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Ce récit, nous le sentons, va réveiller les émotions les plus pénibles, mais, en même temps, les plus douces de notre vie.

Lorsque nous nous rappelons les tragiques et douloureuses scènes auxquelles nous avons assisté ; lorsque nous apparaît cette longue succession de malheureux expiant par la déportation, le bagne ou l’échafaud, les sophismes et les passions qui les avaient jetés dans de si fausses et si coupables voies; lorsque nous songeons que plusieurs d’entre eux avaient reçu du ciel de belles et de nobles facultés; qu’entourés de l’estime de leurs semblables, ils auraient pu accomplir une utile destinée, et que celte destinée a avorté dans le sang; qu’ils sont devenus de vils assassins; bien amères sont nos pensées, bien affligeantes sont nos réflexions! Mais à des jours et à des nuits de triste mémoire pour nous viennent se rattacher d’autres parties de ces drames lugubres toutes vivantes aussi dans nos souvenirs, et qui y apportent l’allégement et l’espérance.

En effet, toutes les fois que, chez ces individus en proie à une folie ne manquant pas de sophismes pour s’absoudre, commençait à se calmer le bouillonnement des mauvaises passions, mises en fermentation par des habitudes vicieuses, par des lectures excitantes, par des insinuations perfides, peut-être même par l’initiation à des sociétés où l’assassinat glorifié était accepté et juré sous la foi de serments terribles; alors, dans le triste et accablant loisir de la prison, au milieu de cruelles insomnies, seuls avec leur conscience et l’unique ami qui leur restait, un prêtre! nous avons eu le bonheur de les voir prêter l’oreille à de pieuses exhortations, changer peu à peu de sentiments, à mesure que la vérité morale et religieuse reprenait sur eux son salutaire ascendant.

Quand surtout, au milieu de cet appareil de terreur dont la justice humaine environne l’exécution de ses arrêts sur l’échafaud, presque tous ces hommes, naguère si vaniteusement criminels, manifestaient leur repentir par des paroles ou par des signes non équivoques, faisaient publiquement profession de la foi catholique, foulant ainsi aux pieds tout respect humain de secte et de parti; quelle émotion consolante pour notre ministère! et depuis, quelle réminiscence précieuse pour nous!

Enfin, après que grâce fut faite de la vie à quelques-uns de ces grands criminels; que la peine capitale prononcée contre eux fut commuée, soit en celle des travaux forcés, soit en un exil perpétuel dans de lointains pays, notre séparation n’eut-elle pas ses douceurs? Tous partirent dans des dispositions d’esprit et de cœur dont nous nous sommes plus d’une fois réjouis devant le Seigneur. Les lettres pleines d’effusion et de reconnaissance qu’ils nous adressèrent plus tard, les renseignements qui nous parvinrent sur la sincérité et la persévérance de leur repentir, renouvelèrent nos joies en réalisant nos vœux et nos espérances. Il se passait en nous quelque chose de semblable aux émotions d’une mère qui oublie le travail douloureux de l’enfantement et qui est toute au bonheur quand on lui dit qu’il lui est né un fils. N’est-ce pas à nous, qui avons charge d’âmes, que s’adressent ces belles paroles de Fénelon: Soyez pères, soyez mères!

La prison du Luxembourg sous le règne de Louis-Philippe: Impressions et souvenirs

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