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PRÉFACE.

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Table des matières

J’ai publié, il y a quelques années, sous le titre de Qu’est-ce que la Phrénologie? une appréciation de cette doctrine, envisagée dans ce qu’elle a de psychologique, c’est-à-dire dans ses déterminations et sa nomenclature des facultés de l’intelligence. Comme j’avais exprimé dans ce travail l’intention d’examiner consécutivement le système de localisation cérébrale que la phrénologie applique à ces déterminations, peut-être verra-t-on, dans le livre que je publie aujourd’hui, l’accomplissement de cette sorte de promesse, et la seconde partie de celui où je la faisais. Je n’ai pas assurément l’intention de lui ôter ces deux caractères, qu’il se trouve, en effet, réunir. Mais, je dois l’avouer néanmoins, ce qui m’a porté à l’écrire, ce n’est ni le souvenir d’un engagement qui ne m’eût été rappelé par personne, ni le désir de donner à un précédent ouvrage un complément qui ne lui sera pourtant pas inutile. J’ai été conduit à cette tâche, que je me fusse volontiers épargnée, par les nécessités d’un autre travail et les accidents de sa composition.

Dans ce qui est à mes yeux la base et le point de départ de toute philosophie, dans la philosophie de l’homme, toutes les questions se tiennent, se supposent, se nécessitent l’une l’autre. Science de la pensée, science de ses organes, histoire de cette même pensée dans la série ascendante des âges de l’homme, dans celle des âges de l’humanité, dans l’échelle enfin des races humaines, il n’y a pas une seule de ces questions, ou de leurs principales questions subsidiaires, dans laquelle on ne pût faire rentrer toutes celles qui marchent ainsi de front avec elle, ou qui pût être traitée d’une manière complète et vraie en dehors de leur intervention. Mais il est surtout une de ces questions qui doit à sa nature de pouvoir mieux résumer toutes les autres, et plus encore de constituer une base nécessaire à la solution de chacune d’elles Cette question, c’est celle de la pensée, envisagée dans l’intimité de ses connexions avec les diverses parties de l’organisme, ou, plus brièvement, dans sa physiologie.

Quelles sont en elles-mêmes, et dans leurs rapports réciproques, dans leur valeur propre et dans leur valeur relative, les conditions organiques, de plus en plus détaillées, de plus en plus spéciales, des manifestations sensitives et intellectuelles? Quelle part réclament dans ces conditions tous les organes du corps humain? Le système nerveux, et particulièrement le système nerveux cérébrale qui lie entre eux ces divers organes, les anime et les maîtrise, mais ne les absorbe pas, quel rôle plus important, plus exclusif, joue-t-il dans cette physiologie de l’intelligence? Quelles sont dans ce système les conditions diverses, les plus grossières comme les plus intimes, des actes de cette physiologie? L’appréciation de ces conditions serait-elle complète et même possible, en dehors de toute considération du principe qui les domine, principe qui se lie dans son essence à ce désir d’une vie à venir, base commune des affirmations de la religion et des conflits de la philosophie?... Telles sont, au moins, les questions principales d’une science, peut-être la plus difficile de toutes, mais dans laquelle aucun progrès ne me semble possible, s’il n’est tenté du double point de vue de notre nature, celui du corps et de ses organes, celui de l’esprit et de ses facultés.

C’est dans cette persuasion intime et de ce double point de vue, que, dans un ouvrage plus d’une fois repris, j’essaie de contribuer, pour ma part, et suivant la mesure de mes forces, à donner à la philosophie de l’homme des bases qu’elle demanderait en vain, suivant moi, à un autre ordre de recherches. Or, ce qui manque pour un tel établissement, ce ne sont ni les aperçus généraux, ni les conjectures hasardées, ni les assertions les plus tranchantes. Ce sont des déterminations détaillées, précises, fondées sur une étude spéciale et intelligente des rapports de toutes les pièces de notre organisme, et en particulier de ses pièces nerveuses, aux plus humbles comme aux plus élevés, aux plus obscurs comme aux plus saisissables, des actes de notre pensée. Je n’hésite pas à le déclarer, parce que c’est en moi une conviction profonde, fondée sur de laborieuses études et sur de longues réflexions, tout ce qui a été accompli dans ce but de scientifique et de valable est à reprendre en sous-œuvre, à contrôler par de nouvelles observations, à mettre en rapport avec ce qui reste à faire; et ce qui reste à faire est presque tout.

Il y a pourtant un homme, dont le nom est considérable, qui, sur le sujet dont je parle, a paru croire qu’après lui il n’y avait plus à s’occuper de chercher des bases à la science, et qu’il ne serait au pouvoir de personne d’ébranler celles qu’il lui a données. Cet homme, après avoir placé, pour ainsi dire, toute l’intelligence humaine dans son côté moral et impulsif, et avoir rallié tous les faits de ce dernier côté à un certain nombre de facultés d’une détermination absolue, a également ramené à un seul organe, le cerveau, toutes les conditions matérielles de ces facultés, et a ainsi fait de ce viscère le siège exclusif et simultané de l’instinct, des sentiments, des sensations et de la raison. Ce que cette physiologie de l’entendement a eu de retentissement et de sectateurs, ce qu’elle en conserve encore maintenant, il n’est personne qui ne le sache; et bien que l’ouvrage dont je m’occupe sur cette même physiologie ne dût pas être un livre de critique, je ne pouvais pas ne pas y parler, et même ne pas y parler longuement, de l’organologie de Gall.

Les travaux purement anatomiques de Gall sur le cerveau sont sérieux et d’une importance qui n’a été niée par personne. Mais, suivant la remarque de Cuvier, ils n’ont absolument aucun rapport à ses idées organologiques, et il faut en dire tout autant de son système de psychologie et de ses doctrines philosophiques. Gall pourtant s’est constamment appliqué à rapporter et son anatomie, et sa psychologie, et sa philosophie à son système organologique. C’est ainsi qu’en faisant converger tous ses efforts vers une seule question, celle de la physiologie du cerveau, il a appelé sur cette question en général, et sur sa manière de la résoudre en particulier, l’attention universelle, provoqué sur l’une et sur l’autre des études de plus en plus sérieuses, et a fait que ses adversaires les plus déclarés et les plus heureux lui doivent au moins de la reconnaissance pour les travaux auxquels il les a conduits. Dans un tel état de choses, ne pas accorder une certaine place à l’examen de l’organologie de Gall eût été, de ma part, une omission malséante, et presque un acte d’ingratitude, que je ne devais pas commettre. Mais examiner l’organologie, c’était, je le dis à l’avance, la combattre et la rejeter, et c’est surtout du point de vue de l’ouvrage où j’allais en faire la critique que le rejet de cette doctrine pouvait le mieux être prononcé.

Le système organologique et crânioscopique de Gall a eu, dès son apparition même, de nombreux et de puissants contradicteurs. Sa réfutation ne date pas d’hier, elle s’est continuée sans relâche, et pourtant il est encore debout. Que dans les hautes régions de la science physiologique ce système n’ait jamais compté un bien grand nombre de partisans, et qu’il y en compte maintenant moins que jamais, c’est là ce qui est incontestable. Mais dans ses régions moyennes ou inférieures il en a de fort nombreux encore, et l’on sait que dans le nord de l’Allemagne, en Amérique, et surtout dans la Grande-Bretagne, il a presque trouvé moyen d’avoir une position officielle, et qu’on appellerait chez nous universitaire. Indépendamment de cette clientèle plus ou moins savante, et jusqu’à un certain point compétente, le système en rallie à lui une autre beaucoup plus nombreuse, moins engagée mais plus croyante, clientèle de toute position, de toute profession, de toute lumière, gens de science, et de toute sorte de science, gens de robe, Je plume, de pinceau, qui tous lui tiennent compte de ses promesses, et ne reculent pas devant une philosophie qui peut s’écrire sur le crâne, et dont les applications morales sont une affaire de compas.

Or, qu’a-t-on fait pour montrer à tous ces néophytes la fausseté de l’organologie, l’inanité de ses preuves et le mensonge de ses promesses? On leur a dit que cette psychologie cérébrale de Gall, avec ses facultés à la fois toutes distinctes et toutes nerveuses, était essentiellement matérialiste et fataliste; que non seulement elle niait la vie à venir, mais qu’elle tuait la vie présente, en enchaînant le libre arbitre et en détruisant toute moralité, et qu’une doctrine qui a de telles conséquences devait avoir un faux principe. Le raisonnement n’était pas sans force. Mais les conclusions du système, que Gall, du reste, a repoussées, n’étaient pas pour beaucoup d’esprits clairement contenues dans ses prémisses, et quelques uns, il faut le dire, étaient loin de s’en effrayer.

Après avoir combattu l’organologie au point de vue philosophique, on l’a attaquée par son côté psychologique, et moi-même je l’ai prise par ce biais. Dans l’ouvrage dont j’ai parlé en commençant, j’ai démontré, entre autres choses, que dans tout système de psychologie les facultés ne sont et ne sauraient être qu’indéterminées, comme les faits qu’elles représentent, et qu’il en est à cet égard du système de Gall et de Spurzheim comme de celui de l’École écossaise, dont il n’est guère que la copie. J’ai conclu de là, par une anticipation irréfragable, que l’organologie phrénologique, avec ses organes déterminés pour des facultés qui ne peuvent l’être, ne saurait avoir aucune vérité. L’argument était plus prochain, tellement prochain qu’il eût pu dispenser de tout autre. Mais pour lui accorder une telle valeur, il eût fallu une habitude des matières psychologiques, qui n’est pas celle du plus grand nombre. Par cela même il ne dispensait pas de raisons directes et palpables, de faits en un mot de même nature que ceux qui servent de base à l’organologie, mais contraires à ses assertions.

Il s’agissait donc de prouver, en dernier ressort, que le système de Gall, soit vrai, soit faux sous le rapport philosophique et sous le rapport psychologique, est faux de toute fausseté sous le rapport purement organologique. Il s’agissait, en d’autres termes, de faire voir que les faits de proéminences du cerveau et du crâne, sur lesquels se trouvait fondée, dans ce système, l’existence de chacun des organes, sont tout au moins des erreurs, et qu’ainsi le seul mode d’observation sur lequel Gall, Spurzheim et leurs successeurs ont établi leur physiologie de l’intelligence, se retourne victorieux contre elle. C’était là un genre d’annihilation qui devait frapper et satisfaire tous les esprits, et particulièrement ceux qui, en fait de logique, sont disposés à reculer devant tout ce qui va plus loin que les sens.

Plus d’une démonstration a été tentée de ce point de vue. Des faits nombreux et irrécusables, de même nature que les siens, ont été opposés à l’organologie, et j’ai moi-même, à diverses reprises, signalé un grand nombre de faits de ce genre. Mais cette sorte de réfutation n’a jamais été exécutée d’une manière complète, générale, et l’événement a prouvé que la leçon n’était pas suffisante. L’organologie, battue d’un côté, s’est retournée de l’autre. Quand le volume des organes lui a manqué, elle s’est rejetée sur leur activité. Dans des mécomptes analogues, des organes isolés elle a passé aux groupes d’organes, ou de ceux-ci elle est revenue aux organes isolés. Lorsque les déterminations crânioscopiques des maîtres devenaient trop embarrassantes à défendre, les disciples les abandonnaient, et les remplaçaient par des déterminations nouvelles, sauf à différer sur ce point les uns des autres, et quelquefois, à un court intervalle, d’eux-mêmes. Cela s’appelait faire faire des progrès à la phrénologie. Mais c’était surtout insulter au bon sens, et se moquer du public, qui ne savait trop que penser de cela.

Arrivé donc à la partie de mon ouvrage où j’avais à traiter du rapport des formes du cerveau aux actes de l’intelligence, il me parut nécessaire d’édifier sur tout cela et le bon sens et le public. Dans cet endroit de mes recherches se plaçait tout naturellement l’examen d’un système de physiologie de la pensée fondé tout entier sur la considération de ces rapports mêmes. Ce système contenait en outre un point de détermination, celui de l’affectation du cervelet à la fonction reproductrice, qu’admettent peut-être encore plusieurs même de ses adversaires, et qui ne semble pas, au premier abord, répugner aux données ordinaires de la physiologie. Par toutes ces raisons, et appuyé sur toutes mes études antérieures, je me mis à l’œuvre et je le fis avec courage, dans l’intention de montrer, une fois pour toutes et à tout le monde, le néant de l’organologie phrénologique. J’établis qu’au seul point de vue organologique, la physiologie du cerveau suivant Gall n’est ni possible, ni fondée. Du maître je passai aux disciples; j’opposai les disciples au maître; je les opposai les uns aux autres, et les suivis, à cet égard, dans toutes leurs contradictions. A leurs faits j’en opposai d’autres, pris en bien plus grand nombre, soit dans ma propre observation, soit dans la leur même; et je voulus qu’on vît, avec moi, que leur pseudo-science n’a pas eu en définitive de plus grands ennemis que ceux qui se sont donné la mission de la démontrer ou de la défendre. La matière s’étendit ainsi sous ma plume; et quand je fus au bout de ma tâche, lorsque j’en vins à formuler un dernier jugement, non seulement sur l’organologie, mais sur son fondateur et sur le caractère de sa philosophie, je m’aperçus que la réfutation que je venais d’achever dépassait toutes limites, et que la laisser à l’endroit où je l’avais écrite, c’eût été rompre toute l’harmonie du travail qui l’avait amenée. Je ne pouvais encadrer ainsi un livre dans un autre livre; mais j’avais encore un motif d’effectuer cette séparation.

Lorsqu’on discute les travaux de Gall en anatomie, en psychologie et en philosophie de l’homme, on peut, à tort ou à raison, les trouver faux, faibles ou funestes; mais en les attaquant on restera sérieux. Qu’on en vienne, au contraire, à ce qu’il a appelé sa physiologie du cerveau, et sur-le-champ, pour en parler, on emploiera un autre langage. Il est presque impossible, en effet, de se livrer à un examen un peu attentif de l’organologie et de la crânioscopie., de la nature de leurs preuves et de celle de leurs applications, sans se demander bientôt si c’est de la science que Gall a voulu faire et si c’est de la science qu’on lit. Mais lorsqu’on vient à réfléchir que cette science, ou quelque nom qu’on veuille lui donner, a pourtant, durant près d’un demi-siècle, été regardée comme réelle, non seulement par de nombreux disciples, mais par une foule d’hommes graves de toutes les positions et de tous les pays, et que, sous l’empire de cette réflexion, on se trouve dans la nécessité de la combattre, on ne sait trop comment s’y prendre, ou, pour mieux dire, on le sait bientôt. Tout en opposant aux faits ou à ce qui en a l’apparence, des faits qui les annihilent, et c’est toujours la première chose à faire, tout en répondant à de mauvais raisonnements par une meilleure argumentation, et c’est encore là ce à quoi il ne faut jamais manquer, de guerre lasse, en face des pauvretés toujours croissantes, au lieu de se garder du rire, on prend le parti de s’y abandonner, et l’on se trouve presque sans l’avoir voulu, avoir, dans une réfutation scientifique, usé de formes qui n’y sont pas habituelles. Voilà ce qui est arrivé, sans exception, à tous les adversaires de la crânioscopie, depuis Hoffmann jusqu’à nos jours, et ce qui n’a jamais manqué de m’arriver à moi-même, toutes les fois que je l’ai combattue. Ici, j’ai peut-être atteint la mesure, et, il faut que je l’avoue, je n’ai pas trop cherché à me retenir. Je me dédommageais ainsi d’une tâche qui, sans cela, eût été bien fastidieuse à remplir, et je me disais que le lecteur ne me saurait pas trop mauvais gré de joindre à des raisons scientifiques quelques raisons plus en harmonie avec la nature, souvent si étrange, des allégations qu’il s’agissait de renverser. Mais ce mélange même d’arguments d’un aspect quelquefois peu grave dans un travail dont le fond est d’un sérieux incontestable, m’eût seul, et indépendamment de l’étendue de ma critique, engagé à faire de celle-ci un ouvrage à part. Tel est donc le parti que j’ai cru devoir prendre, en détachant cette réfutation de l’organologie des recherches qui en ont été l’occasion. Le livre qu’elle constitue sera, après tout, un livre utile. Il achèvera de débarrasser la science d’une mauvaise physiologie de la pensée, pour lui permettre d’en édifier une bonne, et accomplira ainsi de ma part une ancienne promesse, celle d’examiner et de rejeter la phrénologie au point de vue des organes, après l’avoir examinée et réduite à sa juste valeur au point de vue des facultés.

Paris, 1er septembre 1843.

Rejet de l'organologie phrénologique de Gall et de ses successeurs

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