Читать книгу François-Joseph Navez : sa vie, ses oeuvres et sa correspondance - Louis Alvin - Страница 11
ОглавлениеUNE HALTE A BRUXELLES.
Au nombre des personnes qui, en 1810, fondaient à Bruxelles une société d’artistes en vue d’offrir, à ceux qui ne pouvaient plus fréquenter l’Académie, le moyen de continuer à dessiner d’après le modèle vivant, on trouve le nom de M.Auguste De Hemptinne. L’amitié de cet homme, aussi recommandable par les qualités du cœur que par la distinction de l’esprit, a tenu dans l’existence de Navez une place si considérable que je ne puis négliger de dire ce qu’il était. Je me bornerai toutefois à de très-sommaires indications, renvoyant le lecteur qui voudrait être plus amplement renseigné à l’excellente notice biographique que M. J.-S. Stas a consacrée, dans l’Annuaire de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de 1857, au savant qui avait été son bienfaiteur et son ami.
De Hemptinne (Auguste-Donat) est né à Jauche (Brabant), le 15 avril 1781. Pharmacien depuis le 23 juillet 1806, il devint membre du jury médical du département de la Dyle dès l’année suivante; il fit partie du conseil communal de Bruxelles dès 1840; fut professeur et l’un des fondateurs de l’université libre; membre de l’Académie de Belgique, élu en 1834; de l’Académie de médecine depuis sa fondation. Il avait épousé, en 1812, Marie-Antoinette De Lathuy, de Gembloux. Ce savant respectable est décédé à Bruxelles, le 5 janvier 1854.
Les premières relations entre les deux amis datent peut-être des années de l’enfance du peintre, ce qui explique la grande intimité des deux familles; en 1808 et 1809, Navez avait déjà dessiné, à Jauche, les portraits de tous les membres de la famille De Hemptinne.
C’est dans la maison de cet ami qu’il prit logement en 1816, en revenant à Bruxelles. Une des sœurs de Navez, Jeannette, qui ne s’est point mariée; une sœur de madame De Hemptinne, mademoiselle Flore De Lathuy, que le peintre épousa en 1825; une petite fille, Julie, le premier enfant du jeune ménage, animaient l’intérieur dans lequel l’élève de David passa les vingt mois qui s’écoulèrent entre son retour de Paris et son départ pour l’Italie. Orphelin de père et de mère, Navez retrouvait dans cette maison une famille dont l’affection ne lui a pas fait défaut un seul jour de sa longue carrière.
M. De Hemptinne fut pour lui un frère longtemps avant qu’une alliance, projetée dès 1816, lui donnât réellement ce titre. Plus jeune de six ans, Navez l’aime et le respecte; en lui écrivant, il l’appelle mon maître. Il trouvait, en effet, en lui, conseils et assistance au besoin. M. De Hemptinne était son correspondant à Bruxelles pour toutes ses affaires: placement de tableaux, avances d’argent, enfin pour toutes les communications que, de Rome, il envoyait dans son pays.
Pendant cette halte en Belgique, tout en continuant à recevoir les leçons de David, il peignit trois tableaux d’histoire: Abel en prière, Sainte Véronique, et un petit tableau pour le duc d’Ursel; il n’en a pas indiqué le sujet.
Il fit en outre dix-sept portraits, ce qui lui rapporta 4,242 francs. Au nombre des portraits se trouve celui de David, qu’il reproduisit trois fois: l’un fut donné à son maître; M. De Hemptinne reçut le second, et Navez conserva toujours le troisième dans son atelier, où il se trouve encore. Il appartient maintenant à M. J. Portaels.
Parmi les camarades qu’il avait connus à Paris, et dont il retrouva quelques-uns à Rome, Navez s’était lié d’amitié avec un jeune peintre, M. Poisson, élève de David, qui n’a jamais beaucoup marqué dans son art, mais dont les qualités le faisaient aimer de tous. C’est lui qui tenait Navez au courant de ce qui se passait dans l’école depuis l’exil du maître. Le jeune Belge, de son côté, donnait aux fidèles de Paris des nouvelles de l’illustre proscrit.
Les élèves du premier peintre de S. M. l’empereur se trouvaient alors dans un grand désarroi. D’abord, le local où ils travaillaient leur fut retiré pour être donné à un artiste bien pensant, ami de la légitimité. Mais, grâce aux démarches de M. Gros auprès du ministère, ceux qui étaient restés fidèles quand même reçurent l’autorisation de s’établir dans l’atelier autrefois occupé par Vincent. Pendant les pourparlers que cette installation exigea, ils se réfugièrent dans celui d’un de leurs camarades, Dupavillon. Les détails que Poisson donne à cet égard, à la date du 1er avril 1816, seront ici à leur place en compagnie de ceux que j’emprunterai au livre si complet de M. Delécluze, sur l’illustre chef de l’école française:
Comme il a fallu rendre aujourd’hui notre atelier, nous sommes réunis dans celui de Dupavillon pour continuer un noyau qui puisse, s’il est possible, pousser et refleurir de nouveau. Quant aux élèves, ils y mettent la plus mauvaise grâce possible (j’en excepte quelques-uns): c’est à qui ne viendra pas et, malgré toutes les prières que je leur fais de rester réunis, quoique je leur répète que plus nous serons, plus M. Gros sera encouragé dans les démarches qu’il est obligé de faire, j’ai bien de la peine à en conserver douze. Ce ne peut pas être la question d’argent qui les retient, puisque M. Gros, qui est très-exact à venir, nous corrige pour rien. Lorsque je suis allé chez lui pour parler de ses intérêts, il m’a dit que ce n’était pas le moment, que plus tard lorsque nous aurions un local, qu’enfin nous avions tout le temps de parler de ces choses-là.
Déjà, dès lors, les amis de David, et le peintre lui-même, nourrissaient l’espoir de voir bientôt finir l’exil auquel la loi du 12 janvier avait condamné le régicide. Poisson en parle, dans la même lettre, en ces termes:
Je croyais avoir des nouvelles plus certaines à te donner sur le rappel de M. David, on en parle beaucoup dans les bureaux. M. Gros m’a dit qu’il avait parlé à plusieurs personnes pour cela, qu’il en avait sondé d’autres et que toutes se réunissaient à dire qu’il fallait attendre encore un peu pour laisser plus d’étendue à la loi, que le gouvernement satisfait le rappellera, qu’il avait l’œil sur lui et qu’il ne laisserait pas en pays étranger un talent si précieux, qu’on ne négligera rien pour cela.
Si David n’a pas été rappelé, il n’en faut peut-être pas blâmer uniquement le gouvernement de la Restauration. M. Delécluze a suffisamment démontré que les principes politiques n’auraient pas été un obstacle, du côté du peintre du moins, à sa réconciliation avec la royauté légitime.
En jetant un coup-d’œil, dit cet écrivain, sur les variations de David, si rigide républicain en théorie, et toujours allant au-devant du pouvoir, quelque absolu qu’il fût, il semble que cet homme ait rassemblé en lui toutes les oppositions d’idées qui caractérisent les Français, républicains d’opinion et monarchiques par les mœurs, comme les a si spirituellement définis Chateaubriand. (Page 233.)
Pendant la première année de la Restauration, David, peu satisfait, comme tous les hommes de son parti qui espéraient mourir tranquilles sous le gouvernement de Napoléon, n’eut cependant pas à se plaindre des princes de la maison de Bourbon ni de leurs ministres. Il vécut retiré chez lui, évitant de se présenter dans les lieux publics et s’occupant à faire plusieurs portraits de personnes de sa famille, entre autres celui de sa femme, etc. (Page 354.)
M. Delécluze a signalé la conduite courageuse de M. Gros; elle est digne de tous les éloges.
Quelques-uns de ses élèves se montrèrent plus assidus que jamais auprès de lui pendant ces tristes jours. Mais Gros fut celui de tous qui obéit le mieux en cette occasion à la générosité de son cœur. Sans faire la moindre attention aux fâcheux résultats que sa conduite pourrait avoir pour lui, homme célèbre, peintre habile, qui ne renonçait point à participer aux travaux que pourrait lui confier le gouvernement des Bourbons, Gros, tout occupé de l’abandon de son maître, inquiet sur son avenir, ne cessait d’aller le soutenir de sa courageuse amitié. (Page 358.)
Il revient sur ce sujet un peu plus loin:
Enfin, Gros, son élève, qui eut pour lui la tendresse d’un fils, employa tout ce que son talent et son âme généreuse pouvaient lui donner d’énergie, de patience et de crédit pour obtenir la grâce de son maître, mais inutilement. On ignore les conditions précises imposées à David par le gouvernement des Bourbons pour se racheter de l’exil; mais tout indique qu’elles furent telles, que l’artiste eut raison de ne pas les accepter. (Page 374.)
Je rencontre, dans les correspondances, une explication assez plausible des motifs qui ont prolongé l’exil de David. C’est à propos de l’exposition de Paris de 1819. Il avait été question d’y faire figurer des ouvrages du maître absent. Voici les détails que reçoit, de son ami Beauvoir, Navez qui se trouvait à Rome en ce moment:
M. David se porte parfaitement bien, ainsi que sa femme. M. de Forbin avait dit à M. Gros que s’il voulait y faire mettre les tableaux de M. David, il bousculerait, pour lui, toute l’exposition, lui donnerait la place d’honneur et que, lorsque le roi, dans son fauteuil, se ferait rouler dans les galeries, il le ferait arrêter en face et profiterait du moment, lui, M. de Forbin, pour parler en faveur du peintre. M. Gros, tout content, était allé trouver l’homme d’affaires de M. David; il venait précisément de recevoir une lettre qu’il fit lire à M. Gros; elle n’avait pas le sens commun. Il eût voulu, par exemple, que M. de Forbin lui eût écrit pour lui demander de faire exposer ses tableaux. Il prétend qu’il ne veut et ne peut rentrer en France sans avoir le titre de premier peintre du roi. Cela n’est-il pas le comble de la déraison?
Je crois, pour ma part, que David se trouvait fort bien à Bruxelles, entouré de respect et de considération, vivant sous un régime beaucoup plus libéral que celui qu’il aurait retrouvé en France. Il ne serait pas d’ailleurs le seul proscrit français qui se serait accommodé d’un exil en Belgique. M. Delécluze paraît être de cet avis quand il dit:
Contre l’ordinaire, la vie de David a mieux fini qu’elle n’avait commencé, et l’on serait tenté de croire que la peine de l’exil, si terrible ordinairement pour les hommes, devait donner à celui-ci un calme d’esprit, une justesse de jugement, une fermeté de résolution qu’il n’avait jamais montrés auparavant. (Page 371.)
A Bruxelles, la plupart des élèves belges, MM. Odevaere, Navez, Paelinck, Moll et Stapleaux, entre autres, n’ont pas manqué un seul instant, par leurs efforts particuliers ou réunis, de rendre les dernières années de leur maître aussi douces, aussi belles qu’il était possible qu’elles le fussent. (Page 363.)