Читать книгу D'Archangel au golfe Persique, aventures de cinquante Français en Perse - Émile Zavie - Страница 16

Оглавление

I

Table des matières

L’ARRIVÉE A TIFLIS

Juillet 1917.

LA gare est vaste, située sur une hauteur d’où l’on aperçoit une ville qui descend, des maisons en terrasses, des dômes blancs, des clochers... Près du square, une pouilleuse population assise qui présente, en plein air, des petits étalages de tomates, de poires vertes, de concombres. On ne remarque d’abord que les capotes grises des soldats. Ils vont pesamment à travers la foule. En passant, sans le vouloir, on les heurte. Ils ne bougent pas, ils ne se retournent même pas. Quelques-uns sont couchés sur le chemin. Il faut les enjamber. Une chaleur lourde accable ce peuple somnolent.

Nous restons là, à attendre des ordres, comme toujours, car, bien entendu, personne n’est venu à la gare pour nous recevoir, pas plus ici qu’à Moscou, qu’à Archangel... Les autorités russes, défaillantes devant la Révolution qui s’affirme, nous ignorent, puisque nul ne les reconnaît. Cependant un Français, officier du génie qui se trouve là, peut-être par hasard, s’étonne de nous voir en casque de tranchée, le revolver sur le flanc et chaudement habillés avec des effets de drap jaune.

— Mes pauvres amis! il vous faudrait des vêtements de toile légers, et un brassard de la Croix-Rouge. Ces pauvres Russes vous prendront pour des Allemands!...

Pour nous aider à prendre patience, un général russe nous aborde. Il a reconnu des Français. Il est tout heureux de nous parler.

— Ces gens que vous voyez, ce ne sont pas des soldats. Ils n’ont que l’uniforme... Maintenant, c’est le désordre. Un général n’a pas le droit de punir. Il doit en référer au comité des soldats qui déclare: «Oui, ce citoyen mérite une petite réprimande...» Ce sont les comités qui décident de l’offensive et de la retraite...

Un colonel, en barbiche blanche, a, de son côté, entrepris quelques-uns de nos camarades:

— Nous n’avons plus le droit de nous réunir au-dessus de cinq personnes, de porter des armes, des épées, de nous saluer entre nous, d’exiger le salut d’un inférieur, et maintenant il est question de donner aux soldats la même solde qu’aux officiers...

Ces aveux puérils sont bien une des choses qui m’amusent le plus.

— Ces mêmes officiers, observe Marcel Benoit, l’année dernière, à Moscou et dans les grandes villes, cravachaient au visage des Français envoyés comme nous, en Russie, qui, ignorant des hiérarchies russes, ne saluaient pas assez vite leurs épaulettes tressées...

Leurs plaintes d’aujourd’hui n’en sont que plus comiques.

Enfin voici des ordres:

— Vous serez logés dans une caserne très aérée, l’ancienne maison des Pages. C’est un hôpital russe où il y a quelques infirmiers et beaucoup de dames... Il vous est recommandé de n’avoir aucune relation avec les infirmières. Il faudra tenir les portes de votre chambre fermées, parce que vous attraperiez de graves maladies...

C’est bien simple, mais il fallait le savoir: nous sommes dans un pays où les portes doivent toujours être fermées.

L’auto qui nous emmène descend à toute allure, rebondit sur les pavés des rues inclinées, que des acacias bordent de chaque côté. Il fait chaud. Une longue avenue qui est le grand boulevard de Tiflis, les grilles d’un jardin public, encore un jardin où des cyprès se dressent, et enfin une porte cochère. Des infirmières en coiffe blanche nous attendent... Il y en a sur le seuil de la porte ombragée d’acacias et dans le parloir-réfectoire où nous sommes introduits. La plupart de ces dames ont des cheveux courts. Quelques-unes montrent une tête rasée entièrement.

Comme repas, la substantielle soupe russe où l’on pêche des herbes, du bouilli, des pommes de terre, du riz, du blé, des tomates; le «rousky-cachat» (de l’orge pilé avec de la graisse).

— C’est très nourrissant assure un officier d’intendance russe. Je ne sais si les Français le digéreront...

— Ce doit être très nourrissant. Si jamais je fais de l’élevage, je me souviendrai de la formule, remarque le Captain.

Une dame nous apporte d’énormes cuillères en bois, un arrosoir d’eau chaude, une théière de thé concentré. Du pain noir, des boulettes de viande, du beurre et du fromage de chèvre complètent notre déjeuner.

Les portions de viande sont constituées par deux ou trois morceaux de bœuf bouilli réunis par une baguette de bois. Cette viande n’a pas d’autre goût que celui laissé par la résine...

Soudain, la jeune femme russe qui préside à nos repas, s’aperçoit que quelques Français jettent par terre les petits bâtons qui maintiennent les portions de bœuf.

— Il ne faut pas, dit-elle. Vous pouvez les sucer tant que vous voudrez, mais ne les jetez pas: ils serviront une autre fois.

Cet après-midi, nous allons devant nous à la découverte de la ville... Nous suivons la grande avenue — la «Golovinsky-prospect». — Des tramways découverts glissent, des voitures que conduisent des cochers en grandes lévites, les classiques cochers russes. Des officiers, la taille serrée, font sonner leurs éperons, et tant de femmes, si brunes, plutôt petites, avec de grands yeux au reflet doré... Il y en a de blondes, d’un joli blond, mais surtout des Arméniennes, des Circassiennes aux cheveux noirs. En corsage blanc, les seins apparents, elles portent des jupes qui s’arrêtent un peu au-dessus des genoux, selon la mode de Paris. Du moins, elles le croient. Les femmes, a-t-on dit, n’oublieront jamais les années de la Grande Guerre: c’est l’époque où il leur fut enfin permis de se déguiser en petites filles... Les dames de Tiflis ne s’en privent point. Elles ne sont pas très élégantes, il faut bien le reconnaître. Elles ont à peu près toutes un costume tailleur établi sur le même modèle, et lorsqu’elles se mêlent d’arborer des couleurs opposées, c’est à pleurer... Elles marchent mal, ou, pour mieux dire, elles ne savent pas marcher et n’ont pas l’air de se sentir en équilibre sur leurs hauts talons Louis XV.

Nous descendons vers la vieille ville, par les petites rues où l’acacia pousse entre les pavés, le long des boutiques en sous-sol, des épiceries qui sentent le hareng et des cordonneries parfumées au cuir humide... On croise de vieux Arméniens, des Russes vêtus de la chemisette à fleurs, des dames géorgiennes au bonnet carré, à la robe rigide, des Persans en lévites, des portefaix et des porteurs d’eau, et des ânes, par bandes, qui transportent du bois, du charbon ou des pastèques. Des Tcherkesses, un poignard sur l’abdomen, se dressent dans leurs capotes formant jupes. Ils sont fiers de leurs bottes, de leurs bonnets d’astrakan, de leurs armes d’argent niellé. On les sent heureux, ces Circassiens, d’être déguisés en officiers. Fonctionnaires ou soldats, ils adorent l’uniforme, le salut, la parade, les décorations, les sabres recourbés et les éperons sonnants.

Et puis, à l’ombre des thuyas, voici encore des «dames», en voiles noirs de religieuse, ou bien, tout habillées de blanc, la croix rouge sur le sein gauche. On les prendrait vraiment pour des sœurs de charité, comme elles se nomment, n’étaient leurs jupes si courtes et les jambes qu’elles découvrent facilement, comme pour affirmer encore leur ressemblance avec de jolies gravures licencieuses.

D'Archangel au golfe Persique, aventures de cinquante Français en Perse

Подняться наверх