et les grand’mères elles-mêmes, se souviennent avec plaisir du temps où elles jouaient à la poupée! De tous les aveux, je n’en connais pas de plus facile et de plus honorable à faire.

Ainsi, ma chère amie, tu vois ma position: beau pays, bon château, un parc splendide traversé par une rivière, des équipages, une société choisie, et, plus que tout cela, le cœur et les soins de ma Loulouse. Cette chère petite veut faire mon éducation; Mlle Jenny ne s’en mêlera en aucune sorte. Mes études marcheront avec celles des enfants, quoique je sois, sous tous les rapports, beaucoup plus avancée qu’eux, particulièrement pour le développement des idées, l’expérience et le style épistolaire. J’ai déjà pu me convaincre qu’ici une lettre à écrire est une grande affaire pour tous ces bambins.

Ne crains pas, chère sœur, que je me jette dans la science. J’ai horreur d’une poupée qui sait le grec et le latin. Pour les langues vivantes c’est autre chose, elles sont utiles en voyage: il est toujours bon de pouvoir suivre une conversation, même sans dire son mot.

Tu penses bien que l’histoire des sept merveilles du monde a été rappelée.

Comme Louise l’avait désiré, j’ai fait partie de la soirée. Je sais quelles sont ces merveilles. J’en ai transcrit à part le récit. Tu le liras à tête reposée.

Écris-moi donc, chère paresseuse; je finis par croire que le monde te tourne la tête, ou que tu as épousé un mandarin jaloux, qui te prive de tout commerce avec ton amie.

«Addio, Cara, addio con un bel baccio.»

MERVEILLE.

SUITE DE LA LETTRE PRÉCÉDENTE.

«Mon petit papa, dit Louise, en sautant avec moi sur les genoux de M. Deville, vous seriez bien gentil de nous raconter les Merveilles du Monde, pendant que nous sommes là autour de la table, Tenez, la pauvre Merveille désire connaître ses aïeules; c’est bien naturel, et puis, moi, j’aime beaucoup les histoires.

— Volontiers, dit le bon père, si Georges et Gustave veulent rester tranquilles.»

Pour toute réponse, les petits garçons se rapprochèrent de la table, se disputant à qui serait le plus près de. grand’mère.

Le calme étant établi, M. Deville commença:

«Ma chère Merveille, mes enfants s’attendent à, ce que le récit des sept merveilles du monde leur cause autant de joie que votre présence nous en a donné. (Je m’inclinai.) Toutefois, charmante poupée, vous avez dû déjà vous apercevoir que, pour vous autant que pour eux (seconde inclination), j’aime que l’instruction ne se sépare pas du plaisir. Prêtez-moi donc toute votre attention.

«On a donné le nom de Merveilles du monde à sept ouvrages remarquables de l’antiquité :

«1° C’étaient d’abord les murailles et les jardins de Babylone.

«Ces murailles étaient plus hautes que les platanes de la grande avenue; si épaisses qu’elles soutenaient une espèce de terrasse, sur laquelle plusieurs chars couraient de front sans s effleurer.

«Les jardins étaient en terrasses étagées; de beaux arbres formaient des allées aussi touffues que celles du parc. Ce n’est pas tout: ces jardins en l’air étaient arrosés par des eaux abondantes qui montaient jusque-là.

Murailles et jardins de Babylone.


«Sémiramis, reine de Babylone, a eu la gloire de faire construire cette merveille.

— Papa, Georges me taquine, il me demande où est Babylone, moi je ne sais pas.

— Ma petite fille, Georges doit avoir ses raisons pour t’adresser cette question; je présume qu’il tient à nous dire lui-même un mot de la grande Babylone.»

Georges, quoique un peu attrapé, n’hésita pas à nous avouer, tout en tortillant une cocotte commencée, que le matin même il avait appris que Babylone était l’ancienne capitale du royaume de Chaldée, en Asie, fondée vers l’an 2680 du monde par Nemrod, sur les deux rives de l’Euphrate. On appelait Babylone la reine du monde. C’est là qu’était la fameuse tour de Babel.

A ce nom de Babel, ma chère amie, tous les enfants se mirent à parler ensemble pour placer leur érudition: moi seule fis acte de modestie.

Les pyramides d’Égypte.


«2° Les pyramides d’Égypte, continua le père, étaient des monuments gigantesques bâtis par les rois de ce pays pour leur sépulture. Ces pyramides, comme vous en avez vu dans vos livres d’histoire ancienne, étaient très-larges au bas et se terminaient en pointe. Elles étaient si hautes qu’on les apercevait de dix lieues à la ronde. On y entrait par des ouvertures, il y avait des escaliers et des chambres comme dans une maison. Il fallait quelquefois vingt ans de travail assidu pour construire une pyramide.

— Est-ce qu’il en avait beaucoup, papa?

— On ne parle guère que des trois plus fameuses, dont on voit encore les ruines près de Memphis.

— Qu’est-ce que ça te fait, Loulouse? dit Georges.

«3° Vous savez, mes enfants, qu’un phare est une grosse lanterne, placée au haut d’une tour pour éclairer les vaisseaux qui entrent au port et qui en sortent.

Phare d’Alexandrie.


— Comme il y en a un au Havre, répondit Louise en rougissant de bonheur de placer ses petites connaissances.

— Précisément. Eh bien! le phare d’Alexandrie était tout en marbre blanc et à plusieurs étages. Quand le ciel était pur, on voyait les vaisseaux à trente lieues de distance.

«4° Il y a longtemps, bien longtemps, mes petits amis, les hommes ne connaissaient pas Dieu, et, dans leur ignorance, ils imaginèrent un ciel où il y avait des dieux et des déesses. Le maître de ce ciel, qu’on appelait l’Olympe, était Jupiter. On l’adorait; on lui élevait des temples et des statues dans l’espoir de se le rendre favorable.

— Papa, Merveille dit que c’était bien bête.

— Elle a raison.

Statue de Jupiter Olympien.


«En Grèce, à Olympie, on avait élevé à Jupiter une statue d’or et d’ivoire. Phidias, le premier sculpteur d’Athènes, était l’auteur de cette merveilleuse statue, connue sous le nom de Jupiter Olympien.

«Ce maître des dieux était assis sur un trône; il avait sur la tête une couronne de feuilles d’olivier; il tenait d’une main une petite statue représentant la Victoire, et de l’autre un sceptre sur lequel reposait un aigle.

«5° Le colosse de Rhodes était une statue d’airain, représentant Apollon ou le dieu du soleil. Cette statue était d’une élévation extraordinaire. Ses jambes écartées sur les deux môles, ou pierres du port, laissaient entre elles un si grand espace que les vaisseaux y passaient à pleines voiles.»

Le colosse de Rhodes.


Un cri d’admiration et de surprise retentit dans l’auditoire.

«On peut donc supposer, continua gravement M. Deville,que toutes les poupées du monde auraient pu passer entre les jambes du colosse de Rhodes.

«Le pouce du pied de ce colosse était si gros que les doigts d’un homme pouvaient à peine l’embrasser.»

Louise ôta mon bas et dit: «Quelle différence avec celui de Merveille!»

«6° Diane était une déesse qui avait aussi un temple à Éphèse. Pendant deux cent vingt ans, toute l’Asie fournit des richesses pour l’ornement de ce temple.

«La Diane était en ébène; elle avait sur la tête une grande tour à huit étages; un beau jour, un fou nommé Érostrate y mit le feu.

Temple de Diane, à Ephèse


— Il n’était pas si fou, dit Georges, que ceux qui avaient bâti le temple.

«7° Enfin la septième merveille est le tombeau que la reine Arthémise fit éleverà son mari Mausole dans la ville d’Halicarnasse, en Carie. Ce monument occupa pendant quatre années les plus grands sculpteurs de la Grèce. On ne vit jamais rien de pareil. Il y avait entre autres ornements une pyramide de marbre à laquelle on arrivait par vingt degrés. Un magnifique char en marbre blanc terminait ce curieux édifice. Ce tombeau fut appelé depuis mausolée du nom de Mausole, et nous employons nous-mêmes encore ce nom aujourd’hui.

Tombeau de Mausole.


«On a bien encore ajouté d’autres merveilles à celles ci, mais nous ne citerons que notre chère Merveille, qui, pour arriver la dernière, n’en a pas moins de droits à notre admiration.»

Voilà, chère amie, ce que je viens d’apprendre d’histoire ancienne, et je m’empresse de te le communiquer, bien persuadée que ce ne sera pas peine perdue.

MERVEILLE.

Lettres de deux poupées

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