Читать книгу La prison du Luxembourg sous le règne de Louis-Philippe: Impressions et souvenirs - Louis-Jean-Joseph Grivel - Страница 12
VIII
ОглавлениеSouvent nous avons été appelé auprès d’un lit de mort, mais c’était alors Dieu lui-même qui reprenait le souffle divin qu’il avait prêté à sa créature; presque toujours, en ce moment extrême, l’âge ou la maladie affaiblissent l’intelligence ou le sentiment du mourant, et rendent ainsi moins vives ses douleurs, moins poignant son regret de quitter la vie. C’est ainsi que, dans les cas les plus ordinaires, nous perdons imperceptiblement quelque portion de nous-mêmes, que nous nous éteignons insensiblement, et que la mort arrive par degrés, comme la nuit que précède le crépuscule; l’espérance, alors même, ne nous abandonne que quand notre cœur a cessé de battre.
Mais le condamné qu’attend le dernier supplice peut être dans toute la force et toute la vigueur de l’âge, il peut avoir la plénitude de sa connaissance etcomme un surcroît de sensibilité ; pour lui a disparu tout espoir terrestre longtemps avant l’arrivée du bourreau. Qui peut calculer la durée, et apprécier les angoisses de sa clairvoyante agonie? La lecture de son arrêt est le commencement des douleurs; puis une nuit de souffrances physiques et morales avec la camisole de force . Un jour, peut-être une moitié de nuit encore de toutes ces tortures, et arrivent les exécuteurs des hautes-œuvres; et, au vestibule de l’échafaud, à la lueur de pâles flambeaux, commence et s’achève la toilette de cette victime toute vivante de la mort. Le jour ne semble poindre que pour éclairer le terrifiant appareil. Sous l’œil, sous l’étreinte de celui dont le nom seul inspire la répulsion et l’effroi, le patient s’achemine lentement vers le théâtre ignominieux où il va être exposé à l’avidité de tous les regards.
La sentence est lue à haute voix; puis succède un moment de morne silence! Comment rendre les détails du drame, intime, déchirant, qui s’achève dans l’âme du supplicié, et que ne révèlent que trop la contraction de son visage, de sa bouche, et une espèce de tressaillement du cou qui semble pressentir la hache du bourreau? Un froid glacé parcourt tout son corps, refoule le sang comme pour centraliser la chaleur et la sensibilité an cœur, qui se trouve en quelque sorte inondé des dernières amertumes de la vie, après s’en être saturé goutte à goutte.
Ainsi va finir cette existence maudite, violemment mais peut-être trop lentement encore tranchée par le fer .
Nous le demandons maintenant, si la religion n’apparraissait point là avec sa céleste influence , que ferait donc la loi? Ce qu’elle ferait? mais elle anticiperait sur l’enfer!... Le bourreau sur la terre remplirait l’office du démon!... Une fureur désespérée, la crainte de se dédire, si puissante dans ces êtres vaniteux et exaspérés, les empêcheraient de témoigner le moindre repentir. Impénitents affectés jusque sous le couteau vengeur, leur dernier soupir s’exhalerait en blasphème contre le ciel, et en insultante menace à la société ; sous le masque de l’assurance, mais en réalité frémissant en eux-mêmes, ils descendraient, damnés d’avance, dans le lieu de l’éternelle horreur.
«Quel est, a dit un grave et éloquent écrivain, le vice radical des législations pénales modernes? Elles frappent, elles punissent, sans s’inquiéter de savoir si le coupable accepte ou non sa peine, s’il reconnaît son tort, si sa volonté se range ou non à la volonté de la loi; elles agissent uniquement par voie de contrainte. La justice ne prend nul souci d’apparaître, à celui qu’elle atteint, sous d’autres traits que ceux de la force.»
En effet, la loi criminelle ne sait que punir; son bras de fer ne sait que frapper. Mais la religion cherche à amender le coupable, à lui inspirer le regret de son crime; elle vent lui en faire accepter la peine comme une expiation. La religion punit et console, punit et pardonne. Admirable contraste! ineffable compensation qui, par l’intermédiaire de son sacerdoce, concilie tout, et ce que la justice humaine a de plus rigoureux, et ce que le cœur humain a de plus tendre et de plus touchant.
Vous nous avez suivi sur le parcours de la voie douloureuse que nous n’avons que trop appris à connaître; vous nous avez vu près de ce coupable dévoué au glaive, sur le point de solder sa dette à la justice humaine et de subir la vindicte légale; il ne va bientôt plus relever que de la juridiction divine. D’indicibles souffrances vous ont été dévoilées! N’avez-vous pas pris quelque part à nos accablantes émotions? Pour nous, nous ne saurions trop le répéter, jamais, avant d’en avoir fait l’épreuve, nous n’aurions pu penser connaître des paroles pour une pareille situation, des paroles jaillissant du fond même de nos entrailles émues d’une dilection toute surnaturelle, et venant, sans effort, réveiller, raffermir, défendre de lui-même, arrêter sur les bords de la tentation, du découragement et du désespoir, le réprouvé social, couvert d’anathèmes et d’ignominies. Le Maître l’a dit, nous ne devons pas nous préoccuper de la forme ni de la matière de notre langage, car ici s’accomplissent toutes ses divines promesses. L’Esprit, qui souffle où il veut, place sur nos lèvres ces poroles d’à-propos si tendrement communicatives, d’une concision si pénétrante, et qui, au lieu de fiel et de vinaigre, apportent à celui qui est là, sous nos yeux, endurant tous les genres de tourments, une douceur dernière et comme une goutte de miel!
N’est-ce pas le même esprit qui nous inspire aussi ces prières qui montent vers Dieu en élans de l’âme, pour le conjurer d’avoir pitié de l’humiliation et du déchirement du pauvre délaissé ; de daigner, dans sa miséricorde infinie, faire accepter et faire souffrir, comme pénitence et comme satisfaction, à cette créature haletante d’angoisses, tout ce qu’elle éprouve d’ulcérant en elle et autour d’elle, afin que la peine du crime tourne à l’avantage du criminel... que son supplice soit une correction, une expiation, et non une damnation ?
Alors, en nous livrant à notre foi et à notre cœur, et ne séparant pas la justice de Dieu de sa miséricorde, nous nous prenons à espérer. Ne doivent-elles pas en effet faire naître l’espérance, ces consolantes pensées: Que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive; que l’œil de Dieu pénètre plus avant au fond des cœurs que nos faibles regards; qu’il distingue et soigne la plus faible étincelle de résurrection spirituelle; qu’il peut la rallumer de son souffle, et donner même à une larme cachée, mais repentante, le pouvoir de tout ranimer; qu’il peut enfin imprimer à la dernière volonté du mourant un mouvement salutaire et décisif, effet de l’infinie miséricorde à laquelle le temps et l’éternité appartiennent?
Tous ces prodiges d’inspiration, d’attendrissement, de confiance, qui s’opèrent en nous par le secours de la grâce divine, sont comme les fruits de la sainte paternité du prêtre que la religion nous confère. En effet, l’exercice de cette paternité, qui exige plus de foi et d’âme que de science et de génie, établit entre nous et l’enfant de notre adoption spirituelle, pour un nouvel ordre d’existence, des rapports et des liens plus forts, plus parfaits que ceux que produisent la nature et la société, et nous inspire un dévouement qui, ici-bas, n’a pas plus sa source que sa récompense.
Nous comprenons maintenant les sentiments dont était animé un saint prêtre qui remplissait habituellement ces pénibles fonctions. Un jour que, voulant récompenser son héroïque dévouement, le cardinal de Richelieu exigeait que cet homme de Dieu lui demandât quelque chose: «De meilleures planches à la charrette quand nous allons à l’échafaud, » lui répondit-il.