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II

Table des matières

ÉTUDES EN BELGIQUE.

Le jeune homme étant arrivé à l’âge de quinze ans, le moment était venu de lui choisir un état et de compléter son instruction.

Il y avait alors à Bruxelles un peintre en renom, natif de Charleroi, et qui était le conseiller naturel auquel un habitant de la petite ville pouvait s’adresser en pareilles circonstances. C’est ce que fit le père de Navez; il écrivit à M. François la lettre que voici:

Quoique je n’aie pas le bonheur de vous être connu, cependant je prends la confiance de vous requérir d’un grand service, qui sera de vouloir m’éclairer sur la conduite que je dois tenir à l’égard de mon fils, âgé de quinze ans, qui, dès sa plus tendre jeunesse, a eu un goût et des disposisions marqués pour la peinture, sans avoir jusqu’à présent eu aucun maître. Dans l’incertitude où je suis, veuillez m’éclairer et dire à ma fille, qui aura l’honneur de vous remettre cette lettre, si je dois le laisser suivre son goût et si, par cet art, en s’y attachant, il peut espérer de se créer un état dans lequel il pourra vivre, ou si je dois lui faire commencer ses études.

Cet avenir m’effraie, étant déjà d’un grand âge. Veuillez me servir de boussole et me marquer si l’académie de peinture subsiste toujours chez vous, et s’il y a un pensionnat particulier pour les jeunes sujets qui s’attachent à cet art, et quel en est le prix et les conditions. Je sais qu’il y a un lycée; mais, outre que le prix de la pension est excessif, il est supérieur à mes revenus. Daignez, je vous prie, tracer à ma fille la conduite que je dois tenir. Elle est chargée de ma part de vous témoigner ma vive reconnaissance, etc.

Le jeune Navez vint donc à Bruxelles; le 5 septembre 1803, il commença à dessiner sous M. Isidore François (frère de Joseph François et père de Célestin).

Il est admis à l’académie le Ier octobre suivant et, dès le mois de mars, il adresse à son père ses premiers dessins, qui font l’admiration des parents et amis. Voici l’accusé de réception de ce premier envoi.

Mon cher fils, j’ai reçu les seize pièces que vous m’avez envoyées en très-bon état. Elles m’ont fait beaucoup de plaisir et ont plu à tout le monde qui les a vues, surtout à M. Chapel. Héloïse, Antigone et celle de l’estampe sont supérieurement bien faites. On est ici enchanté de vos progrès et on vous en fait bien des compliments. Continuez à vous bien appliquer et surtout n’oubliez pas de remercier Dieu tous les jours des grâces qu’il vous fait. 4 mars 1804.)

Bientôt après, l’heureux père répond à une lettre de son fils.

On ne peut ressentir plus de joie et de satisfaction que je n’en ai ressenti à la réception de votre dernière lettre, qui m’a annoncé que vous étiez premier à la bosse. Jugez combien elles furent grandes par la tendresse et l’amitié que je vous porte. J’espère que, continuant votre goût et votre application, vous serez un jour un grand peintre. (16 novembre 1804.)

Les progrès continuent, témoin ce passage de la dernière lettre que Navez reçut de son père.

Je ne puis vous exprimer la joie que j’ai ressentie à la réception de votre lettre, qui m’apprenait que vous aviez été premier dans la composition de trois têtes et que vous remporteriez le premier prix à l’académie cette année.

... Vous me marquez que vous enseignez quelques jeunes gens. Je n’approuve nullement cela, car vous risquez de vous négliger et de déplaire à M. François, qui certainement verra cela de très-mauvais œil. Il ne faut pas, pour un vil intérêt, oublier ses sentiments.

P. S. — J’ai toute la peine du monde pour vous écrire. Je suis indisposé. Tout le monde ici vous embrasse et vous félicite sur vos heureux succès. (13 mars 1805.)

Navez a profité de cette dernière leçon paternelle: dans tout le cours de sa longue carrière, il a toujours mis le sentiment et le progrès dans l’art au-dessus de l’intérêt matériel, ne sacrifiant à ce dernier que dans la juste proportion des besoins impérieux de l’existence.

L’artiste, qui aimait à se rappeler tous les détails de sa jeunesse, a consigné lui-même, en tête de la liste de ses œuvres, les renseignements les plus précis sur son premier séjour à Bruxelles.

Mon père me mit ici en pension chez madame la veuve Van Boeckstael, qui habitait alors rue des Petits-Carmes: l’on a abattu sa maison pour agrandir l’hôtel d’Arenberg. C’est chez cette dame Van Boeckstael, née Van der Borg, que M. Gendebien, intendant du duc d’Arenberg, a habité pendant 30 à 40 ans.

Toujours précis, Navez ajoute les noms de toutes les autres personnes distinguées qu’il sait avoir habité chez cette même veuve; ce sont MM. de Saint-Genois, le bibliophile, auteur d’un ouvrage sur la noblesse de la Belgique; Sylvain Van de Weyer et Eug. Defacqz, aujourd’hui premier président de la cour de cassation.

Les cours de l’académie le tiennent jusqu’en 1808. Il passe successivement par toutes les classes. Il obtient, en 1805, le premier prix de dessin de la tète d’après la bosse. En 1806, un voyage à Charleroi, nécessité par la mort de son père, arrivée le 6 février, l’empêche d’achever les épreuves du concours de la classe de la figure antique. En 1807, le quatrième prix de dessin d’après nature lui est décerné. C’est alors qu’il commence à peindre, sous la direction de Joseph François et, l’année suivante, il remporte le premier prix de dessin d’après nature à l’académie; ce qui est le couronnement de ses premières études. Continuant, pendant trois années encore, à travailler sous la direction de son maître, il fait des copies au musée d’après les tableaux de Rubens, de Van Dyck, de Crayer et de Philippe de Champagne.

Dès lors, il commence à peindre quelques portraits.

Avant de quitter Charleroi, c’est-à-dire avant d’avoir reçu les leçons d’aucun maître, l’enfant avait fait le portrait de son père en buste, grand comme nature. Ce portrait existe encore et mérite d’être conservé.

Il a cependant fallu six années pour faire l’éducation de cet enfant si bien doué, et elle réclamait un complément qui devait la prolonger pendant dix ans encore. Les esprits peu sérieux se récrieront à une aussi longue suite d’années employées à former un peintre, surtout aujourd’hui que les moyens expéditifs d’enseignement sont si prônés et accueillis avec tant de faveur. Mais pour celui qui se donne la peine de réfléchir, cette durée des études n’a rien d’exagéré. Combien faut-il d’années pour faire un avocat, un médecin, un ingénieur? Comptez depuis le commencement, de l’école primaire au dernier examen, et joignez-y le stage.

François-Joseph Navez : sa vie, ses oeuvres et sa correspondance

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