Читать книгу Rejet de l'organologie phrénologique de Gall et de ses successeurs - Louis-Francisque Lélut - Страница 21
CHAPITRE DEUXIÈME.
ОглавлениеEn elle-même, ou du seul point de vue de la division de la surface du cerveau en organes distincts et démontrables, l’Organologie Phrénologique n’est pas possible.
La partie de l’encéphale que Gall a affectée aux organes des facultés primordiales de son système, ce sont, comme je l’ai déjà dit, ses circonvolutions, ou, pour parler maintenant d’une manière plus exacte, c’est la surface de ce centre nerveux. En effet, ces circonvolutions cérébrales, qu’on est habitué à regarder plus particulièrement comme le siége des organes phrénologiques, ne se rencontrent pas, à beaucoup près, dans tous les animaux. Elles manquent d’abord dans un grand nombre d’espèces mammifères; elles manquent chez presque tous les oiseaux, animaux qui cependant ont, presque autant que les mammifères, servi à Gall, à Spurzheim et à quelques uns de leurs successeurs, pour leurs déterminations organologiques. Elles manquent enfin, et bien davantage, dans le cerveau souvent douteux des reptiles et des poissons, dans celui des serpents, par exemple, cerveau que Gall a pourtant rapproché, par son développement à l’endroit de l’organe de la prudence, du cerveau des bons médecins et de celui des grands généraux . M. Leuret a déjà fait remarquer tout ce qu’a d’original et d’inattendu ce parallèle de la tête et des facultés des serpents et de celles des chefs d’armée . Je crois, en effet, que Gall aurait dû borner son rapprochement aux médecins. Esculape et le serpent d’Épidaure, l’assimilation était de plein droit.
Mais, à parler sérieusement, il eût été plus prudent encore, pour la détermination des organes, de laisser là les serpents, les oiseaux et tous les compagnons de Noé dans l’arche, y compris même le troglodyte et le pygmée, et de s’en tenir, à cet égard, au cerveau et au crâne de l’homme. «Sans doute, aurait-on pu dire pour motiver une pareille exclusion, sans doute il doit y avoir, dans le cerveau des animaux comme dans celui de leur maître à tous, des organes affectés à des facultés instinctives, plus tranchées chez eux que ne le sont ces mêmes facultés dans l’homme. Mais la différence de forme du cerveau des animaux et de celui de notre espèce; l’ignorance où l’on est jusqu’à présent de l’identité absolue, dans la série animale, des parties même extérieures de ce viscère; les différences de conformation qui existent également entre le crâne des brutes et celui de l’homme, considérés en eux-mêmes et dans leurs rapports avec la face; les crêtes qui, dans les animaux, changent ou dissimulent la forme du crâne, la masse énorme des parties molles qui, chez eux, ensevelissent cette boîte osseuse; toutes ces circonstances ne permettent pas, pour le moment au moins, de chercher, dans l’étude phrénologique du cerveau et du crâne des animaux, des preuves confirmatives de la vérité de l’organologie chez l’homme.» Voilà, à peu près, ce qu’on eût pu alléguer pour motiver la restriction de la crânioscopie à l’espèce humaine. Mais une telle retenue n’est guère dans les habitudes des novateurs. La fortune ne sourit qu’à l’audace, Gall se rappela cet adage. Il sentit tout ce que donnerait de force à son système son extension instantanée à toute la création animale. Loin donc de s’en tenir à l’homme et à son cerveau, il étendit son investigation à tout ce qui a vie et sentiment, depuis la musaraigne jusqu’à l’éléphant , depuis le serpent jusqu’au docteur en médecine; et il se mit à interroger des crânes, toujours des crânes, le plus souvent même seulement des têtes , sans se douter ou sans s’inquiéter des réponses que devait lui faire plus tard la masse nerveuse qu’ils contiennent.
Pour peu qu’on jette, pendant quelques instants, les yeux sur ces cerveaux triangulaires d’oiseaux, de rongeurs, de chauves-souris et de quelques autres petits mammifères, cerveaux petits, unis, sans saillie aucune, et dont quelques uns, dans leur plus grand diamètre, n’ont pas plus de quelques lignes d’étendue, on ne sait ce qu’on doit admirer le plus, de l’assurance avec laquelle Gall retrouve à leur surface tous les organes qu’offre, suivant lui, le cerveau de l’homme, j’entends tous ceux qui se lient aux facultés de ces diverses espèces d’animaux, ou de la crédulité inqualifiable qui, admettant de pareilles déterminations, s’est imposé la double tâche de leur donner plus de certitude et de les multiplier.
Prenez le cerveau d’une corneille ou d’une oie, cerveau long et large de deux à trois centimètres. Voulez-vous savoir combien d’organes M. Vimont, par exemple, a trouvé moyen de placer sur la moitié de cette surface? Vingt neuf ! cinquante-huit, par conséquent, pour la surface entière; et de ces cinquante huit organes, il y en a trente réunis sur deux lignes parallèles y formant, à la pointe même du cerveau; une sorte de ruban transversal qui n’a pas plus de trois millimètres de largeur . Pour Expliquer cette prodigalité, M: Vimont prétend qu’on a calomnié la corneille et l’oie, que ces animaux ont plus d’esprit qu’on ne leur en accorde, que l’oie enfin a sauvé le Capitole ! Je concevrais qu’un Romain eût fait valoir cette raison; mais un Français eût dû certainement s’en abstenir, et laisser à tout événement à l’oie la mauvaise réputation qu’on lui a faite. Au reste, on pourrait se demander pourquoi M. Vimont, dans sa foi à la vertu de la phrénologie comparée, s’est arrêté à mi-chemin; pourquoi, par exemple, il n’a pas tracé ses vingt-neuf ou trente organes du cerveau des volatiles sur celui de l’oiseau-mouche, qui a à peu près une ligne de long? L’oiseau-mouche a bien autant d’esprit que l’oie, et le gracieux petit nid de coton qu’il dispose pour sa jeune couvée prouve qu’il n’est pas moins bon géomètre que la corneille .
Si Gall s’était mis en tète d’effectuer cette détermination, elle ne l’eût pas embarrassé. La manière dont il s’y est pris pour montrer, sur le cerveau ou sur le crâne des oiseaux et des petits mammifères, les organes dont l’existence chez ces animaux lui était nécessaire pour la confirmation de sa doctrine crânioscopique chez l’homme, est véritablement ingénieuse; et M. Vimont a rencontré juste quand il a dit que, dans son interprétation des formes du crâne chez les animaux, son maître a mis beaucoup d’adresse . Un cerveau, un cerveau d’animal, quels qu’en soient la forme et le peu de volume, est plus ou moins développé en longueur ou en largeur, dans sa moitié antérieure ou dans sa moitié postérieure (qu’on me passe ces trivialités), plus ou moins proéminent à son extrémité frontale ou à son extrémité occipitale, ou entin sur ses côtés; et c’est aussi dans ces mêmes parties, la partie antérieure, la partie postérieure, la partie latérale, qu’on peut répartir en trois groupes tous ses prétendus organes. Or, d’après ce que je viens de dire de l’oie de M. Vimont, on pense bien que sur des cerveaux aussi petits que ceux des oiseaux et des rongeurs, il n’est pas possible d’assigner, dans chacune de ces parties ou de ces divisions, une place particulière à chacun des organes qui doivent pourtant s’y rencontrer. Dans cette impossibilité qu’a donc fait Gall? Chacune des deux ou des trois parties principales du cerveau, le devant, le derrière, les côtés, lui a servi successivement pour chacun des organes qu’il avait résolu d’y trouver. Si cette partie n’est pas développée, il la suppose telle, et renvoie à la nature qui lui donnerait un démenti; mais il sait bien que la plupart des lecteurs n’iront pas la comparer à ses assertions. Cette partie, au contraire, est-elle large ou proéminente, l’embarras diminue d’autant, et elle devient alternativement l’organe de chacune des facultés qui, d’après Gall, y ont leur siège. C’est ainsi, pour procéder de l’avant à l’arrière, que toute l’extrémité antérieure du cerveau devient successivement, suivant que cela est nécessaire, l’organe de la mémoire des lieux, celui de la mémoire des choses, celui de la musique, celui du talent de construction. C’est ainsi que la partie latérale est indistinctement, suivant l’espèce animale à laquelle on a affaire et la faculté qu’il s’agit de pourvoir, l’organe de l’instinct carnassier, celui de la ruse, celui de la propriété, celui de la circonspection. C’est en vertu du même procédé que la partie postérieure du cerveau est attribuée tour à tour aux organes de l’amour des enfants, de l’attachement, de la rixe et de l’instinct des hauteurs. Dans une de ces trois parties du viscère, partie antérieure, partie moyenne ou latérale, partie postérieure, y a-t-il un point qui soit plus particulièrement développé, c’est ce point qui reçoit l’organe dont il s’agit pour le moment de démontrer l’existence. C’est ainsi que dans la bécasse et dans quelques faucons voyageurs, l’organe des localités, au lieu de se trouver, comme chez l’homme et chez les autres animaux, près de la ligne médiane du crâne, avoisine, au contraire, la partie postérieure de l’orbite . C’est ainsi que, chez la cigogne, le cormoran, le héron, la mouette, l’hirondelle de mer, le martin-pêcheur, l’organe de l’instinct carnassier, au lieu d’être situé immédiatement au-dessus du méat auditif, lui est, au contraire, très antérieur, et est placé immédiatement derrière l’orbite . Il est vrai qu’une pareille manière d’agir a attiré à Gall les réprimandes les plus vives de la part d’un de ses principaux disciples. M. Vimont, je suis forcé d’anticiper encore, reproche, à cette occasion, à son maître, d’avoir mis dans ses déterminations en organologie comparée un tel vague , qu’il n’y a pas le moindre fond à faire sur ses travaux à cet égard . Il regarde même comme une pure invention de Gall la différence qu’il lui a plu d’établir entre le coq ordinaire et le coq de combats relativement au développement plus considérable, chez ce dernier animal, de l’organe de la rixe ou du courage . Il le traite à peu près de la même manière, à propos de cette autre assertion, que les chevaux qui, à raison de l’étroitesse de leur crâne, ont les oreilles rapprochées, sont toujours ombrageux et craintifs . Il prétend que, pour ce qui est de l’organe de l’instinct carnassier, Gall a eu tort d’avancer que le cerveau des animaux carnivores dépasse beaucoup plus, en arrière, le niveau du conduit auditif externe que ne l’y dépasse celui des animaux frugivores . Enfin, dans une suite de reproches de plus en plus graves, que j’aurai soin de citer textuellement plus tard, il l’accuse des plus grossières erreurs, et peut être des tours d’adresse les plus condamnables, relativement à un grand nombre d’autres déterminations en phrénologie comparée, déterminations relatives, par exemple, à l’organe de l’alimentation chez le cormoran ; à ceux de la ruse , du talent musical , des localités , de l’amour des petits , chez les oiseaux; à celui du courage chez le cheval ; à ceux enfin de la construction chez les rongeurs , et de la circonspection chez les mammifères en général .
Je n’en avais pas encore autant dit sur Gall et sur l’inanité, l’impossibilité, l’habileté de ses déterminations en organologie comparée, mais je pourrais en dire beaucoup plus. J’ai là, sur la table où j’écris, les planches de son grand ouvrage; j’y ai une très grande partie des crânes et des cerveaux d’animaux dont il est question dans son texte, et d’après lesquels il prétend avoir établi ses déterminations. Eh bien! je puis en donner l’assurance, et je prie les lecteurs, qui en auraient le temps et la patience, de faire la même vérification que moi, la moitié, au moins, des allégations que Gall articule, et en ceci je suis d’accord avec M. Vimont, est le contraire de la vérité. Dit-il que l’organe de la musique donne à l’arcade orbitaire du crâne du rossignol une rondeur que n’a point celle des crânes du pinson et du chardonneret ? Je fais à l’instant cette comparaison, et je trouve que le chardonneret surtout devrait être meilleur chanteur que Philomèle. Assure-t-il que chez l’oie, qui ne vit que de végétaux, l’organe de l’instinct carnassier est moins développé, et par conséquent le crâne moins large, que chez le canard, qui mange à la fois des légumes et des grenouilles ? Je rapproche les têtes de ces deux volatiles, et je trouve que c’est précisément le contraire qui a lieu. Avance-t-il enfin que chez le lapin sauvage, qui poursuit le lièvre et le vainc, l’organe de la rixe ou du courage est plus proéminent que chez ce dernier ? Je compare et je vois encore que les rôles auraient dû être intervertis.
Mais ce n’est pas tout. Les dessins de Gall eux-mêmes, ces dessins auxquels il renvoie avec tant de complaisance et avec un air si sûr d’eux et de lui, ces dessins représentent quelquefois tout le contraire, je ne dirai pas de ce qui est dans la nature, cela n’aurait plus rien d’extraordinaire, mais de ce qu’il leur demande pour sa preuve, et c’est peut être pour cela que M. Vimont les regarde comme aussi défectueux qu’il trouve ceux des planches de Spurzheim imaginaires . Mais malgré ce précieux témoignage, peut-être encore aurait-on peine à me croire, si je ne donnais quelques exemples de ce mépris de toute vérité. Prenez les planches LXX et LXXI de l’atlas de Gall, relatives à l’organe de l’instinct carnassier chez les oiseaux. Mesurez comparativement, suivant son diamètre transversal, et vis-à-vis le siège de cet organe, le cerveau des oiseaux frugivores et celui des oiseaux mangeurs de chair, et vous trouverez que presque toujours, contrairement aux assertions du texte, c’est le premier qui a le plus de largeur. Prenez encore, relativement au même instinct, la planche XXXIII, qui représente, figure 3, le cerveau du kanguroo, figure 4, celui du lion, figure 5, celui du tigre. Les circonvolutions de l’instinct carnassier, marquées 6 dans le cerveau du tigre et dans celui du lion, manquent, dit Gall, dans celui du kanguroo . Or, sur le cerveau des deux premiers de ces animaux, il n’y a pas plus de circonvolutions marquées 6 que sur celui du kanguroo, lequel, du reste, est dans la nature tout aussi développé en cet endroit que le cerveau du tigre ou du lion. Voici un dernier échantillon de l’accord des dessins de Gall avec ses affirmations. L’organe de l’amour des petits, plus développé chez les animaux femelles, allonge et fait saillir à l’occiput l’extrémité postérieure des lobes cérébraux. C’est ce qui a lieu, par exemple, chez les femelles d’oiseaux, et cela surtout dans les espèces où le mâle s’occupe peu des petits. Gall, dont ce sont là les idées, engage à comparer à cet égard, d’après les dessins de la planche LVII de son atlas, le crâne de la poule, figure 2, avec celui du coq, figure 1, et celui de la dinde, figure 4, avec celui du coq d’Inde, figure 5. Or, je fais cette comparaison, et je trouve qu’à l’opposé de ce qu’il avance, ce sont les crânes du coq et du coq d’Inde qui sont le plus allongés en arrière, et le plus saillants à l’endroit de l’organe de l’amour de la progéniture. Le fait est de toute évidence, et il semble que les dessins aient été exécutés de profil, pour donner un démenti plus formel au texte.
Tout en me proposant de ne parler d’abord que de l’organologie des petites espèces animales, dont le cerveau manque de circonvolutions, j’ai été conduit à dire quelque chose de la phrénologie comparée considérée en général, et de la valeur des allégations de Gall dans cette partie de ses découvertes. Mais il ne résulte pas moins de tout ce que je viens d’avancer, ou plutôt il en résulte bien davantage, que sa tentative de détermination d’organes distincts sur le cerveau tout-à-fait lisse des oiseaux et des petits mammifères est, pour ne rien dire de plus, chose absolument illusoire, et que, de l’aveu même d’un de ses plus illustres disciples, tous ses travaux à cet égard doivent être regardés comme non avenus. Il me reste à montrer maintenant, et ici M. Vimont ne sera peut-être pas tout à-fait de mon avis, qu’on doit porter le même jugement des travaux et des déterminations de son maître, relativement aux grandes espèces animales, jusques et y compris l’homme lui-même, espèces animales chez lesquelles le cerveau, de plus en plus volumineux, offre aussi de plus en plus à sa surface ces replis désignés sous le nom de circonvolutions, qui, dans leur séparation incomplète, eussent semblé pourtant devoir se prêter à des localisations moins douteuses.
On a cherché, de tout temps, à établir une certaine corrélation entre les circonvolutions cérébrales et les actes de l’intelligence. Cela remonte au moins à Erasistrate, et la remarque ironique de Galien , l’attaque plus sérieuse de Vésale , n’ont pas empêché cette opinion de venir, après vingt siècles, servir de base à la phrénologie. Qu’est-ce qu’il y a donc d’intellectuel dans ce plissement d’une masse nerveuse? Rien de plus, on doit bien le penser, que ce rapport tout empirique d’un plus grand développement de ses anfractuosités, ou, si l’on veut, de sa surface, à une plus grande somme d’intelligence. Si l’âne, comme le remarque Galien, a de belles circonvolutions cérébrales, l’homme en a de bien plus belles encore; voilà, sans pénétrer plus avant, ce que plus tard répondait la science à Galien et à Vésale, et les recherches des modernes sur la structure et la forme de ces replis n’en ont pas appris davantage. Que les circonvolutions cérébrales soient constituées par des lamelles irrégulièrement assemblées, comme le prétendait Gennari ; qu’elles résultent de l’accolement de deux plans fibreux se confondant à leur sommet, comme le voulaient Gall et Spurzheim ; qu’elles soient composées, au dire de M. Serres, de deux nappes nerveuses, dont l’une, la plus extérieure, recouvre de ses flexuosités les plans transversaux de la plus profonde ; que les lames qui forment ces replis soient au contraire parallèles au grand axe du cerveau, et se rendent, sans aucun intermédiaire, jusqu’à la couche corticale, comme l’établit M. Leuret , ou bien enfin qu’elles soient tout autre chose que tout cela, comme ne tarderont sûrement pas à le montrer des travaux de plus en plus modernes et prétendant à une plus grande exactitude, on ne voit pas assurément ce que pourrait gagner à la vérité d’aucune de ces opinions la physiologie cérébrale considérée dans ses rapports avec la psychologie.
L’anatomie moderne, en même temps qu’elle interrogeait la structure des circonvolutions, suivait, avec non moins de soin, leur développement dans la succession des espèces animales. Elle constatait, d’une manière générale, le rapport de ce développement au volume du cerveau et à la grandeur de l’animal Chez lequel on l’examine, en même temps qu’au degré de son instinct ou de son intelligence. Elle reconnaissait, en d’autres termes, que les circonvolutions manquent ou sont peu développées chez les petits animaux et dans les petits cerveaux, et qu’elles acquièrent une proportion d’autant plus grande, se présentent en nombre d’autant plus considérable, que l’animal offre une plus grande masse, son cerveau un plus grand volume, enfin qu’il est plus intelligent. Mais elle reconnaissait bien davantage encore toutes les infractions qu’offre la série animale à cette triple loi d’un grand développement des circonvolutions pour un grand corps, un vaste cerveau et de plus riches facultés. Les faits particuliers qui constituent ces infractions sont devenus tellement vulgaires que les citer tous serait peine perdue. C’est, par exemple, le chat, le furet, la roussette, qui ont des circonvolutions cérébrales, et l’écureuil, le lièvre et le castor qui n’en ont pas. C’est le cochon, le mouton, l’âne, qui en ont de bien plus belles et de bien plus nombreuses que celles du chien, du loup, du lion. C’est enfin l’éléphant, dont le cerveau est sillonné par des anfractuosités bien plus multipliées et bien plus profondes que celles du cerveau même de notre espèce. On voit que, grâce aux travaux des modernes, la réplique de Galien à Érasistrate peut s’appuyer de nouveaux faits.
Toutefois, malgré ces faits et cette réplique, les circonvolutions, considérées en masse, pouvaient, jusqu’à plus ample informé, garder quelque chose de leur vieux et empirique renom d’intellectualité. Mais la phrénologie a entendu la question autrement. Prenant ces circonvolutions au détail, elle a prétendu faire de chacune d’elles l’organe distinct d’une faculté. Elle a cru se retrancher ainsi dans une position inexpugnable, et si elle en est quelquefois sortie, pour aller inscrire des organes sur le cerveau sans circonvolutions des petites espèces animales, c’est, comme je l’ai dit, par une nécessité de son principe, dont elle se serait fort bien passée, et qui lui a causé bien des embarras. Mais il n’y avait pas plus lieu à une telle localisation psychologique dans le premier cas que dans l’autre, et les cerveaux qui ont des circonvolutions ne sont pas moins impropres que ceux qui en sont dépourvus, à se subdiviser en organes.
Si le cerveau, dans les deux côtés de sa surface, était découpé en saillies, qui, par la constance de leurs formes et l’invariabilité de leur nombre, rappelassent d’assez près sous ce double rapport les organes de la vie de relation, les yeux, les oreilles, les doigts, certains esprits que n’effraie aucune sorte d’empirisme pourraient se croire autorisés à regarder ces saillies de la partie de l’encéphale plus spécialement liée aux manifestations morales et intellectuelles, comme affectées, dans leur distinction, à des facultés également distinctes. Mais un pareil état de constance est loin d’être celui des circonvolutions cérébrales. De toute antiquité, au contraire, l’irrégularité de ces replis passe pour une sorte d’axiome anatomique, et l’on n’avait rien trouvé de plus propre à la consacrer que d’assimiler, sous ce rapport, les circonvolutions cérébrales aux circonvolutions intestinales, dont la forme et le nombre peuvent varier à l’infini, au moindre mouvement de leur tunique musculaire, ou de leur enveloppe abdominale . C’était une chose presque honteuse pour l’anatomie que cet état d’incertitude sur les formes extérieures du prince des organes. L’anatomie se piqua d’honneur; de sérieux travaux furent entrepris pour déterminer, dans les animaux et dans l’homme , la forme et le nombre des circonvolutions cérébrales; et mon avis est que, malgré toute la valeur de ces travaux et le mérite de leurs auteurs, la vieille comparaison des écoles, appliquée au cerveau de l’espèce humaine et de quelques espèces animales voisines d’elle par le nombre et la hauteur de leurs circonvolutions, n’a pas perdu toute sa vérité.
Il est assurément hors de doute, et c’est là ce que font déjà bien voir les planches de l’ouvrage de Tiedemann, mais ce qu’ont surtout démontré les recherches de M. Leuret; il est hors de doute qu’on peut, à la disposition et au nombre des circonvolutions d’un cerveau, autant qu’à sa forme générale, reconnaître de quelle famille, de quel genre, souvent même de quelle espèce fait partie l’animal auquel il appartient. Il est également incontestable que dans certains animaux qui ne sont pourtant pas très bas placés dans l’échelle et qui ne sont pas non plus d’une petite taille, les chiens, par exemple, et les renards, les circonvolutions cérébrales sont en si petit nombre et offrent un tel degré de simplicité, que la détermination en est très facile, et qu’on peut les faire servir de type ou de point de repère pour l’étude des circonvolutions de plus en plus nombreuses du cerveau des espèces animales supérieures. Rien ne s’oppose, en conséquence, à ce qu’on ne cherche, dans ce but, à retrouver, dans les circonvolutions plus nombreuses et plus composées des grandes espèces, l’analogue à la fois et l’ampliation, des circonvolutions élémentaires des petites; rien ne s’oppose à ce qu’on ne réunisse les premières en groupes, qui, sous le rapport du nombre et de la direction générale, puissent être considérés, jusqu’à un certain point, comme représentant les circonvolutions réellement distinctes et en si petit nombre, des loups, des chiens et des renards. On aura ainsi établi un rapprochement utile, mais non point exprimé une similitude, et l’on n’obtiendrait pas un meilleur résultat en réunissant systématiquement quinze ou vingt circonvolutions en une seule, à laquelle seule aussi on conserverait ce nom. Les choses reparaîtraient sous les mots, et avec elles une indétermination d’autant plus grande que l’analogie aurait été plus forcée. Voilà le cerveau du renard, ce cerveau que M. Leuret a pris pour type, le voilà avec ses six circonvolutions radicales et qu’on peut accepter comme telles. Voici, à côté de lui, le cerveau du phoque et celui du dauphin, avec leurs anfractuosités si nombreuses, si profondes, si distinctes. Combien croyez-vous que, suivant M. Leuret, il y ait de circonvolutions dans l’un et dans l’autre? Dans celui du phoque trois, dans celui du dauphin cinq, dans l’un et l’autre moins que dans celui du renard. Voici maintenant le cerveau de l’éléphant, le cerveau à la fois le plus gros et le plus profondément comme le plus abondamment plissé. Combien, d’après M. Leuret encore, offre-t-il de circonvolutions? Autant et pas plus que le cerveau du renard, si ce n’est pourtant que ces circonvolutions, dont la direction est également longitudinale, sont surmontées par deux circonvolutions supérieures et transversales, qui ont l’air de les partager en trois circonvolutions antérieures et en trois circonvolutions postérieures, mais qui, en réalité, ne font que s’y ajouter, et ne changent rien au nombre et à la direction de ces circonvolutions fondamentales. Il est vrai que dans les trois animaux que j’ai pris pour exemple, le phoque, le dauphin et l’éléphant, chacune de leurs trois, ou de leurs cinq, ou de leurs six circonvolutions, est bien loin d’être nettement séparée de sa voisine, comme le sont l’une de l’autre les circonvolutions du cerveau du renard. Elles communiquent, au contraire, les unes avec les autres, pour me servir des expressions de M. Leuret, par des embranchements, des diverticulum, des échanges, qui ne permettent en aucune façon de suivre, dans l’étendue de plus d’un ou deux pouces, l’anfractuosité qui devrait les séparer. Il est vrai encore que chacune de ces circonvolutions se divise et se subdivise en circonvolutions secondaires et tertiaires, aussi larges et aussi hautes que la circonvolution qui leur donne naissance. Or, du mélange de ces divisions secondaires et tertiaires, de ces communications, de ces embranchements, de ces diverticulum, il résulte précisément sur le cerveau surtout de l’éléphant, dans les reliefs et les sillons de sa surface, cette irrégularité qui est dans la nature des choses, et qu’aucun changement dans les mots ne pourra faire disparaître. Dire, avec M. Leuret, qu’elle n’est pas plus grande que celle qui existe d’un individu à un autre, ou d’un membre d’un même individu à son autre membre, dans la distribution du système artériel, c’est avouer qu’elle est très grande; et puisque j’en suis sur cette comparaison, j’ajouterai qu’on aurait tort, pour réduire le nombre des circonvolutions cérébrales dans les grands animaux et en faciliter la description, de les faire naître les unes des autres, les secondaires et les tertiaires des principales ou prétendues telles, comme les artères et les veines naissent les unes des autres, les moyennes des grosses, les petites des moyennes, et ainsi de suite. Dans ce dernier cas il y a une succession, une dépendance, qui autorisent ce langage, succession et dépendance qui ont leur raison dans le cours du sang, dans sa transmission des gros vaisseaux aux petits dans la circulation artérielle, et des petits aux gros dans la circulation veineuse. Mais dans les circonvolutions cérébrales, indépendamment de ce qu’il n’existe aucune raison actuelle d’une pareille dépendance, il y a, la plupart du temps, entre celles qu’on voudrait appeler principales et celles qu’on regarderait comme secondaires, une égalité de volume à peu près parfaite, de même qu’elles sont le plus souvent aussi séparées les unes des autres par des anfractuosités d’une égale profondeur.
Si malgré les efforts les plus recommandables pour ramener à un même type et pour classer dans des groupes analogues les circonvolutions du cerveau des animaux, il n’est pas même possible de pallier l’irrégularité radicale de leurs détails, on doit bien s’attendre que cette impossibilité deviendra bien plus grande encore quand il s’agira du cerveau de notre espèce.
Rolando est le premier anatomiste qui ait cherché à ramener à des déterminations exactes les circonvolutions du cerveau de l’homme, et qui, dans de certaines limites, l’ait fait avec quelque succès. Dans un ouvrage considérable, qui n’a pas encore paru tout entier, M. Foville a repris celte tâche en sous-œuvre, et personne plus que lui n’était à même de l’accomplir. Cet anatomiste divise toute la surface des hémisphères en plusieurs zones, comprises entre trois circonvolutions d’enceinte, dont l’une contourne tout le corps calleux, dont la seconde forme la lèvre supérieure de la scissure de Sylvius, dont la troisième enfin, et la plus étendue, suit toute la convexité des hémisphères au niveau de leur grande scissure. Circonvolutions fondamentales, ou lignes fictives, ce sont là, dans tous les cas, trois limites bien déterminées des trois faces de l’extérieur du cerveau, et qu’on peut accepter comme telles. Or, c’est entre ces trois circonvolutions que sont comprises toutes les circonvolutions que M. Foville appelle de troisième et de quatrième ordre, circonvolutions véritables, de plus en plus individuelles, et qui, sans parler des circonvolutions à demi cachées de l’insula, serpentent et se replient à la face interne des hémisphères, à leur face orbitaire, enfin et plus particulièrement sur leur convexité. Dans ces trois parties du champ des circonvolutions de troisième et de quatrième ordre, de longues circonvolutions, de grandes traverses fondamentales, offrent un certain caractère de permanence, quoiqu’elles puissent encore varier beaucoup, et cela jusque dans leur nombre, qui est de cinq à neuf, par exemple, à la face interne de l’hémisphère, et de trois à quatre à sa face externe. Mais dans le détail de ces circonvolutions, dans leurs replis, leurs sinuosités, leurs embranchements, leurs circonvolutions secondaires, il n’y a plus ou presque plus aucune fixité, aucune régularité, même d’un hémisphère à l’autre. C’est là un fait que M. Foville reconnaît, établit nettement, et pour lequel il renvoie à l’examen comparatif des différentes figures des planches de son ouvrage. Or, ce sont précisément ces replis, ces sinuosités, ces embranchements, ces subdivisions des circonvolutions principales de troisième et de quatrième ordre, qui forment ce qu’on est habitué à regarder comme les circonvolutions cérébrales par excellence. Ce sont, dans tous les cas, ces replis qui forment exclusivement les circonvolutions phrénologiques, celles sur lesquelles Gall et ses successeurs ont inscrit les organes de leur système, et qui ne sont pas encore assez nombreuses, surtout aux parties antérieures du cerveau, pour cette grave destination.
Pour se convaincre du défaut de similitude des circonvolutions cérébrales, ou, si l’on veut, de leurs sinuosités, chez l’homme, dans le même hémisphère de deux cerveaux différents, ou dans les deux hémisphères du même cerveau, il suffirait d’examiner avec quelque attention les planches très exactes, dans lesquelles MM. Cruveilhier , Leuret , Longet , Foville , ont fait représenter des cerveaux humains. Mais qu’on fasse mieux, qu’on se reporte à la nature, qu’on mette les deux hémisphères l’un près de l’autre, et qu’on les examine par comparaison. Assurément on remarquera bien, tout d’abord, une certaine disposition générale des circonvolutions et des anfractuosités, commune à l’un et à l’autre. On verra sur chaoun d’eux, par exemple, qu’à la partie antérieure et à la partie postérieure de sa convexité, les sillons, et par conséquent les reliefs, affectent une forme plus particulièrement horizontale, quoique encore fort interrompue et fort tremblée, tandis qu’à la partie moyenne, ces sillons et ces reliefs offrent, mais d’une manière encore plus irrégulière, une direction plus oblique de haut en bas et de dedans en dehors. Çà et là encore, une circonvolution d’une partie déterminée de cette surface dans l’un des hémisphères rappellera quelque circonvolution de la même partie dans l’autre. Mais qu’on entre plus avant et plus exactement dans le détail des circonvolutions, qu’on les examine dans chacun d’eux à partir de la ligne médiane; on n’aura pas besoin de les parcourir tout entiers pour se convaincre du défaut de similitude de ces replis de leur surface. Là où, dans l’un, une circonvolution se recourbe en avant, dans l’autre un repli analogue continue sa marche en dehors, ou se perd dans une anfractuosité ; là où, dans le premier hémisphère, se creuse nettement un vaste sillon, dans le second, se rencontre à peine une dépression légère, ou s’élève une circonvolution magnifique; à l’endroit où dans l’un des. hémisphères s’élargit une circonvolution, celle qui dans l’autre semble la représenter s’étrangle, ou s’allonge en une sorte de cap. Dans le premier hémisphère vous serez parvenu, je le suppose, à trouver une circonvolution bien séparée de ses voisines par plusieurs anfractuosités profondes, dans l’autre vous croirez avoir rencontré une forme et une délimitation à la rigueur équivalentes; mais cherchez dans le fond d’une des anfractuosités, vous verrez la circonvolution, qui dans le premier cas se termine là fort nettement, ne subir ici qu’une dépression légère, qui ne la distingue réellement pas de la circonvolution voisine. Je n’ai pas l’intention, comme on le sent bien, de parcourir sous ces divers rapports toute la série de différences que j’ai pourtant actuellement sous les yeux. Les nier n’est pas chose possible; mais je devais au moins les rappeler .
Il existe sur cette indétermination naturelle des circonvolutions cérébrales dans les animaux supérieurs et surtout dans l’homme, et sur sa corrélation avec l’indétermination des facultés de notre espèce, un passage intéressant de Willis, dont les assertions ne sont pas toutes exactes, ni les inductions toutes rigoureuses, mais qui mérite pourtant d’être cité. «Les circonvolutions du
» cerveau, dit ce vieil et excellent anatomiste, sont
» beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus
» considérables dans l’homme que dans tout autre
» animal, à raison de la diversité et de la multiplicité
» des actes de facultés supérieures. Ces
» circonvolutions offrent, dans leurs variétés, des
» dispositions changeantes et comme fortuites,
» afin que les manifestations des facultés soient
» libres, variables, et non point nécessairement
» déterminées. Les circonvolutions, dans les quadrupèdes,
» sont en beaucoup plus petit nombre,
» et dans quelques uns, tels que le chat, elles offrent
» une configuration et des rapports toujours
» les mêmes. C’est pourquoi ces animaux n’ont
» guère d’attention et de mémoire que ce qu’en
» nécessitent les instincts et les besoins naturels.
» Dans les tout petits quadrupèdes, de même que
» dans les oiseaux et les poissons, la surface du
» cerveau est lisse, égale et absolument dépourvue
» de circonvolutions et d’anfractuosités; ce
» qui fait que ces espèces animales ne comprennent
» ou n’apprennent par imitation que très
» peu de choses, et des choses pour ainsi dire
» d’un seul genre .»
La méditation de ce passage, et plus encore l’observation des faits dont Willis l’a cru l’expression, aurait du empêcher Gall de placer dans des parties aussi peu distinctes les unes des autres, aussi peu déterminées, en un mot, que les circonvolutions cérébrales, le siège d’organes distincts et déterminés. Rappelez-vous tout ce que je viens de dire sur leur manque naturel de délimitation, sur leur défaut de symétrie d’un cerveau humain à un autre, ou d’un hémisphère d’un même cerveau à l’hémisphère opposé ; de plus ne perdez pas de vue qu’elles ne sont que la terminaison, la surface, d’une masse nerveuse partout continue, et dans laquelle, à l’endroit d’où elles naissent, il n’est pas possible de constater la moindre séparation en faisceaux distincts, et affectés à tels ou tels de leurs replis, et vous resterez persuadé, je m’assure, qu’il est en principe impossible d’opérer de telles localisations, aussi bien que de les reconnaître à travers les parois de la boîte osseuse qui est censée les recouvrir .
Pour achever de vous convaincre de cette impossibilité , prenez un de ces cerveaux en plâtre que la phrénologie a moulés d’après nature, ou modelés au gré de son imagination et pour les besoins de son négoce. Suivez sur ce plâtre la topographie organologique qu’elle a tracée de ses circonvolutions. Voyez les prétendus organes n’ayant, la plupart du temps, d’autres limites que les traits d’encre rouge ou noire où les a enfermés la main du manœuvre. Voyez-les, sur les deux hémisphères du même cerveau, varier dans leur forme, leur étendue, et même dans le nombre des replis attribués à chacun d’eux. Mais prenez surtout un cerveau dont un des hémisphères ait reçu la carte de Gall, et l’autre celle de Spurzheim. Voyez, sur l’hémisphère où est inscrite cette dernière, quelques uns des organes anciennement établis par le maître, au voisinage l’un de l’autre, s’écarter pour recevoir un nouveau venu, de la façon du disciple, ou se cotiser pour le pourvoir; voyez alors les lignes coloriées qui les limitent se resserrer, en modifiant leurs bizarres figures; et si vous n’êtes pas convaincu à l’instant même de toute l’impossibilité matérielle d’un cadastre aussi extravagant, si vous n’êtes pas pris d’une pitié profonde, je ne dis pas pour les deux ingénieurs qui en ont eu la première idée, mais pour les malheureux arpenteurs qui se sont imposé la tâche de le continuer et de le parfaire, c’est que vous étiez digne vous-même d’y tenir la chaînette et d’y chiffrer des triangulations.