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V

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BOULEVERSEMENT POLITIQUE.

L’horizon politique devenait de plus en plus sombre; mais le jeune artiste, tout entier à ses études, ne se préoccupait guère des événements extérieurs, dont la presse, soumise au régime impérial, ne révélait au public que ce qui ne pouvait pas nuire au gouvernement. Cependant, les lettres qu’il recevait du pays commencèrent bientôt à lui inspirer de l’inquiétude. Le secrétaire de la société des Beaux-arts lui écrit, le 26 janvier 1814:

Je suis chargé de vous faire connaître que les directions nécessaires ont été données au trésorier de la société, afin qu’au 1er mars prochain il vous fasse payer par son banquier à Paris le trimestre de votre pension échéant au 1er juin suivant. Il doit en même temps informer ce banquier que les trimestres subséquents ne pourront être payés que sur les nouvelles instructions qu’il recevra, et que nous provoquerons autant que les circonstances le permettront . Si donc ces directions n’étaient pas arrivées à Paris avant le 1er juin, pour ce qui doit se payer alors, le parti le plus prudent pour vous serait de revenir dans vos foyers.

Enfin, une lettre du 14 juillet vint faire connaître à Navez que, par suite des événements, la pension dont il jouissait était supprimée.

La séparation de la Belgique d’avec la France venait de s’accomplir. Redevenu belge, le jeune peintre devait renoncer à l’espoir d’être admis avec les Français au grand concours du prix de Rome. Heureusement, il n’était point sans ressources, et il put poursuivre ses études sous la direction de son maître, que le gouvernement de la première Restauration avait laissé tranquillement en France. De son côté, la société des beaux-arts de Bruxelles n’abandonna pas entièrement son pensionnaire .

Par lettre du 21 février 1815, M. Picard lui fait connaître que la commission des beaux-arts, dont M. le duc d’Ursel est toujours le président, a décidé qu’en attendant que la question de la pension soit résolue, une somme de 400 francs sera payée au pensionnaire belge, à Paris.

Cette même lettre charge Navez d’une commission qui donne sur la situation des arts à Bruxelles, au moment de la chute de l’empire, quelques renseignements qu’il est intéressant de signaler.

Nous n’avons point, à Bruxelles, de graveur de médailles; faites-moi donc le plaisir de vous rendre à l’hôtel des monnaies, chez M. Chalton, rue Guénégaud, n° 8, pour vous informer si nous ne pourrions pas en obtenir, sans buste; d’un côté avec le champ libre ou entouré d’une couronne de laurier, et de l’autre côté, quelques emblèmes des arts, en bosse. Quant au buste, celui du roi ne peut pas plus convenir ici que celui de Napoléon, surtout dans les circonstances actuelles. On a également écarté l’effigie du Poussin. Je ne connais pas de médaille au buste de Rubens, la seule dans ce genre qu’on pourrait admettre .

Vous êtes trop intéressé au succès d’une société momentanément paralysée, mais à qui nous allons rendre la vie, pour ne pas donner à cette affaire les soins les plus prompts.

M. François ne perd pas non plus de vue son élève; il le tient au courant de ce qui se passe à Bruxelles, et Navez, de son côté, donne à son ancien maître des nouvelles des arts à Paris. Le vieux praticien écrit au jeune homme en janvier 1815.

Je vous remercie de l’attention que vous avez eue de m’envoyer le catalogue, ainsi que vos observations sur l’exposition. La disette de grands tableaux historiques ne me surprend pas: le bouleversement politique que nous avons éprouvé doit avoir étourdi la tête aux artistes comme à bien d’autres; mais cela se remettra petit à petit. Ce qui me surprend davantage, c’est que Gérard aille exposer un portrait du roi, que vous me dites n’être point réussi. En revanche, voyez bien ceux de Gros, que vous trouvez admirables; profitez de cette leçon pour nous envoyer, à notre exposition prochaine, quelque chose de votre ouvrage qui puisse nous donner une idée de ces chefs-d’œuvre. Cela me fera grand plaisir, ainsi qu’à tous vos amis.

Van Brée vient de placer à notre musée le portrait du prince d’Orange, dont on n’est pas fort content.

Notre académie, que l’on vient de renouveler, tant pour le local que pour les professeurs, va seulement s’ouvrir le 16 de ce mois. L’on a daigné me nommer avec Godecharle, de Landtsheer et Verhulst, et au lieu de monter, comme de votre temps, nous serons au rez-de-chaussée. (Les classes alors se tenaient dans l’hôtel de ville.)

Bruxelles devient une ville riche en artistes. Odevaere et Lefevre, à la cour, travaillent à force; Cels se prépare aussi à devenir notre cohabitant. Il a déjà annoncé qu’il allait nous faire une exposition publique de ses tableaux, dont on payera l’entrée. Voilà tout en nouvelles des arts; quant au reste, nous avons beaucoup d’Anglais des deux sexes; mais, à l’exception d’Autissier, notre peintre en miniature et, de quelques maîtres de dessin, le reste des artistes ne s’aperçoit pas trop de leur goût pour les tableaux.

Des événements, de plus en plus graves, se sont accomplis: Waterloo, en mettant un terme à l’aventure des Cent jours, a affermi le nouveau royaume des Pays-Bas. Guillaume Ier, jaloux de maintenir et de développer toutes les institutions libérales, a couvert de sa protection la société des beaux-arts et, nonobstant le grand cataclysme de juin, l’été de 1815 a vu une exposition s’ouvrir à Bruxelles. M. Picard en donne des nouvelles à Navez dans une lettre du 29 août.

Notre dernier Salon, moins riche que les précédents, a été plus heureux. Il a valu à nos artistes une récolte de plus de 20,000 francs. Le roi, le duc d’Ursel, maire de Bruxelles, des Anglais et d’autres particuliers ont acheté. Il est peu d’artistes qui n’aient vendu ou reçu des commandes. Ceux de Bruxelles ont rivalisé de zèle pour orner le Salon. En revanche, il y avait peu de chose d’Anvers, encore moins de Gand et, vous excepté, rien de Paris.

Les tableaux du Salon qui ont passé à la cour sont de Lens, de François, de Van Assche, de De Roi, de Cels, de Despretz, de Coene, de Faber, de Van Regemorter fils, de Thys fils, un plan de Louyet, un dessin de madame Ridderbosche, etc. En outre, Odevaere a fait, pour le roi, un tableau d’histoire; Paelinck, les portraits en pied du roi et de la reine, par ordre de S. M. Ils sont beaux tous les deux. Godecharle vient de faire le buste du roi; Autissier a fait trois fois ce même buste en miniature; Verhulst a fait le même pour un seigneur anglais. Enfin, tous nos artistes sont tellement satisfaits qu’ils sollicitent la continuation du Salon tous les deux ans. Vous savez que la prochaine exposition ne devait avoir lieu qu’en 1818.

...Je serais charmé que les tableaux et les autres objets d’art volés à la Belgique lui fussent restitués; replacés, autant que possible, dans les sanctuaires, pour lesquels ils ont été peints, l’esprit du peintre y brillera davantage, parce qu’ils y trouveront le jour que l’artiste a voulu qu’ils aient et qui ne peut pas toujours être calculé dans un musée .

Navez, comme on le voit par la lettre précédente, n’avait pas manqué au rendez-vous; il avait envoyé son contingent à la première exposition ouverte, à Bruxelles, après la constitution du royaume des Pays-Bas.

Son ami, l’architecte Louyet, lui en parle dans une lettre du 8 mai 1815.

Quant à ce que vous faites en votre art, je ne m’en informe pas: j’ai la réponse sous les yeux. Courage, mon cher Navez, je vous le dis avec la franchise que vous me connaissez, vous avez fait des progrès étonnants, et en continuant de cette manière, vous pouvez devenir un des premiers peintres que la Belgique ait produits. Le morceau que j’ai le plus admiré, c’est le Saint Jean-Baptiste, qui est dessiné avec la correction italienne; la tête est d’une sublime expression. Quoi qu’on en dise, je ne crois pas que vous l’ayez faite d’après nature: je n’ai jamais connu à Paris de modèle qui approchât de cette correction et de cette belle nature. Cependant, il faut vous dire que les demi-amateurs, qui sont des êtres très-dangereux pour les arts, parlent un peu, très-peu, contre votre coloris. Ils disent que, pour cet accessoire, vous avez abandonné la bannière flamande. Il est évident que ces messieurs n’aiment pas le coloris plein de vigueur de l’école italienne, le coloris tel que nous le présente la nature, la belle nature. Il fallait des hommes comme les Rubens, les Van Dyck, pour se permettre d’embellir la nature quant au coloris. D’ailleurs, il n’y a qu’une marche à suivre dans la nature, et quand on colorie comme vous, on fait bien; car on fait comme on voit. L’effet de votre Saint Jean est tellement magique qu’il semble sortir du cadre. Je ne parlerai pas de vos autres tableaux, qui sont également beaux. Tous nos bons artistes vous rendent parfaitement justice, tels que les Odevaere, les Paelinck et notre camarade Gassies, qui a passé trois jours à Bruxelles; celui-là est vraiment enchanté.

Quant à moi, mon cher ami, voilà quatre mois que je suis revenu; j’ai reçu des compliments, de belles promesses, de l’eau bénite de cour, et je suis toujours à rien. J ai fait, pour l’exposition, un projet de palais pour le roi, que les artistes trouvent très-bien; mais jusqu’à cette heure, je n’ai rien fait que pour la gloire, c’est-à-dire de la fumée.

Le concours d’histoire est on ne peut plus mauvais cette année. Il y a quatre concurrents; le moins mauvais vient, dit Gassies, de votre école. Je ne suis pas fâché que vous n’ayez pas concouru: vous méritez d’autres concurrents. Le concours du paysage est ce qu’il a y de mieux.

Ces progrès constatés à l’exposition de Bruxelles devaient stimuler le zèle de la société des beaux-arts. Elle charge son secrétaire d’écrire ce qui suit, dès le mois d’octobre:

Je crois, mon cher Navez, que vous ne serez pas fâché d’apprendre que le trésorier vient d’être chargé de vous faire payer 400 francs, au 1er décembre, et autant au 1er mars prochain. Ces deux sommes complètent vos trois années de pension. Dans l’intervalle, je m’occuperai des moyens de vous faire étudier une couple d’années à Rome. Je suis déjà d’accord sur ce point avec M. le duc d’Ursel; mais il convient que je sache: 1° si vous êtes disposé à faire, l’année prochaine, un semblable voyage, et 2° si, vos études achevées, vous vous fixeriez à Bruxelles pour concourir, avec Paelinck, Odevaere et Cels, qui y sont déjà établis, à donner un nouveau lustre à la peinture dans nos contrées. Je me baserai sur votre réponse pour agir en conséquence, bien persuadé que vous ne voudriez pas en imposer ni à la société, ni à un homme qui n’a d’autre intérêt que votre bonheur et le rétablissement des arts dans sa patrie. Il va sans dire que les frais de voyage et de retour vous seraient payés et que la pension même pourrait être majorée.

Je vous ai déjà mandé qu’on avait été content de vos progrès. Je suis impatient de voir votre tableau d’Agar, qui en fera juger encore mieux. Je le ferai exposer au profit des pauvres vieillards pendant une quinzaine de jours. (Bruxelles, le 8 octobre 1815.)

Le passage suivant d’une lettre du même secrétaire montre que le jeune artiste ne se croyait pas encore assez fort en ce moment pour faire avec fruit le voyage d’Italie.

J’ai communiqué au président votre intention de continuer encore, pendant un an et demi ou deux ans, vos études à Paris. Cette affaire sera soumise à l’une des premières séances que nous aurons après le nouvel an. (10 décembre 1815.)

M. Picard n’avait pas négligé de faire miroiter devant les yeux du jeune homme le prisme de l’intérêt et de la gloire; il lui avait écrit:

Paelinck et Odevaere font ici fortune, ainsi que Coene, à Londres; la reine est connaisseuse: dépêchez-vous donc à devenir maître. Godecharle se remet fort bien en santé et en affaires. Je brûle de voir votre tableau d’Agar. De Cauwer, de Gand, sort de chez moi, ainsi que Van Assche; ils ont applaudi à votre portrait; le premier l’a trouvé très-bien tapé. Vous savez que Ferdinand Delvaux est mort en route à son retour de Rome . Dites-moi si M. David est revenu à son atelier; s’il n’y a pas de sa part esprit de retour, passez chez Vincent ou Girodet. Vous ne m’aviez pas dit que Noël, de Dinant, avait étudié chez Swebach: il a pris là un nouveau genre et a infiniment gagné. Van Assche vient de terminer un superbe paysage. Paelinck commence un grand tableau de la bataille de Waterloo; le moment choisi est celui où le prince héréditaire d’Orange est blessé. (10 décembre 1815.)

François-Joseph Navez : sa vie, ses oeuvres et sa correspondance

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