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VII

Table des matières

En dépit d’une nuit lourde, et d’une indigestion prévue qui avait affecté tous les Bonnard, rue de Lancry, le lendemain matin à neuf heures, Ida accourait chez sa fille.

Elle avait pris pour cette circonstance un air rêche et compassé.

–Tu n’as pas amené le petit? lui demanda Catherine.

–Non, j’ai des courses à faire, il m’aurai gênée. Et puis ce n’est pas tout ça, nous avons à causer.

–Qu’arrive-t-il?

–Il arrive qu’il est temps de prendre un parti!.. Je viens te dire que M. Bonnard trouve que voilà assez longtemps que nous faisons des dépenses qui ne nous regardent pas, et qu’il ne veut plus garder l’enfant chez nous. Ainsi il faut que tu t’arranges pour le reprendre avec toi.

–Tu me le rends? Mais comment ferai-je pour mes leçons?

–Ça, ce n’est pas notre affaire!.. Comme on dit: «Chacun pour soi!..» Tu n’as qu’à t’entendre avec ta femme de ménage, ou à te procurer une domestique.

–Une domestique!.. Et comment pourrais-je la payer?.. Tu sais bien que j’arrive avec beaucoup de peine à vivre toute seule des cent trente francs que je gagne par mois, avec mes deux pensions, et mes élèves en ville.

–Qu’est-ce que tu veux que je te dise?. Ce n’est pas notre faute si tu ne sais point t’arranger… Tu as voulu te marier, n’est-ce pas?... Et Dieu sait si j’en ai pleuré toutes les larmes de mon corps!… Enfin, je suis ta mère, et tu peux compter que je t’aimerai toujours, malgré tout. Mais, pour le moment, M. Bonnard ne veut plus. Nous avons aussi tout juste pour nous.... C’est son droit, bien sûr!.. Surtout quand il avait compté que tu ne pouvais pas manquer d’enrichir ta mère, avec l’éducation que tu avais reçue, et qui devait nous donner des satisfactions. Et il se trouve au contraire que c’est nous qui sommes obligés de t’aider. Pour un honnête homme c’est dur!. Et, s’il ne savait pas tout ce que j’ai fait, et que tu n’as jamais voulu m’écouter, il pourrait dire que je l’ai trompé en l’épousant. Le pauvre homme, il ne me le reproche pas!... Mais voilà dans quelle fausse situation tu as mis ta mère.

Catherine écoutait, accablée, comme dans un mauvais rêve.

–Voyons, dit-elle anxieuse, maman, est-ce que c’est sérieux, ce que tu me dis?

–Oh! ma chère, il n’y a même pas à y revenir.

C’était là un coup terrible contre lequel l’infortunée Catherine se sentait impuissante à lutter, à réagir. Que faire?. Elle savait qu’elle n’avait rien à espérer de la résolution de son beau-père, que rien ne la pourrait fléchir, que toute instance serait inutile.

–Dame, je comprends que c’est triste, reprit Ida. Mais qu’est-ce que tu veux! tu n’as pas de raison. A ta place, il n’y a pas une femme qui ne saurait se retourner. Je ne te parle pas du chagrin de ta mère de voir que tu as vendu ta pendule… Et tout va sans aller… Et puis qu’est-ce que tu deviendras?.. Je te le demande.

Pendant un instant encore, madame Bonnard s’appliqua à démontrer toute l’horreur de la situation. Pas un point noir qui ne fût signalé… Au bout, enfin, de son rouleau de plaintes:

–En attendant, continua-t-elle, il va falloir payer ton terme… Je sais bien que tu n’as qu’à l’emprunter à M. Cambrelu, qui t’a dit hier de compter sur lui comme sur un ami.

Elle s’arrêta sur ces mots. Catherine ne répondit pas. Madame Bonnard, ayant jeté son amorce, poussa un profond soupir et, avec cette superbe inconscience de mère de théâtre, issue d’une loge de portière, elle partit dans les aperçus de sa philosophie toute particulière; pour parler enfin raison.

–Ah! reprit-elle, si tu avais voulu dans le temps! c’est lui, Cambrelu, qui t’en aurait faitune, de position!… Un homme qui n’a rien à lui quand il aime une femme, et qui a des mille et des cents à la Banque de France… Mais qu’est-ce que tu veux, ma pauvre fille, tu n’as pas écouté ta mère… Certainement que ce n’est pas un homme à monter l’imagination. Il n’est plus jeune, mais il n’y a que les bêtes qui regardent à ces choses-là… Et qu’est-ce que l’on pourrait lui reprocher? Quand un homme a des manières comme celles qu’il avait hier avec toi, c’est bien là qu’on peut être sûr qu’il a tout ce qu’il faut pour rendre une femme heureuse… Car, il n’y a pas à dire, on ne saurait pas en faire plus pour une princesse… et tout cela certainement parce qu’il te considère comme la fille d’un lord. M. Bonnard en était aussi fier que moi, et il me l’a bien dit dans la voiture: «Ah! ce n’est pas mon Aglaé qui aurait été si bête!..» Moi, j’ai été forcée d’avaler ce reproche-là.

Catherine ne répondant toujours rien, Ida jugea que le moment était venu d’en arriver à démasquer son attaque. Et, prenant la main de sa fille, comme pour user d’une plus tendre persuasion:

–Voyons, ma petite, tu sais si je suis une bonne mère, n’est-ce pas?... Eh bien, toute cette belle fortune-là pourrait encore se réaliser. Ça ne dépend que de toi… Il n’y a pas à lever les épaules… Je sais ce que je tedis.–Puisqu’il faut te mettre les points sur les i, si je suis venue ce matin, c’est que M. Cambrelu m’a parlé: voilà la chose.

–Il t’a parlé de moi?

Ida eut un regard de mère rayonnante et ravie d’apporter une heureuse surprise. Précipitant cette fois ses paroles coup sur coup:

–Il a vu ton portrait à l’Exposition, il est amoureux fou de toi. Il offre de te faire une position comme il n’y en a pas une à Paris. Et, tu sais, ça, ce n’est pas du vent!.. C’est à moi-même que, en homme délicat et en homme comme il faut, il est venu faire ses propositions. Si tu n’es pas une bête, il ne tient qu’à toi de rouler équipage, et d’avoir ton hôtel au lieu de droguer la faim.

» D’abord, reprit-elle, je te le dis: tu n’a plus à compter sur nous. Et, quand tu auras fini de vendre ce qui te reste, tant pis pour toi!. Là-dessus, je pense que, comme tu aimes ton enfant, tu auras cette fois assez de raison pour ne pas refuser de lui faire une fortune; parce que, vois-tu, il n’y a que ça!. Ne me réponds pas. Je me sauve pour te laisser à tes réflexions. Si tu aimes ta mère, tu n’as plus qu’à le prouver.

Et, sur ces mots, prononcés d’un ton digne, elle se leva et partit.

La buveuse de perles

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