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VIII

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Fragility: thy name is woman, a dit Shakespeare.

Depuis ce grand poète, il n’est point de romancier qui n’ait disserté à perte de vue sur la Femme, et, certes, nul moraliste patenté n’a rien découvert de plus profond que cet axiome d’Hamlet, résumant tout de cet être ondoyant et divers, et si terrible, et si charmant; tour à tour encensé, calomnié; hissé sur les nuages, ou traîné dans la boue.

Catherine était femme, et c’était ce que d’elle on pouvait dire de plus scientifique et de plus expérimental, en sa nature heureuse et droite, le bon dominait le mauvais.

Douée d’une intelligence rare, d’un cœur vrai, elle avait, comme beaucoup de femmes nées pour le bien, l’adorable faiblesse de caractère d’une enfant, et cette faiblesse même était, comme chez bien d’autres, sa principale grâce. Toujours prête aux enthousiasmes; mais sans raison pour les choses de la vie, son sens moral avait été faussé trop subtilement par sa mère, pour qu’elle éprouvât la moindre surprise d’un langage auquel elle était trop accoutumée.

Cependant, restée seule après ce terrible entretien, elle eut comme la vision nette d’une catastrophe de sa vie arrivée à son état aigu.

Elle devina tout de ce qui, depuis deux jours, se passait autour d’elle, et elle s’étonna de n’avoir point, dès le premier pas, pénétré là un complot. La rencontre fortuite au théâtre, et l’arrangement de ce dîner d’apparat extraordinaire, ne pouvaient plus lui laisser de doute sur un dessein prémédité de l’attirer dans une sorte de piège. La proposition catégorique de sa mère, appuyée d’une déclaration formelle du renvoi de l’enfant la laissa pourtant presque atterrée. Dans l’état de ses rapports avec son beau-père, elle savait trop que ce n’était point là une menace vaine.

En dépit de cette insouciance au jour le jour qui était le fond de ce caractère, n’écoutant guère que la fantaisie du moment, tout en se leurrant toujours par les résolutions les plus vraiment sages, toujours remises au lendemain; à cette heure de brusque réveil, face à face avec sa situation plus que précaire, il lui fallut bien enfin se demander ce qu’elle allait devenir.

Vivre elle et son enfant du peu qu’elle gagnait, n’ayant même plus cette ressource de dîner chez sa mère, il n’y fallait point songer… Eût-elle eu l’énergie du travail, l’obstacle se dressait devant elle de tous côtés.

Que faire? que tenter? Elle était sous le coup d’une expulsion pour n’avoir point encore payé son terme…

Instruite et pourvue de diplômes, dans ses moments lucides, elle avait pensé vaguement, parfois, à se faire institutrice dans quelque grande maison; mais c’était là une des ces résolutions passagères, par lesquelles elle trompait ses appréhensions, en se justifiant à elle-même cette vie d’insouciance étrange dont son caprice était la seule loi. Au fait et au prendre, elle savait bien qu’il y avait à ce projet héroïque, incompatible avec ses idées d’indépendance, l’impossibilité matérielle que lui créait la charge de son enfant.

Quoi qu’il en fût, cette fois, Catherine, se voyant avec terreur au pied du mur, eut une sorte d’effarement suLit. Sa première pensée fut un sentiment d’indignation et de colère contre cette hideuse combinaison de sa mère, déjà d’accord avec le Cambrelu.

Eh quoi! en était-elle donc là de sa vie gâchée avec l’acharnement d’une folle, qu’il ne lui restât plus d’autre ressource que de rouler au ruisseau comme une fille?.

Catherine n’avait certes rien d’une rigide vertu; mais bien qu’égarée par les principes faciles d’Ida Bonnard, le fond de son éducation, et sa nature artiste, développée au contact de son mari, se révoltaient à l’idée d’une aussi épouvantable chute. Il y avait là, pour son orgueil d’elle-même, un de ces coups cruels après lesquels il n’est plus d’illusion. Dans une détresse qui depuis sa séparation s’aggravait, chaque jour apportant une nouvelle gêne difficilement parée par la vente ou l’engagement au mont-de-piété du peu qu’elle possédait, comme tous les naufragés du sort, elle avait espéré quelque chance imprévue. Se pouvait-il qu’elle ne rencontrât point sur sa route une aide, une protection?…

Sans bien définir ce rêve, où son imagination déréglée allait même jusqu’à entrevoir une sorte d’aventure que son abandon et son dénuement justifiaient; comme toutes les femmes dévoyées, elle s’était parfois presque vaguement forgé cette facile chimère d’un roman qui recommencerait se vie, un de ces bonheurs libres, en dehors du monde. un amant enfin que, oubliant ses regrets et son mari, elle se reprendrait peut-être à aimer et qui, «riche pour deux, lui ferait partager son existence». Il n’est point de femme entretenue au mois, qui ne colore sa situation par quelque euphémisme à son usage particulier…

Mais Catherine n’avait jamais prévu la dégringolade brutale avec un Cambrelu, en véritable fille du métier.

Pourtant il est de ces coups de misère dont la rigueur produit des stupéfactions si soudaines, que l’instinct même ne sait plus s’y débattre. Il semblait à Catherine qu’elle était au fond d’un trou qui venait tout à coup de l’engloutir, elle et son enfant.

Qu’allait-il arriver, d’elle et de lui?.

Ce mot, qu’elle se répétait comme dans une hallucination, la ramenait à la même idée persistante que lui avait laissée sa mère en partant:

«Se vendre à Cambrelu. .»

Et peu à peu elle sentait, presque étonnée d’elle-même, qu’elle en venait à discuter cet affreux projet déjà concerté.

De quelque côté qu’elle essayât de fuir son oppression terrible, elle se heurtait à l’impossible.

Sa vie était murée.

Après tout, comme Ida le disait, n’était-elle pas bête?…

Vivre de misère, alors qu’elle n’avait qu’un mot à dire pour accepter une fortune qui s’offrait!

Et pourquoi?… Et pour qui ces inutiles scrupules d’un reste d’honnêteté dont nul ne lui tiendrait compte?…

N’était-elle pas déjà tombée dans l’estime du monde?…

La buveuse de perles

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