Читать книгу François-Joseph Navez : sa vie, ses oeuvres et sa correspondance - Louis Alvin - Страница 9
ОглавлениеLE PEINTRE DAVID.
Nous avons été témoins d’une réaction violente contre l’école de David, école que les novateurs qualifiaient de classique en opposition avec le romantisme, qui prenait naissance au moment où la Restauration ramenait en France la liberté avec la royauté de droit divin. Retour ordinaire des choses d’ici-bas: celui qui, dès 1789, s’était séparé de l’ancienne académie de peinture, dont il répudiait les traditions et l’influence, était devenu, bien malgré lui, le représentant des principes académiques; lui qui avait appuyé à la Convention (novembre 1792) une pétition des artistes libres demandant la suppression des académies, devait être présenté, quelques années plus tard, pour un despote exerçant sur l’art une impitoyable tyrannie. Ce reproche était-il mérité ? Ecoutons à ce propos son historien, M. Delécluze, qui, ayant été son élève, pouvait apprécier ses leçons.
De tous les griefs imputés à David par l’école romantique, le plus étrange et le moins fondé est sans doute l’influence tyrannique reprochée à ce chef d’école. Si l’autorité qu’a pu prendre un artiste sur l’esprit de ses contemporains par des études et des travaux où il a montré la puissance d’un talent qui s’est transformé complétement quatre ou cinq fois; si la soumission volontaire à des doctrines consacrées dans l’antiquité, renouvelées en 1772 et mises en pratique jusqu’en 1825, peuvent être considérées, l’une comme une tyrannie de la part du maître, et l’autre comme une lâche complaisance de la part de quinze ou seize cents artistes qui se sont fait un honneur de les suivre, certes David a gouverné l’art tyranniquement pendant l’espace de près de quarante ans, comme cela était arrivé, près de trois siècles auparavant, à Michel-Ange.
Ce n’est donc pas chose commune qu’une idée, un système, une doctrine dont les résultats ont été : un maître d’une grande habileté, sept ou huit élèves qui se sont distingués par une manière qui leur est propre et dans des genres souvent opposés, et enfin une école qui, pendant quarante ans, a donné une forte impulsion à tous les arts et même à l’industrie. (Page 380.)
Il suffit de rappeler les noms des principaux élèves de David pour démontrer que l’influence du maître n’allait pas jusqu’à détruire l’originalité de ceux qui recevaient ses leçons. Qu’ont, en effet, de commun Gros, Ingres, Schnetz, Léopold Robert, si ce n’est quelques principes généraux qui sont l’esthétique du bon sens applicable à toutes les écoles?
David était peu théoricien; il émettait rarement des doctrines à priori; dans les conseils qu’il donnait à ses disciples, il était homme pratique avant tout. L’idée pour lui était peu de chose tant qu’elle n’était point réalisée. S’adressant à un de ses élèves, il s’exprimait ainsi:
«Il faut que je vous dise, mon cher Etienne, le secret de notre métier. Pour un peintre, une idée n’est qu’une intention, un projet vague, tant que, au moyen d’une exécution sévère et savante, l’artiste n’a pu lui donner un corps et la rendre à la fois compréhensible et sensible. Il y a des gens qui ont des idées on ne peut plus heureuses; mais il leur est impossible de les rendre: c’est évidemment comme s’ils n’en avaient pas.»
Il recommandait une grande simplicité dans la composition, malgré la tendance à l’exagération qui se manifestait aussi de son temps; car on y aimait déjà les coups de théâtre, et l’on risquait, comme aujourd’hui, de n’être ni compris ni goûté, quand on ne peignait pas les passions et quand on ne poussait pas l’expression en peinture jusqu’à la grimace ...
Ses principes esthétiques ne pouvaient donc être pernicieux aux élèves, de quelque pays qu’ils vinssent. En était-il de même à l’égard des procédés qu’employait le maître et que ses élèves étaient naturellement amenés à préférer? Et, sous ce rapport, le jeune Belge placé sous sa direction ne courait-il point quelque risque de s’éloigner encore plus de la tradition flamande (il faudrait peut-être dire anversoise) que ne l’avaient fait A. Lenz et le premier maître de Navez, M. François?
Appréciant le coloris de Léopold Robert, élève de la même école, M. Feuillet de Conches s’exprime en ces termes:
Il ne possédait point cette entente de la distribution de la lumière et de l’ombre qu’inventèrent le Giorgion, Léonard et le Corrége, que pratiqua et dont se joua souvent Rubens, que Rembrandt porta au plus haut degré de l’art immortel et divin.
Il eut l’inspiration, il eut la puissance d’expression et de dessin, il eut le caractère, le sentiment du beau dans le simple; il fut un grand artiste; mais, moins préoccupé des conditions matérielles de son art que des parties intellectuelles, il fut malhabile à dégrader les plans, à tirer parti d’une figure dans l’ombre, à sacrifier l’accessoire au principal. (Pages 281-282.)
Quels étaient donc les procédés de peinture qu’enseignait David? M. Delécluze les définit ainsi:
Depuis l’exécution du tableau des Sabines surtout, David avait pratiqué et enseigné l’art de peindre eu procédant par l’emploi des teintes faites d’après nature, et qu’il fallait appliquer l’une après l’autre en s’efforçant de les fondre, non pas avec le pinceau, mais en les juxtaposant avec assez de justesse pour qu’elles se succédassent sans blesser l’œil en exprimant la différence des tons et la dégradation de la lumière. Ce procédé, l’un de ceux qui demandent le plus d’attention et de talent, et qui a été mis en pratique par Raphaël dans la Transfiguration, ainsi que par Paul Veronèse et Poussin dans leurs plus beaux ouvrages, est celui que David s’efforça de remettre en vigueur.
Prudhon peignait tout différemment. En commençant un tableau, il lui donnait l’aspect d’une grisaille, et ce n’était que successivement et peu à peu qu’il coloriait les différents objets compris dans son tableau jusqu’au moment où, satisfait de l’intention qu’il avait prêtée à ses personnages, il leur donnait toute la vivacité requise par de nombreux glacis posés les uns sur les autres. Plusieurs compositions laissées par le peintre à l’état d’ébauche fournissent l’occasion de suivre les progrès successifs de ce procédé. (Pages 305-306.)
Si le procédé dont faisait usage David a des inconvénients résultant des difficultés mêmes qu’il présente, il a aussi un grand avantage, celui d’obliger le peintre qui l’emploie à s’attacher à rendre le modelé, et c’est avec raison que le même M. Delécluze a dit:
Depuis les trois grands maîtres italiens, David est certainement celui qui a exprimé la forme, qui a dessiné et modelé, pour parler le langage technique, avec le plus d’élévation. (Page 410.)
Les vrais connaisseurs ne refuseront point leurs éloges à Navez, sous* ce même rapport; il a poussé très-loin cette partie de son art, dont plusieurs de ses ouvrages présentent des exemples qui approchent de la perfection.
Ce que David inspirait surtout à ses élèves, c’est la persistance dans les efforts afin de faire toujours de mieux en mieux. Il leur disait sans cesse que «l’homme n’arrive jamais à la perfection et qu’il doit toujours s’efforcer de parvenir à un degré supérieur à celui qu’il a atteint.»
Depuis 1788, époque de la mort de Drouais, le premier élève célèbre de David, jusqu’en 1854 , M. Schnetz étant directeur de l’école de France, à Rome, et M. Ingres exerçant son art à Paris, ainsi que son habile élève, M. Flandrin, il s’est écoulé soixante-cinq années pendant lesquelles les grands principes de l’école de David ont été observés sans interruption, malgré les nombreuses attaques dont ils ont été l’objet et à travers les variations presque annuelles du goût en France. (Page 401.)
Un caractère particulier de son enseignement — et qui le distingue de l’école académique qui avait précédé immédiatement la sienne, autant que de l’école réaliste d’aujourd’hui,—c’est la recommandation qu’il ne cesse de faire à ses élèves de prendre la nature pour modèle; mais en choisissant ce qui est réellement beau. Pour lui aussi, le beau, c’est le vrai, mais c’en est la splendeur.
Quant à une théorie proprement dite, David n’en eut pas; car on ne peut donner ce nom aux systèmes purement imaginaires sur l’art qui lui furent soufflés et qu’il débita emphatiquement à la tribune de la Convention. On ne saurait trop le redire, David était un homme d’instinct, toujours entraîné par les idées qui le dominaient successivement; et dans le cas où l’on voudrait faire de lui un homme à système, il faudrait dire qu’il a adopté et suivi quatre théories, ou plutôt quatre manières, principalement caractérisées par les Horaces. le Marat, les Sabines et le Couronnement de Napoléon. (Pages 401-402.)
Si l’on se pose cette question: l’influence qu’a exercée David sur l’école belge doit-elle être regrettée? je pense qu’il faut, avant de résoudre, examiner attentivement les noms des élèves qui ont puisé à la source de son enseignement. M. Delécluze, dans la liste générale des disciples du maître, cite seulement huit Belges, dont un sculpteur, Ruxthiel, de Liège; les peintres sont:Grégorius, de Bruxelles, qui a été directeur de l’académie de Bruges, Madou , Moll, Navez, Odevaere, Paelinck et Stapleaux. Parmi ses élèves français, il en est encore un, Hennequin, qui fut le maître de Gallait. On ne dira pas certainement que tous les hommes plus ou moins distingués qui figurent sur cette liste et qui ont subi, à des degrés différents, l’influence de l’enseignement de David, ont été jetés dans le même moule; qu’ils ont servilement suivi la même voie.