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VI

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Deux années avaient passé sur cette séparation. Catherine, encore mal revenue de son désespoir, prenant la vie au jour le jour, avec l’incurie d’un enfant, aimant et regrettant son mari, s’étourdissant sur son abandon.

Sans autre ressource que le maigre produit de ses leçons de piano, et vendant un à un ses bijoux, et tout ce qui avait quelque prix, elle –en était arrivée finalement à se débattre dans la plus âpre gêne, lorsque, le lendemain de la représentation des Variétés, sa mère tomba chez elle de grand matin avec l’enfant.

Catherine habitait, au cinquième étage, deux petites pièces, ornées des restes de son ancien mobilier de ménage: une chambre à coucher et une sorte de salon qu’un beau piano décorait presque à lui seul.

Mais, dans cette installation modeste, elle avait apporté son goût personnel, cet instinct d’élégance qui rehausse et pare la pauvreté même. Tout était propre, rangé, net, avec cette pointe de coquetterie féminine qui harmonise si bien le cadre à la personne.

La détresse pourtant se lisait à livre ouvert dans les moindres détails du logis. Au dossier du divan usé, un lé d’étoffe de soie, attaché avec des épingles, dissimulait mal les éraflures. Des vases à fleurs, vides, éveillaient une impression de nudité, d’abandon et de tristesse.

Catherine avait pris son enfant sur ses genoux et jouait avec lui en le couvrant de baisers.

–Tiens!… qu’est-ce que tu as donc fait de ta pendule? demanda Ida en regardant la cheminée.

–Je l’ai envoyée chez l’horloger, répondit Catherine embarrassée; elle n’allait plus!

–Oui, je la connais!... Ton horloger, c’est ma tante!.. Il fera chaud quand on la reverra!… Enfin!

–Mais ça n’est pas tout ça, reprit-elle tout à coup, je viens m’entendre avec toi pour aller ensemble au dîner de M. Cambrelu.

–Mais, maman.

–Oh! il n’y a pas de «mais maman!». Nous avons besoin de M. Cambrelu, et tu ne vas pas, sans motif, lui faire une malhonnêteté qui le blesserait; il retirerait ses affaires à M. Bonnard.

Ne voulant point entamer certaines discussions avec sa mère, Catherine céda.

Ida partit enchantée.

Le soir, à sept heures, la famille Bonnard arrivait rue de l’Université, chez le marchand de guano.

L’hôtel Cambrelu, monumental et superbe, ancienne demeure d’un haut financier du premier Empire et de la Restauration, était précédé d’une cour grandiose où s’ouvraient les communs. Le fiacre s’arrêta devant le large escalier de marbre d’un péristyle à colonnes.

Le cocher payé, M. Bonnard offrit le bras à Catherine pour monter les marches.

Quatre valets poudrés se tenaient dans l’antichambre.

Du premier coup d’œil, il était aisé de voir que le maître du lieu avait fait étalage de ses magnificences. Les gens en grande livrée, les lustres allumés, comme pour une réception de gala, tout révélait l’arrière-pensée de séduire, en éblouissant.

Ce faste de parvenu, où l’on sentait surtout l’ostentation d’une large dépense, tranchait étrangement avec les toilettes pauvres des convives traversant les salons d’apparat.

Ida, endimanchée, se redressait fièrement, comme si elle se fût déjà sentie chez elle au milieu de cette opulence. Aglaé, avec des mines curieuses et émerveillées, regardait tout, observait tout de cet œil en coulisse qui faisait dire, à l’atelier, qu’elle voyait par derrière sa tête. Catherine, au contraire, dans sa pauvre robe noire dessinant ses belles formes si élégantes et si pures, gardait sa grâce indifférente.

A son entrée, Cambrelu, ayant plus que jamais sanglé son gros ventre, s’inclina devant elle comme il l’eût fait devant une châsse.

–C’est aimable à vous, madame, lui dit-il, non sans quelque gaucherie dans son affectation grand genre, d’avoir bien voulu honorer de votre présence mon vieux nid de garçon.

Elle répondit quelques mots de politesse, et il la conduisit à un délicieux fauteuil, dont la broderie seule fut estimée cinq cents francs par Aglaé.

–Est-il possible, dit la fleuriste à l’oreille d’Ida, qu’il y ait des gens capables de se payer des sièges d’un pareil prix.

On s’assit en cercle, Les Bonnard pourtant étaient intimidés. La causerie s’engagea, d’abord un peu froide et guindée, comme dans le monde. Mais bientôt Aglaé, qui ne pouvait tenir en place, s’étant approchée avec envie d’une jardinière admirablement garnie:

–Ne vous gênez pas, lui dit Cambrelu, fourragez là dedans comme bon vous semble!… Ça vient de mes serres.

Elle obéit avec un petit cri de joie. Le millionnaire l’aida alors à composer des bouquets pour ces dames… Ida planta un camélia dans ses cheveux.

Enfin, un maître d’hôtel, grand, beau, correct, ouvrit solennellement la porte de la salle à manger, et, d’une voix forte et grave, laissa tomber ces mots:

–Monsieur est servi.

Toujours fidèle à son rôle de prudence, Cambrelu offrit cérémonieusement la main à madame Bonnard avec les façons de cour usitées au théâtre, Catherine suivit avec son beau-père, Aglaé fermant la marche.

La salle à manger était la grande merveille de l’hôtel Cambrelu. La table éblouissante resplendissait, surchargée des pièces d’orfèvrerie pesantes d’un surtout célèbre de Clodion, représentant «le triomphe de Vénus». Le service de sèvres, les cristaux scintillants parmi les fleurs. Ce fut un coup d’œil magique.

On prit place.

Le menu, encadré dans de petits passe-partout d’or, parut fabuleux aux Bonnard. Ils commencèrent alors une de ces fêtes du ventre dont on garde l’éternel souvenir. Cette chère fine, ces vins d’amateur les jetèrent bientôt dans une extase béate.

Ils mangeaient et buvaient à surprendre, presque à inquiéter. Comme par condescendance, le délicat amphitryon, les laissant en colloque avec leurs assiettes, parlait à Catherine, placée à sa gauche.

Quoique la fille d’Ida fût une nature presque supérieure, très certainement cette atmosphère de luxe caressait en elle ses instincts d’élégance. Elle se sentait bien devant cette table fastueusement ornée; sous la profusion des lumières, ses yeux ne rencontraient que de belles choses. Ravie comme une enfant, elle souriait doucement et répondait à Cambrelu de sa voix chantante.

La causerie était indifférente, touchant à tout.

Aglaé buvait du champagne en sorbet avec des délectations drôles. La gêne fut enfin rompue et la gaieté succéda aux affectations de tenue et de poses, que la présence du maître d’hôtel et des gens avait entretenues jusque-là. Au dessert, les têtes montées, Cambrelu porta un toast à «la Buveuse de perles», qui fut accueilli par des hourrahs.

Ida, devenue très bavarde, avait des attendrissements, des abandons où elle laissait déborder toutes les tendresses de son âme de mère. En cet instant surtout, elle rappelait la haute naissance de Catherine… Puis sa joie se fondit tout à coup dans les regrets, les espérances, les conseils; tout cela se mêlait dans un langage diffus, accompagné de gestes absolument désordonnés.

Pauvre enfant! cette petite robe noire faisait mal à voir… Quand il y avait des créatures de rien qui se promenaient dans des robes de cinq mille francs et plus! Elle, à l’âge de sa fille, elle avait son palais à Naples. Et la pendule de Catherine était au mont-de-piété. Et pourtant, si elle voulait!… Mais tout le monde n’a pas de raison. Les parents sont souvent bien malheureux!… Avec l’éducation d’une princesse du sang, la fichue bête avait voulu se marier… Et elle restait avec un enfant sur les bras, n’ayant rien que ses leçons de piano… Elle! la fille d’un lord!…

Ida soupirait, larmoyait presque, tout en lampant au hasard dans un des huit verres placés devant elle.

–Ah! ajouta-t-elle, à vingt-quatre ans, il fallait me voir, moi! Et mes voitures et mes chevaux, et des toilettes, et des bijoux!… Mais j’avais su me conduire, voilà!...

A ces grands souvenirs de sa femme, Bonnard se rengorgeait tout pensif. Aglaé écoutait, approuvant de la tête, son regard allant de Catherine à Cambrelu, dont elle avait saisi le manège.

Quant à la fille du lord, bien qu’accoutumée à ces discours de sa mère, elle restait embarrassée et froissée, son beau front rougissant à ces remontrances singulières.

Mais Cambrelu intervint bientôt pour prendre sa défense.

–Voyons! voyons! dit-il, ne faites pas de reproches à madame votre fille. Eh! mon Dieu, il faut respecter tous les préjugés!.. C’est les romans à grands tralala qui entretiennent ces bêtes d’idées!.. Comme si, dans le monde, ça avait la moindre importance pour une femme, ou pour une jeune fille, de prendre un amant. Ça se fait dans toutes les familles!.. Et les auteurs vous inventent des histoires sur une chose aussi simple!..

–Si ça ne fait pas suer! exclama Ida. Ah! c’est vous, monsieur Cambrelu, qui auriez été un bon mari!… Et que madame votre épouse aurait pu se dire heureuse!.. Vous auriez certainement inculqué ces bons principes-là à mademoiselle votre fille, vous!... Tandis que moi.

–Allons, allons, reprit Cambrelu acceptant ce compliment d’un air paterne, rien n’est encore perdu pour madame Surville, et ce n’est pas à son âge qu’il faut déjà désespérer.

Ida, réconfortée par cette assurance, se décida à s’apaiser. Elle but un verre de château-iquem qui changea le cours de ses idées, et elle redoubla ses effusions envers son aimable hôte.

On passa au salon pour le café. Lorsqu’il fut servi, Cambrelu donna l’ordre aux domestiques de ne point enlever les liqueurs; après quoi, la soirée commença au hasard des émotions.

Ida Bonnard, avec l’idée fixe de ménager à sa fille un tête-à-tête galant, allait s’asseoir à l’écart, de place en place, appelant Aglaé et sou mari, disant sans plus d’adresse:

–Laissez-les donc causer, ces enfants!

Enfin, à un moment, Cambrelu pria Catherine de se mettre au piano. Il assura qu’il était fou de musique. Heureuse de cette diversion, elle se leva et joua une fantaisie de Chopin. Sans être une virtuose de concert, elle avait un talent fait surtout d’expression et de grâce. Cambrelu paraissait sous le charme, dodelinant de la tête, et battant la mesure à faux.

Quand elle eut achevé, il la complimenta chaleureusement.

–Mais vous, vous chantez, monsieur Cambrelu, dit Ida.

–Bah! je chantonne, répondit-il modestement.

–Oh! vous avez une si belle voix.

Cambrelu se laissa prier, comme il convenait. Mais. cédant enfin aux insistances pressantes des Bonnard, il feignit de chercher dans un tas de morceaux, en prit un qu’il plaça sur le pupitre, devant Catherine, pour qu’elle l’accompagnât, Puis, s’étant de nouveau excusé, il commença en grasseyant horriblement la romance de la Favorite:

Pour tant d’amour, ne soyez pas ingrate.

Dès les premiers sons, ce fut une surprise étrange. Comme il n’avait aucune notion de musique, la pauvre Catherine avait une peine infinie pour suivre ce rythme décousu; malgré le malaise qu’elle éprouvait d’être là, elle était forcée de se pincer les lèvres pour ne pas rire.

A un moment surtout, son regard s’étant levé, elle aperçut le roi Alphonse mimant des expressions de physionomie, et la foudroyant d’un air fascinateur, la main sur son gilet, la bouche en cœur et les yeux tout ronds. Elle retrouva pourtant assez de sang-froid pour le complimenter.

Ida se pâmait, et Bonnard applaudissait à tout rompre. Douée de ce sens parisien qui saisit si bien le ridicule, Aglaé étouffait dans son mouchoir. Cambrelu, enchanté, convaincu de son triomphe, renouvela l’épreuve et choisit pour second morceau le Madrigal de Gounod, qui était son cheval de bataille:

Déesse ou femme, ange des ci eux.

Ce fut le dernier coup…

Cette voix terne et falotte sortant de ce gros ventre, et accompagnée de gestes tendres, était d’un effet inénarrable. Aglaé se roulait… Puis, succéda une chansonnette comique… c’était à croire qu’il ne s’arrêterait plus.

L’heure de la retraite ayant enfin sonné, on quitta le piano. Il était plus de minuit. Cambrelu, qui n’avait soufflé mot de ses soi-disant recouvrements, emmena un instant, dans un coin du salon, Bonnard, lequel lui avait envoyé, le matin, le contrat pour l’achat de la Buveuse de perles.

Cambrelu le lui rendit tout signé.

–J’ai fait atteler pour vous reconduire tous, dit-il à Ida, qui mettait son chapeau.

Puis il remercia particulièrement Catherine de la faveur qu’elle avait bien voulu lui accorder, et ajouta avec chaleur, sur un ton déclamatoire plein d’intentions:

–Madame, rappelez-vous que vous avez un ami, sur lequel vous pouvez compter, en toute circonstance.

–Ça marche! ça marche! dit Ida à son mari comme ils descendaient le perron.

–Ah! elle n’a pas l’air de s’y prêter beaucoup.., répondit-il en secouant la tête.

–Bon, faudra voir, je suis là, ajouta-t-elle.

Dès cette heure, fut posée, pour eux, la grande affaire Cambrelu.

La buveuse de perles

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