Читать книгу Rejet de l'organologie phrénologique de Gall et de ses successeurs - Louis-Francisque Lélut - Страница 20
CHAPITRE PREMIER.
ОглавлениеIdée, origine, développement et établissement de l’Organologie Phrénologique.
«A chaque découverte, dit Gall au commencement
» de son ouvrage, et surtout à l’apparition
» de toute nouvelle doctrine, on a coutume
» de se demander: Comment l’auteur en
» a-t-il eu l’idée ?» Gall entend ici par idée l’occasion de son système, et je la rappellerai tout-à-l’heure. Quant à l’idée même qui le constitue, l’idée de regarder les facultés de l’esprit comme aussi déterminées que les fonctions du corps, et d’attribuer en conséquence à chacune d’elles un organe nerveux aussi distinct que le sont les uns des autres les différents organes de l’économie, et en particulier les organes des sens, cette idée, malgré sa fausseté, est à proprement parler aussi vieille que la physiologie et même que la philosophie. N’en rencontre-t-on pas, en effet, quelque chose dans les relations établies par Platon, d’après des vues pythagoriciennes, entre les âmes concupiscible, irascible et raisonnable qu’il admet, et les deux parties principales du système nerveux central, ses parties inférieure et supérieure, rachidienne et céphalique ? Mais je m’empresse de le dire, cette assignation, qui contenait en germe et l’organologie nervoso-viscérale de Cabanis, et l’organologie exclusivement cérébrale de Gall, ne pouvait s’étendre plus loin; et ce n’est assurément pas au grand poëte des idées divines qu’il faudrait demander une théorie qui enfermât fatalement ces idées dans quelques compartiments du cerveau. Ce serait tout aussi vainement qu’on irait chercher une manière de voir analogue dans les écrits de son illustre antagoniste, Aristote. Le père du sensualisme antique, le philosophe qui, plaçant le sensorium commune dans le cœur, faisait à peine à l’encéphale une part toute physique, j’allais dire tout hydraulique, dans les actes les plus grossiers de la sensation, ne pouvait songer assurément à le subdiviser en organes d’une pensée dont il ne le croyait pas le siége. Cela n’a pourtant pas empêché que, sur la foi des Arabes, et sans qu’aucun texte s’y prêtât, on n’ait fait remonter jusqu’au chef du Lycée l’idée de cette subdivision. Une autre grande autorité, celle de Galien, a été aussi invoquée à l’appui de cette opinion; et c’était, il faut le dire, sinon avec plus de vérité, au moins avec quelque fondement. Suivant le médecin de Pergame, en effet, l’âme raisonnable réside dans le cerveau, ou plutôt n’est que le cerveau lui-même, et c’est au voisinage des cavités de cet organe qu’a lieu, par l’intermédiaire de l’esprit animal, la mécanique de ses facultés. Or, comme parmi ces dernières la perception se confond avec les sensations particulières, dire, avec Galien, qu’un des sens, celui de l’olfaction, a son siège à la corne antérieure des ventricules latéraux, c’est presque placer en cet endroit celui de cette première puissance de l’âme et donner un point de départ à la localisation de toutes les autres. Il ne faut donc pas s’étonner si l’on trouve l’idée de cette localisation énoncée dans un passage d’un des écrits de Galien reconnus maintenant pour apocryphes ; passage qui porte en substance qu’il y a dans le cerveau trois ou quatre parties intérieures affectées, par le moyen des esprits animaux, la partie antérieure ou frontale à la perception et à l’imagination, la partie moyenne à l’intellect et à la raison, la partie postérieure à la mémoire.
Quel est le physiologiste ou le philosophe à qui revient la priorité de la doctrine anatomico-psychologique résumée dans ce passage? c’est ce qu’il me semble difficile de décider. Peut-être en est-il de cette opinion comme de beaucoup d’autres, qui apparaissent à une certaine époque dans la science, en dehors de tout patronage exclusif, et comme une conséquence spontanée des erreurs ou des vérités du moment. Peut-être aussi pourrait-on remonter plus haut que je n’ai cherché à le faire. Mais le premier auteur dans lequel je trouve exprimée d’une manière inconteslable, bien qu’elle ne semble pas lui être personnelle, l’affectation de certaines parties du cerveau aux principales facultés intellectuelles, c’est Némésius, cet évêque d’Émèse, qui vivait au IVe siècle, et dans l’ouvrage duquel on croit reconnaître quelque prévision de la découverte de Harvey. Némésius admet en somme, comme l’auteur, quel qu’il soit, du passage que je viens de citer, que les cavités antérieures du cerveau sont le siège du sensorium commune et de l’imagination, que sa cavité moyenne est celui de la raison ou de la pensée, enfin que sa cavité postérieure, située dans le cervelet, est le siège de la mémoire; et il donne en preuve de ces déterminations des raisons tirées de ce que nous appellerions maintenant l’anatomie pathologique, mais qui malheureusement ne sont pas fondées .
Depuis Némésius, ou, si l’on veut, depuis le temps où il vivait, ce devint une doctrine vulgaire, dans la philosophie et dans la physiologie, que cette affectation des trois ou quatre cavités ou parties principales du cerveau aux trois ou quatre facultés principales de l’intelligence. Elle put varier un peu dans ses détails et dans son expression, mais elle se retrouve en définitive, et de la manière la plus explicite, dans presque tous les philosophes et les physiologistes qui ont eu à se prononcer sur ces matières: dans les Arabes, Avicenne et Averrhoës ; dans les philosophes scholastiques, Hugues de Saint-Victor , Albert-le-Grand , saint Thomas , Duns-Scott ; dans les physiologistes, Mundini , Bérenger de Carpi , Dryander , Bernard Gordon , Vieussens , Colombo , Willis , et cent autres, de plus en plus modernes.
Que cette affectation psychologique des parties principales du cerveau se liât, dès les temps les plus anciens, à la théorie des esprits animaux, c’est ce que nous avons vu dans le passage apocryphe de Galien, dans celui de Némésius, et ce sur quoi je n’ai pas à insister ici. Mais ce que je veux faire remarquer, c’est qu’il n’y était question que de rallier au cerveau, dans des parties plus ou moins séparées les unes des autres, les facultés de l’entendement proprement dit, depuis la perception jusqu’à la raison. C’est dans Willis que je rencontre pour la première fois une vue nouvelle sur le principe même de cette affectation. Cet anatomiste, qui admettait dans le cerveau, à peu près comme tout le monde le faisait alors, des parties ou des cavités distinctes pour les facultés du sens commun, de la raison et de la mémoire, établit en outre que ce viscère est, en même temps et presque au même lieu, l’organe de l’appétit; faculté qu’il appelle active et motrice . Puis, lorsqu’il traite du cervelet et de ses usages, il place dans ce dernier organe le siége de divers instincts secondaires, dont cet appétit serait ainsi, dans le cerveau, le représentant et le régulateur, les instincts de la respiration, de l’alimentation, de la succion du mamelon, de la construction des nids, celui enfin de la musique . Ces idées de Willis, dont je n’ai point à discuter ici la valeur, n’en constituent pas moins un point de vue nouveau dans l’affectation de l’encéphale aux facultés de notre intelligence, un point de vue qui tend, sinon à substituer, du moins a réunir dans cette affectation ses facultés affectives et morales à ses facultés purement intellectuelles. Or, c’est précisément à ce point de vue que s’est placé Gall; et ce physiologiste, il faut le dire, n’eût pas été fâché d’en retrouver l’indication dans l’ouvrage de Willis, ou dans tout autre ouvrage antérieur à celui de l’anatomiste anglais.
Gall, en effet, une fois son système établi, a pris soin lui-même de montrer que la philosophie, comme la physiologie ancienne, en avait à l’avance admis le principe, en assignant aux facultés intellectuelles propres des sièges à peu près séparés dans le cerveau, et il a cité en preuve dé cette assertion une partie des opinions que je viens moi-même de rappeler. Mais, j’ai hâte de le dire, parce que je crois la chose de toute vérité, ce ne sont pas même ces anciennes opinions qui mirent Gall sur la voie de sa prétendue découverte, et il ne les a connues qu’après coup. Il n’y arriva pas davantage, soit par la voie psychologique, soit par la voie anatomique. Il ne le dirait pas, qu’on s’en apercevrait bien à la lecture de son ouvrage. L’idée, comme l’occasion de son système, fut pour lui le résultat de l’empirisme le plus vulgaire; et lorsqu’elle se présenta à son esprit, il était trop jeune pour avoir pu s’occuper beaucoup d’anatomie et surtout de philosophie. La circonstance qui, d’après Gall, appela son attention sur la possibilité de rattacher au cerveau les facultés de notre nature morale est si connue, que j’ai à peine besoin de la rappeler. Dans ses études, et dans des études encore peu avancées, il se vit souvent surpasser par des condisciples qui, sous le rapport de la portée de leur esprit, lui étaient de beaucoup inférieurs, mais chez lesquels une heureuse mémoire verbale se liait à une forte saillie des globes oculaires . Plus tard, dit-il, et après bien des hésitations , il conclut de cette saillie à une saillie du cerveau qui la déterminât; et de là à rattacher à d’autres saillies cérébrales analogues les autres facultés de l’intelligence, la route était toute tracée. Mais on voit que dans l’établissement de ce rapport, Gall ne demanda rien à la philosophie alors régnante, quelle qu’elle fût. Les facultés qu’il cherchait à rallier successivement à des organes de l’extérieur du cerveau n’étaient pas autre chose que des penchants, des aptitudes, des sentiments, conclus de l’observation la plus commune, et n’ayant dans leur dénomination à peu près aucun caractère scientifique. Ce que Gall voulait faire d’abord, c’était de la physiologie du cerveau ou de l’organologie, et en aucune façon un système de psychologie. Plus tard il fallut bien penser au système, ou plutôt le système se fit de lui-même, au fur et à mesure de la découverte de nouveaux organes, sans que, durant plusieurs années, Gall parût trop s’inquiéter de l’espèce de désordre où il le laissait. Ce ne fut qu’un an environ avant l’arrivée du docteur allemand en France qu’un de ses sectateurs, le professeur Bischoff, de Berlin , mit quelque harmonie dans cette liste, la commença par les facultés les plus animales, la continua par celles qui présentent de moins en moins ce caractère, enfin la termina par celles qui sont, jusqu’à un certain point, à raison de leur intellectualité, l’apanage exclusif de notre espèce. Il faut le reconnaître pourtant, Bischoff fut aidé dans cette tàche par le soin qu’avait eu Gall ou, si l’on aime mieux, la nature, de rapprocher les uns desautres des organes d’un caractère analogue, et de placer dans les parties de plus en plus antérieures ou de plus en plus supérieures du cerveau les organes des facultés aussi de plus en plus intellectuelles. Les choses en restèrent là pendant longtemps, et ce fut Spurzheim qui, soit par le fait d’une nature d’esprit plus systématique, soit par celui de son séjour en Angleterre, par sa connaissance des travaux des Écossais, et ses discussions mêmes avec quelques uns des derniers philosophes de cette école, donna à la psychologie phrénologique la forme scientifique que nous lui voyons. Mais revenons à Gall et à l’organologie.
Cette dernière, dans son ensemble et ses détails, était ou à peu de chose près complète. Il avait bien fallu de temps en temps y faire des changements assez notables, soit dans la place des organes, soit dans la dénomination et les attributions des facultés. Quelquefois on avait dû revenir sur des déterminations qu’on avait d’abord crues fondées, plus souvent on en avait établi de nouvelles ; mais en somme l’œuvre touchait à sa fin. On s’était occupé de lui donner quelque couleur anatomique. Pour cela Gall s’était adjoint un jeune anatomiste, nommé Niklas , fort habile et fort ardent à ce qu’il parait, mais qui mourut avant d’avoir pu attacher son nom à la gloire de la doctrine. Pendant que Niklas travaillait au système des fibres divergentes et convergentes et à celui des commissures, Gall vulgarisait l’organologie dans ses conversations et dans ses cours. Il songea à publier un prodrome de ses idées sur les fonctions du cerveau chez l’homme et chez les animaux. Ce prodrome, qui ne vit jamais le jour, donna lieu, en 1798, à une lettre de Gall adressée à son ami, J.-F. de Retzer, homme de lettres de Vienne et chef de la censure impériale. Dans cette lettre, insérée au Nouveau Mercure allemand de Wieland, Gall fait connaître son but, qui est, dit-il, de déterminer les fonctions du cerveau en général, et celles de ses parties diverses en particulier; de prouver que l’on peut reconnaître différentes dispositions et inclinations parles protubérances ou les dépressions qui se trouvent sur la tête ou sur le crâne, et de présenter dune, manière plus claire les plus importantes vérités et conséquences qui en découlent pour l’art médical, pour la morale, pour l’éducation, pour la législation, etc., et généralement pour la connaissance plus approfondie de l’homme . Il s’attache ensuite à démontrer que les penchants comme les facultés sont innés dans l’homme et dans les animaux, qu’ainsi qu’elles ils ont dans le cerveau des organes distincts et déterminés; et il prend, dit-il, occasion de prouver qu’un organe est d’autant plus actif qu’il est plus développé , ce qui est en effet la condition sine quâ non de la possibilité des observations sur lesquelles il a fondé son système.
Il y avait dans cette espèce de manifeste organologique de Gall, des traits assez plaisants, bien que d’un goût un peu équivoque, où il me naçait de sa convoitise les crânes les plus célèbres ou les plus aristocratiques de la monarchie autrichienne . On prétend que cela occasionna dans Vienne une sorte de panique, et que le vieux M. Denys, bibliothécaire de l’empereur, ajouta à son testament un codicille, où il recommandait que sa tête ne fût pas abandonnée, après sa mort, aux profanations du moderne Démocrite .
La renommée de Gall ainsi établie, et établie par la crânioscopie, dont le nom fut désormais, et un peu malgré lui imposé à sa doctrine, ne tarda pas, en grandissant, à se répandre à l’étranger. En 1802, un écrivain qui, un an avant, avait, par son exposition de la philosophie de Kant, fait connaître à la France un fruit bien différent du sol germanique, se chargea dans une lettre à Cuvier d’annoncer encore à notre pays cette crânioscopie, qui devait, quelques années plus tard, venir en personne y faire tant de bruit. En 1805, Gall, qui avait tout récemment donné à Spurzheim, pour la partie anatomique de ses travaux, la survivance de Niklas, commença, de concert avec lui, ces voyages dans toute l’Allemagne, dont les feuilles du temps racontèrent les glorieuses phases et enregistrèrent les merveilles. Après avoir ainsi couru le monde en compagnie de ses deux fondateurs, après avoir eu, comme la nouvelle philosophie de Socrate, l’honneur d’être traduite sur la scène , après s’être victorieusement signalée, par ses divinations et ses horoscopes, dans les salons, les prisons, les hospices, et avoir occupé d’elle, on peut le dire, toutes les bouches de la renommée, l’organologie ou la crânioscopie, qui n’était pas encore la phrénologie, vint faire élection de domicile en France, dans ce Paris qui ne refuse ses trompettes ni aux grands hommes? ni aux charlatans. Après un premier enfantement , elle ne tarda pas à y donner le jour aux in-folio de Gall, aux in-octavo de Spurzheim, à se populariser par leurs leçons, par leurs séances à domicile. Après les maîtres vinrent les disciples; après la gravure la lithographie. Les organes furent étudiés, commentés, représentés dans les cinq parties du globe, depuis les hôtels de Londres et de Paris, jusqu’aux tentes des convicts de la Nouvelle Galles du Sud: Des musées phrénologiques, des journaux, des instituts, des écoles, des consultations phrénologiques, témoignèrent de la vérité, de la moralité et de l’utilité de la nouvelle doctrine. Elle compta dans la science, dans l’administration, dans toutes les carrières, d’ardents et de puissants protecteurs. A l’heure qu’il est, elle vient de faire le tour du monde, et sans une catastrophe récente peut-être n’eût-elle pas tardé à recouvrer, dans quelqu’une des académies de l’Institut de France, le fauteuil que la mort lui a naguère enlevé.
Ces voyages, cette propagation, cet enseignement, ont dû, comme on l’imagine bien, faire faire de grands progrès à la science crânioscopique, et la porter à un haut degré de perfection. Je parlerai beaucoup de cette perfection et de ces progrès; mais avant d’en arriver là , il me faut faire connaître l’organologie telle qu’elle était au temps et par le fait de Gall, à l’époque de sa grande renommée, et telle qu’il la maintint jusqu’à sa mort contre la réforme de Spurzheim.
Je rappelle, une dernière fois, que l’organologie, c’est la science des organes cérébraux du sentiment et de la pensée, organes tout-à-fait déterminés dans leur nombre et leur circonscription, et affectés à des facultés primordiales, prises essentiellement dans le côté moral et agissant de notre intelligence. Je renvoie pour les détails de cette classification psychologique aux ouvrages de Gall et de Spurzheim, ou à celui que j’ai publié moi-même sur ces matières. C’est du reste à peine si cela est nécessaire, l’exposition des facultés devant suivre celle des organes, avec lesquels elles ne font qu’un.
L’extérieur du cerveau de l’homme, et de celui de la plupart des grands animaux, offre; comme personne à peu près ne l’ignore, des replis plus ou moins saillants que les Grecs nommaient ε̉λιϰες, leurs traducteurs latins gyri, convolutiones, et que nous appelons des circonvolutions. C’est dans ces circonvolutions, qui sont partout continues les unes aux autres, et sur lesquelles je ne tarderai pas à revenir, que Gall a placé, par excellence, les organes des facultés de son système; ou, si l’on veut, c’est parce que ces organes se trouvaient ainsi exclusivement constitués par les circonvolutions, qu’il lui fut possible de les découvrir à travers les parois du crâne et par l’effet des saillies qu’à son dire elles y déterminent. D’où il résulte que, de prime abord, la crânioscopie et l’organologie durent se confondre aux yeux du monde, ou être prises l’une pour l’autre; et c’est en effet ce qui arriva.
J’ai déjà eu occasion de le dire, ce n’est pas indifféremment et dans une sorte de pêle-mêle que, suivant Gall, les organes des facultés morales et intellectuelles ont été répartis par la nature à la surface du cerveau. Elles y sont au contraire rapprochées par groupes, affectés à des facultés d’un même genre, ou offrant les unes avec les autres des analogies incontestables. Ces groupes sont en outre placés d’autant plus près de la partie inférieure ou de la partie postérieure de l’encéphale, d’autant plus rapprochés du tronc ou de la partie du système nerveux central qui lui est spécialement départie, la moelle épinière, que les facultés dont ils sont les instruments sont plus inférieures, plus brutales, en un mot, moins intellectuelles. Des numéros d’ordre, se succédant de la base du cerveau à son sommet, témoignent de la vérité de ces rapports et de la réalité de cette ascension, et c’est la première fois assurément que l’arithmétique s’était ainsi vue appliquée aux déterminations de la psychologie.
C’est ainsi que, plus voisin du tronc, des viscères, de la moelle épinière, le cervelet, sous le numéro 1, se présente comme constituant dans sa totalité, et sous un volume digne de son importante destination, l’organe indispensable à la vie de l’humanité, celui de l’instinct de propagation. Non loin de lui, et placés d’abord dans les circonvolutions postérieures du cerveau, ensuite dans ses circonvolutions latérales-inférieures, et bornés par conséquent aux deux lobes postérieurs de ce viscère, se trouvent les organes des autres instincts, ceux de l’amour des enfants, de l’attachement, de la défense de soi-même, de l’instinct carnassier, de la ruse, du sentiment de la propriété, de la prudence; en tout dix instincts, tous communs, ainsi que le dit Gall, à l’homme et aux autres animaux, et constituant les facultés appétitives ou la partie en quelque sorte inférieure de la pensée.
Dans un second groupe, sont compris, au nombre de neuf, les organes de facultés qu’on peut déjà appeler intellectuelles, bien qu’elles soient presque toutes communes à l’espèce humaine et aux autres espèces animales. Ces organes sont ceux de la mémoire des choses, de la mémoire des lieux, de la mémoire des personnes, de la mémoire des mots, du sens du langage et de la parole, du sens des couleurs, du sens de la musique, du sens des nombres, du sens des mécaniques, enfin, ou sens des arts. Les organes de ces sens ou de ces mémoires, ce sont les circonvolutions qui forment toute la partie antérieure-inférieure et latérale des lobes antérieurs, ou leur extrémité sus-orbitaire. Ainsi les organes de la mémoire des mots, de la mémoire des personnes, du sens du langage et de la parole, sont constitués par les circonvolutions qui s’appuient sur le plancher même de l’orbite, forment la face inférieure de tout le lobe antérieur, et vont de la scissure de Sylvius à la pointe de ce lobe. Le sens de la musique, celui des nombres, celui enfin des mécaniques, occupent les circonvolutions de sa partie latérale inférieure ou de la partie antérieure de la tempe. Les organes de la mémoire des faits, de celle des lieux, du sens des nombres, siègent dans les circonvolutions de l’extrémité antérieure ou frontale du cerveau, et ils sont placés directement derrière l’arcade surcilière.
Les facultés qui composent la troisième série, plus intellectuelles encore que les précédentes, sont au nombre de huit. Ce sont la sagacité comparative, l’esprit métaphysique, l’esprit caustique, le talent poétique, la bienveillance, la mimique ou l’instinct d’imitation, la théosophie, la fermeté ou opiniâtreté. Elles constituent, à ce que prétend Gall, le caractère essentiel et distinc tif de l’humanité, quoique, de son aveu, la bienveillance se rencontre chez les animaux, et qu’on puisse assurément en dire autant de l’opiniâtreté, et surtout de l’instinct d’imitation.
Les organes de ces hautes facultés, placés dans les circonvolutions de toute la portion supérieure du cerveau, depuis la partie moyenne du front jusqu’à la partie supérieure de l’occiput, composent un vaste groupe, de forme ovalaire, environné de toutes parts par les organes des groupes précédents. Dans ce groupe, en avant et immédiatement au-dessus et en arrière des organes de la mémoire des faits, de celle des lieux, du sens des couleurs, et de celui des tons, sont les organes de la sagacité comparative, de l’esprit métaphysique, de l’esprit caustique. En arrière de ceux-ci viennent, sur une ligne à peu près aussi transversale, ceux de la bonté, de l’esprit d’imitation et de l’esprit poétique. Enfin, postérieurement à l’organe de la bonté, et près de la ligne médiane du cerveau, se présentent, d’avant en arrière et tout-à-fait au sommet de la tête, l’organe de la théosophie ou de la croyance en Dieu, et celui de la fermeté ou de l’opiniâtreté.
Ainsi donc, vingt-sept organes pour autant de facultés primordiales, organes divisés d’abord en deux ordres: ceux des qualités appétitives ou des instincts, placés sur les parties postérieures-inférieures et latérales-inférieures de l’encéphale; ceux des facultés de plus en plus intellectuelles, répartis eux-mêmes en deux séries, les uns propres aux facultés intellectuelles inférieures, et constitués par les circonvolutions de la partie antérieure et inférieure du cerveau, les autres affectés aux facultés intellectuelles supérieures, et constitués par les circonvolutions de la partie supérieure et moyenne de ce centre nerveux: voilà l’organologie crânioscopique telle que Gall l’avait primitivement établie, telle qu’il ne cessa de l’entendre, telle par conséquent qu’il me faut la discuter, avant de m’occuper des perfectionnements que lui ont fait subir ses plus illustres professeurs.
Or, ce serait non seulement discuter, mais abattre ce système, que de démontrer deux choses: la première, c’est qu’à l’envisager du point de vue purement organologique, il n’est pas possible; la seconde, qu’en lui accordant, par hypothèse, cette sorte de possibilité, il ne repose sur aucune des espèces de preuves dont Gall prétendait l’appuyer. C’est là une double démonstration à laquelle je vais procéder.