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I

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ANNÉES D’ENFANCE.

«Connaître, et bien connaître un homme de plus, surtout si cet homme est un individu marquant et célèbre, c’est une grande chose et qui ne saurait être à dédaigner.» Cette pensée de Sainte-Beuve me semble ici à sa place: de même que le corps humain est le plus profitable modèle que l’artiste puisse se proposer, le cœur de l’homme offre la mine la plus riche à l’étude du moraliste; nous allons donc interroger des témoins fidèles et étudier une existence de quatre-vingts ans. Grâce au soin que l’homme dont ce livre doit retracer la vie avait pris de conserver toutes ses correspondances, sa famille a pu me confier des documents si nombreux que les moindres détails de cette longue carrière s’en trouvent pleinement éclairés: mettre en lumière ces détails, n’est-ce pas le plus digne hommage qui puisse être rendu à la mémoire de François-Joseph Navez?

Honoré pendant près de quarante ans de l’amitié de l’éminent artiste, je me serais exposé à encourir le reproche de partialité si j’avais puisé en moi seul les souvenirs qui doivent servir d’éléments à cette biographie; mon appréciation du mérite des travaux du maître eût d’ailleurs été de peu de poids. Aidé des ressources que m’offrent les nombreuses correspondances qu’il n’a cessé d’entretenir, je puis le montrer à ceux qui n’ont point vécu avec lui, le rappeler à ceux qui l’ont connu, tout en laissant à de plus compétents que moi le soin de le juger. Je veux me donner pour collaborateurs les témoins les mieux informés; je n’ai qu’à puiser dans quelques milliers de lettres échelonnées entre les années 1803 et 1866, j’en userai largement. Pour apprécier le peintre, j’aurai la plume de David, d’Ingres, de Léopold Robert, de Schnetz, de Granet et de bien d’autres illustres; pour juger l’enseignement du maître habile, je me donnerai comme auxiliaires les élèves qui ont profité de ses leçons. Il me plaît de m’effacer devant de telles autorités, et je me résigne sans regret au rôle de compilateur, trop heureux de pouvoir disposer d’aussi précieux documents.

J’ai l’espoir que, par ce moyen, mon livre reflétera la physionomie des différentes époques, des situations diversement marquées qui se sont succédé dans cette période embrassant les deux tiers de notre siècle.

Il est en effet indispensable de bien connaître le caractère de ces temps: les bouleversements politiques réagissent toujours sur la marche et le développement des arts, et cette période ayant été singulièrement féconde en révolutions, il faut savoir tenir compte, à ceux qui ont vécu dans ce milieu troublé, des difficultés qu’ils ont rencontrées. Cela est nécessaire si l’on veut juger équitablement l’ensemble de la carrière de Navez. Il faut connaître par ses détails l’éducation artistique qu’il a reçue et ne pas perdre de vue les circonstances qui ont accompagné ses études. Il faut se rappeler que, pendant l’espace de temps qu’embrassera cette notice, notre pays a subi trois révolutions qui ont profondément modifié les conditions d’existence des Belges en général et des artistes en particulier.

Absorbée d’abord dans un grand État qui cherchait à lui ôter ce qui pouvait lui rester de son caractère individuel, mariée ensuite à un autre plus petit, mais qui ne lui rendait qu’une demi-nationalité, la Belgique a enfin recouvré son autonomie tout entière et, avec l’indépendance, la responsabilité de ses nouvelles destinées.

Pour nos enfants, qui ont le bonheur de respirer, depuis leur naissance, l’air sain et fortifiant de la liberté, qui se sentent chez eux, dont l’action n’est entravée par aucune volonté extérieure, il leur est facile de se soustraire à ce que l’influence des idées étrangères pourrait avoir de pernicieux; il leur est facile enfin d’être entièrement belges; il est juste pourtant qu’ils se souviennent qu’il n’en a pas été absolument de même pour leurs pères.

François-Joseph Navez est né à Charleroi, le 19 novembre 1787. Il était le quatrième et le dernier enfant de Thomas Navez, rentier, échevin de la ville. Une lettre que sa femme lui écrit, en 1794, nous le montre en prison à Châlons: le magistrat municipal avait été emmené en otage, lors de la prise de Charleroi par les armées de la république française.

Quelques-unes de ses lettres précieusement conservées nous le font connaître pour un homme religieux, austère dans ses mœurs, éclairé et même assez lettré pour le temps et la localité où il vivait. Un vieux registre nous renseigne sur ses goûts et ses occupations: on y trouve, auprès du catalogue des œillets et des tulipes qu’il cultive dans son jardin, des extraits des poëtes et des philosophes contemporains, des citations d’auteurs latins et des chansons de table qui égayaient alors les festins.

Bien qu’il eût été heureux de voir son fils embrasser la carrière des emplois publics, il ne contraria point la vocation qui se manifesta de bonne heure chez l’enfant. Je trouve, à ce propos, une note autographe que Navez a dû écrire dans les dernières années de sa vie, lorsqu’il était déjà presque aveugle, ce qui se voit à la manière dont les caractères sont tracés. On y lit:

Dès ma jeunesse, je griffonnais des dessins. Lorsque, couché dans mon petit lit-berceau, à côté de ma mère, celle-ci, pour m’endormir, me donnait du papier et un crayon, je m’amusais à dessiner.

Au siége de Charleroi, 1794, juillet, nous nous étions réfugiés chez M. Clays, où nous habitions les caves bien éclairées. Lorsque la ville fut rendue aux Français, M. Ledieu, l’ingénieur de la ville, me donna pour m’amuser des petits dessins que je copiais.

En 1797 ou 1798, M. Aubry, receveur des domaines, qui logeait chez nous, fit un voyage à Paris, et me rapporta un cahier de têtes gravées, d’après lequel je dessinais, et qui est encore dans mon portefeuille.

Les moyens d’instruction n’étaient pas communs à cette époque dans les petites villes de la Belgique: Navez profita de ceux, fort resteints, que présentait Charleroi, et son éducation littéraire en souffrit quelque peu.

François-Joseph Navez : sa vie, ses oeuvres et sa correspondance

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