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IV

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M. Cambrelu avait loué la plus belle loge de face des premières. Quand l’ouvreuse y fit pénétrer les Bonnard, Ida ne put retenir un mouvement d’orgueil. Elle s’installa sur le devant, avec un certain fracas, entre Aglaé et Catherine, toutes deux rayonnantes. M. Bonnard, debout, se tenait gravement au second rang, promenant son regard sur l’orchestre; naturellement, ils étaient arrivés pour le lever de rideau, qu’ils écoutèrent avec l’attention la plus soutenue. Le premier entr’acte fut rempli des bavardages d’Aglaé, qui ne tarissait pas.

Le public commençait à affluer dans les loges et dans les baignoires, pour la grande pièce très en vogue et encore neuve.

Catherine s’amusait à contempler ce défilé d’élégantes. Ses airs de reine, empreints d’une grâce si juvénile, rehaussaient singulièrement la simplicité de sa toilette, les lorgnettes se braquaient sur elle, longuement. Fraîche, éclatante comme un bouquet de mai, elle se sentait en beauté et s’amusait de son triomphe avec un enjouement d’enfant, et Bonnard, enchanté de ce succès, le faisait remarquer à sa femme, qui se rengorgeait, toute fière.

Répandu dans tous les bas-fonds, il désignait, par leurs noms tout court, nombre de gens de banque et de bourse qui entraient et prenaient place.

–Tiens, voilà Craner. et Dutaux. et le petit Morin...

Les femmes, suivant ces indications, observaient les individus et donnaient leur opinion. M. Bonnard narrait quelque historiette, des détails d’affaires, des aventures plus ou moins étonnantes.

–Je l’ai connu sans le sou, celui-là, et, à la Bourse, en deux ans, il a gagné deux millions.

Les trois coups frappés pour la grande pièce interrompirent ces renseignements précieux. Au second entr’acte, des messieurs vinrent se poster à l’entrée de la galerie, pour mieux voir la belle Catherine.

–Ils reconnaissent peut-être la Buveuse de perles, murmura Bonnard.

Cetherine s’abandonnait franchement au plaisir et riait comme une coquette folle. Enfin, vers dix heures, après le second acte, Cambrelu apparut à l’entrée de la loge.

A sa vue, M. et madame Bonnard feignirent l’étonnement. Aglaé aligna vivement ses petits cheveux.

–Ah! monsieur Cambrelu! Comment c’est vous?... s’écria Ida.

Cambrelu salua, sans oser franchir le seuil de la loge.

–Je vous ai aperçu de l’orchestre, répondit-il s’adressant à Bonnard, et, justement, j’ai besoin de vous pour quelques recouvrements difficiles; ne manquez pas de venir me voir demain.

–Mais entrez donc, monsieur, dit l’engageante Ida.

–Oh! je craindrais de vous déranger.

Madame Bonnard eut naturellement raison de cette résistance timide. Cambrelu se laissa faire enfin, et s’assit derrière Catherine, enchanté de renouer connaissance, et affectant d’ailleurs de grands airs réservés, comme pour éloigner tout souvenir embarrassant de ses intentions un peu vives d’autrefois, qu’elle avait d’ailleurs ignorées.

Cependant, installé dans la loge, Cambrelu ne parla plus de partir. Au dernier entr’acte, il fit apporter des glaces, et offrit à chacune des trois femmes une jolie boîte de bonbons tout empaquetée de rubans roses ou bleus. Aglaé se croyait au ciel.

Tout en voilant ses galanteries sous des formes discrètes, M. Cambrelu outrait les plus exquises manières d’une façon lourde, exagérée, qui les tournait presque au comique.

Beau parleur, avec cette blague de loustic qui empaume toujours les naïfs, il tranchait avec aplomb sur tous les sujets, arts, théâtres, musique, d’après les racontars des journaux. Il appelait Ida «belle dame» et, naturellement, ne la tutoyait plus devant son mari.

Le minois chiffonné d’Aglaé eut quelques compliments; mais la fine mouche sentait trop où le frelon visait, et ne se méprenait point à ses détours de vol, à ses circuits plus ou moins habiles. Catherine écoutait assez indifférente, recevant le brutal encens avec cette mine un peu insouciante qui lui était un charme, répondant du bout des lèvres.

Au courant de la causerie, le marchand de guano ne manqua point de faire sonner sa richesse, ses chevaux, son hôtel. Il consulta même Bonnard sur quelques centaines de mille francs qui l’embarrassaient… ne sachant qu’en faire. Bonnard donna son avis.

–Enfin, nous causerons de tout cela demain: venez!

Mais, lorsqu’il fallut fixer l’heure de ce rendez-vous, il se trouva dans un grand embarras. Toute sa journée était prise par des conseils d’administration. Il avait de grandes. affaires par-dessus la tête, et ne serait libre qu’à sept heures.

–Eh bien, à sept heures! répliqua le beau-père de Catherine.

–Savez-vous? Pour plus de sûreté, venez dîner avec moi, ajouta le millionnaire, ça vaudra mieux.

–Très honoré!… murmura Bonnard.

–Mais je vous invite là, devant ces dames., reprit Cambrelu en ayant l’air de se raviser, et ce n’est guère poli. Si elles voulaient bien me faire l’honneur de se joindre à vous… sans cérémonie, en famille.

Ida accepta avec transport.

Catherine demeura hésitante; mais, sur un signe de sa mère, elle n’osa refuser formellement.

Enfin, la pièce achevée, on sortit. Arrivés sur le boulevard, Ida dit adieu à sa fille.

Catherine demeurait rue Laborde.

–Mais c’est très loin!… Et je réclame l’honneur de reconduire madame, s’écria Cambrelu, voici ma voiture.

Cette fois encore, Catherine essaya de se défendre, Ida lui poussa le coude, en faisant les gros yeux, tandis qu’Aglaé contemplait l’équipage à deux chevaux d’un air d’envie.

–Voyons, Catherine, dit madame Bonnard, profite de l’amabilité de M. Cambrelu… Les omnibus me font l’effet d’être au complet.

La jeune femme se décida, et prit place au fond du coupé.

Après un dernier signe protecteur aux Bonnard, Cambrelu monta près d’elle. Le valet de pied referma la portière, et regrimpa sur le siège.

Ils partirent.

Il fallait bien le reconnaître, le marchand de guano apportait quelque habileté dans son rôle de séducteur. Tout près de Catherine, dont la robe effleurait son genou, dans cette demi-obscurité qui faisait le mystère autour d’eux, loin de profiter de cette faveur du tête-à-tête, il marquait une sorte de déférence mêlée de timidité qui devait apaiser les craintes.

Après quelques paroles insignifiantes, quelques réflexions banales sur la pièce qu’on venait de voir jouer, et sur la composition de la salle, il se mit à l’interroger avec intérêt sur sa situation, qu’il feignait d’ignorer absolument.

–Je ne savais pas que vous étiez mariée!. dit-il. Je viens de l’apprendre par votre mère.

–Il y a cinq ans.

–Votre mari, que fait-il?...

–C’est un chimiste, il est en Amérique.

–En Amérique?… Oh! mais c’est presque un veuvage.

–Oui, répondit-elle, ne se souciant pas d’avouer sa séparation.

–Vous n’avez qu’un enfant?

–Oui, un petit garçon de quatre ans, qui reste chez ma mère.

–Ça doit vous ennuyer d’avoir votre mari si loin?

–Oui.

–Est-ce qu’il doit rester longtemps absent?

–Non.

La causerie se traîna ainsi jusqu’à la rue Laborde. Quand ils eurent atteint la maison de Catherine, Cambrelu descendit pour lui donner la main.

Puis, après qu’il eut sonné, la porte s’étant ouverte, il la quitta avec un grand salut respectueux.

La buveuse de perles

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