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III

Table des matières

Ida Bonnard s’en retourna les pieds dans la crotte et la tête dans le ciel, grisée d’espérances et de rêves. La Buveuse de Perles, en lui donnant en quelque sorte une vision plus nette de la beauté de sa fille, dégagée de la vie d’expédients et de gêne qui voilait son éclat, avait monté son imagination non moins que celle de M. Cambrelu. Ainsi mise au point dans ses habits de reine, l’image si fidèlement reflétée lui était apparue rayonnante de toute sa gloire. Son orgueil de mère triomphait, même aux yeux de M. Bonnard.

Comme elle arrivait chez elle, le portier lui remit une enveloppe qui contenait le coupon de loge déjà loué pour les Variétés. A six heures, l’homme d’affaires revint au logis; à son air, elle devina que les choses marchaient bien.

–C’est fait?... demanda-t-elle.

–J’ai le traité de vente en blanc dans ma poche, répondit M. Bonnard. Vingt-cinq mille francs. Mais, comme le peintre ne demande pas mieux que de se faire coter le plus cher possible, il est convenu que nous porterons vingt-huit mille, et que les trois mille de surplus seront pour moi.

–Mais Cambrelu t’avait dit qu’il irait jusqu’à trente mille.

–Bête, il faut bien que j’aie l’air d’avoir marchandé pour assurer l’affaire. A trente mille, Cambrelu aurait peut-être tergiversé, et Blumenthal nous l’enlevait demain.

–Et, à lui, Blumenthal?. qu’est-ce que tu lui diras?

–Je viens de chez lui pour lui annoncer que je suis arrivé trop tard avec ses malheureux vingt mille, et que le tableau était déjà vendu. J’ai tout entendu avec le peintre, qui est enchanté de le coller avec une offre d’amateur, de dix mille au-dessus de la sienne. Il a fait un nez!

–Là-dessus, je vais lui compter vingt francs de vacation pour ma course.

–Et Catherine?... dans tout cela, as-tu essayé de savoir ce qu’il y a?. demanda Ida, abordant un tout autre ordre d’idées, qu’il comprit au premier mot.

–Oh! il n’y a rien de rien! car tu penses si j’ai fait causer mon artiste, qui ne pouvait se défier de ma curiosité. J’ai demandé indifféremment, comme pour l’amateur, si c’était le portrait d’une personne connue. Il m’a dit quec’était une madame Catherine Surville, une amie de sa femme, et qui donne des leçons de piano à ses enfants.

Ida eut un soupir d’allègement. A son tour, elle racontait sa bonne nouvelle du côté de Cambrelu, et la partie de théâtre projetée, quand un coup de sonnette retentit.

–La voilà! dit-elle; motus!

Bien qu’elle n’apparût point dans ses atours de déesse, la fille d’Ida Bonnard, en son simple costume de mortelle, avait bien, en effet, cette sorte de grâce étrange que sa mère estimait comme le signe révélateur d’une origine illustre; avec sa robe de laine noire unie à col blanc rabattu et sa mante sans ornements, qui dénonçait la pauvreté, elle avait encore vraiment l’air de descendre d’un nuage.

Grande, souple, des mouvements d’une naturelle harmonie mêlée d’indolence imprimaient à sa démarche une rare distinction. Ses grands yeux noirs veloutés, aux regards à la fois profonds et naïfs, son teint de jeune lady, dont pas un grain de poudre de riz ne salissait la fraîcheur printanière, animaient l’expression de son visage. Il y avait en elle de la Phryné et de l’enfant...

Telle qu’elle était enfin, enveloppée de son attrait bizarre, il était impossible, en la voyant, de ne point ressentir une singulière impression.

Sans s’apercevoir d’un accueil de tendresses inusitées qui eussent pu dénoncer des préoccupations maternelles, non plus que de certaines avances au contraire plus ouvertes de son beau-père, à l’ordinaire peu engageant, elle embrassa son enfant, qui était accouru se pendre à son cou; puis, voyant le couvert mis, elle détacha lentement son voile et défit son chapeau.

–Je suis en retard. dit-elle d’une voix qui semblait un timbre d’or.

Cette voix avait un éclat juvénile d’une pénétration étrange, une plénitude de son à la fois douce et vibrante, d’un charme tout particulier.

Ida Bonnard servit en hâte le potage, oubliant ce jour-là son antienne sur le renchérissement de tout, annonçant même un extra pour sa fête de naissance.

Les premiers moments du dîner furent près que silencieux, comme une préparation d’escarmouche.

Du haut de son air de princesse, égarée par hasard dans un milieu bourgeois, Catherine mangeait avec cet appétit de vingt ans qui dédaigne les simagrées, et, malgré certain sentiment d’ennui dont, fort souvent, elle avait à se défendre au contact de sa famille, une sorte d’atmosphère plus bienveillante semblait, par aventure, animer pour elle cette chambre froide et nue,

La nouvelle qu’on allait au théâtre l’avait ravie, comme une aubaine rare, en son pauvre train d’existence.

A un moment, interrompant tout à coup le courant de gaieté, M. Bonnard, posant sa fourchette, parut se ressouvenir d’un événement curieux.

–Ah! à propos, s’écria-t-il en s’adressant à sa belle-fille: Catherine, tu ne nous dis pas que l’on a fait de toi un superbe portrait!

–Oh! ce n’est pas là une nouvelle bien intéressante, répondit-elle avec nonchalance.

–Comment! pas intéressante?.. mais il est admirable! Je l’ai vu à l’Exposition. où j’ai mené ta mère aujourd’hui.

Au ton d’amabilité de son beau-père, Catherine lui jeta un regard défiant.

–Ah! tu l’as vu, maman?. reprit-elle. Le trouves-tu bien?

–Pardi! c’est d’une ressemblance. ça crève les yeux.–

–Oui, je regrette même que l’on me reconnaisse trop.

–Merci, au contraire, ça ne peut que te mettre en vue.

–Oui; mais mes leçons?

–Bah! qu’est-ce que cela y fait? exclama Bonnard.

–Ah çà! dis donc, insinua Ida, comment donc est-il arrivé que tu as posé pour ce tableau?

Catherine rougit jusqu’aux oreilles.

–Parce que je connais la femme du peintre. Il m’a demandé cela comme un service.

–Ce service-là a dû te coûter pas mal de dérangements. Pour toi, qui es si avare de ton temps Catherine devina la pensée de sa mère.

–Oh! maman, ne va pas chercher si loin, dit-elle résolument. Puisque tu veux que je te le confesse, sachant que j’étais gênée pour mon terme, il m’a offert de me donner dix francs par séance. Et j’ai accepté; voilà tout.

Ce triste aveu de misère aiguë, bien qu’il parût favorable à ses projets, blessa l’ancienne danseuse au plus vif de son orgueil.

–Alors, c’est tout uniment comme modèle que tu as posé?. s’écria-t-elle d’un ton pincé.

–Pour quoi donc aurais-tu préféré que ce fût?. répondit Catherine en la regardant dans les yeux.

–Allons, allons, laisse-la tranquille! reprit Bonnard intervenant. Elle a fait ce qu’elle a voulu. Nous allons au théâtre, ne nous chamaillons pas!

–Un journaliste m’a donné une belle loge de première, il s’agit de se requinquer pour y faire honneur.

A sept heures un quart, reparut Aglaé, sortant de son atelier. A l’annohce de cette fête, elle ne dîna pas, pour être plus tôt prête.

La buveuse de perles

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