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II

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YVAN YVANOVITCH LE MAXIMALISTE

DES glaçons bondissent sur la mer de métal, bleue jusqu’ à l’horizon... Il fait froid. Nous nous promenons sur la passerelle, Marcel Benoit et moi, lorsque le «célèbre » Y van Y vanovitch nous rencontre et s’arrête. Après les compliments d’usage il nous demande:

— Vous allez en Russie? Et quoi faire?

Il parle lentement, avec correction. Il n’aime pas les Anglais que nous évoquons par hasard.

— Ce sont des impérialistes.

Cette raison lui suffit. Les Anglais sont jugés. Il en arrive à ce qui le préoccupe.

— On ne vous connaît pas en Russie. Il n’y a pas un homme sur dix pris au hasard, où vous voudrez, qui sache que vous êtes nos alliés. Qu’allez-vous faire là-bas? On vous ignore... Vos drapeaux ne flottaient jamais à côté de ceux de l’Empire. On n’aurait pas osé associer la Sainte Russie à la République des Français. Est-ce qu’on se compromet avec un usurier? Il y a bien des choses que vous ignorez, je vois. Le parti tsar était allemand. Quant à l’autre, il n’est pas avec vous, car vous étiez contre lui... Vous ne savez pas? Décidément, vous êtes mal renseignés en France.

«Le mouvement révolutionnaire de 1905, notre mouvement, fut noyé dans le sang, grâce à vous. L’Empire se sentait perdu. Il l’était. Il se demandait comment il paierait ses policiers et ses bureaucrates. L’emprunt que l’on fit en France, en 1905, fut largement couvert et recouvert et fit échouer dans le sang notre essai d’indépendance... Vous ne vous rappelez pas, Monsieur, la lettre de Gorki, de Maxime Gorki à la grande France sur les yeux de qui il envoyait son crachat de sang et de fiel, parce que la main vénale de ce pays avait fermé à tout un peuple la route vers la liberté ?...

Le piston des machines, la sirène dans la brume qui commence interrompent souvent le conférencier...

— Vous oubliez, Monsieur, que, si cette Révolution nuit à vos entreprises, en ce moment, c’est vous qui l’avez retardée de dix ans! Et vous voudriez que nous gardions pour ceux qui furent les alliés du tsar et les complices de nos oppresseurs une éternelle reconnaissance!...

«Vous venez nous dire: «Respectez vos engagements!

«Souvenez-vous de la parole donnée! Luttez avec nous

«contre les Germains et le capitalisme germain!»

«Quels engagements! Quelle parole? Quel capitalisme? La parole vous fut donnée par Nicolas Romanoff, qui vous trahissait en secret, et par Alexandra, qui était allemande... Naïfs ou rusés êtes-vous? Et quel capitalisme, je prie? Le capital français nous enfonça dans le sang! Vous voudriez maintenant que nous allions continuer une guerre qui vous devient favorable, une guerre qui vous assurera vos conquêtes au Maroc, en Algérie et en Alsace, une guerre qui mettra les Germains en dehors, cependant qu’ils vous offrent à tous une paix acceptable!

«Vous criez à notre trahison! Nous vous avons toujours avertis: «Si nous devenons les maîtres, nous ignorerons

«vos traités.» Ce jour (vous pensiez qu’il ne pouvait luire) est venu. Permettez. Nous tenons nos promesses que vous teniez auparavant comme négligeables...»

Le pont est presque désert. Il fait un froid de glace. La mer est couverte d’un halo de brouillard... Je regarde l’écriteau que les officiers anglais ont affiché près du poste de télégraphie sans fil: «On serait obligé si les Français feraient moins de bruit».

Le soir vient, à tâtons, sournoisement. C’est l’heure où Captain, Gaston Desprès et ses amis se rassemblent dans la cale pour jouer aux cartes.

— La partie de piquet! C’est le plus voleur qui gagne.

Cependant, Desprès, sérieux, presque doctoral, parle de réverbération du soleil sur les banquises. Captain, aussi grave que son ami, hoche la tête et donne lentement son avis:

— Je doute qu’il y ait des réverbères dans ce pays-là.

Est-ce à cause de la tempête de neige qui tourbillonne sur l’Océan ou pour dépister les sous-marins allemands que le cargo anglais, sans prévenir personne, semble modifier le programme de sa route et se dirige cette nuit vers la terre pour venir au matin, s’ancrer dans cette eau grise, à grandes lames? Autour de nous, des collines rocheuses, la neige, les taches noires des arbres dépouillés. Nous sommes dans le port de Mourmansk, ancien port Romanoff. Au fond, parmi ces croiseurs et ce cuirassé, se trouve Kola. Sur les rives, des maisons de bois et le panache de fumée d’un train en marche...

Toujours suivi de son inséparable Gaston Desprès, Captain fournit quelques renseignements inédits à son habituel entourage.

— Nous allons repartir, suivre la lisière de la forêt en face. Puis nous jetterons l’ancre dans le port de Lady Petrowsky... Ne cherchez pas sur les cartes. Nous y pêcherons du poisson frigorifié, ce qui nous changera du corned-beef. En attendant, chacun peut écrire sur son livre de bord: «La rivière est toujours calme».

Les rapatriés voudraient descendre sur la terre russe. Ils envoient une délégation au capitaine anglais qui commande à bord.

— J’ai reçu l’ordre de vous conduire à Archangel. Je vous conduirai à Archangel.

Cette réponse sans détours confond les Russes. Ils se réunissent, discutent pendant toute l’après-midi, prononcent de véhéments discours, continuent la nuit, recommencent le lendemain et désignent enfin dix nouveaux délégués pour aller parlementer avec l’officier anglais.

Celui-ci les reçoit sur le pont, écoute l’orateur bénévole qui s’exprime au nom des rapatriés, puis, sitôt qu’il a compris qu’on lui vient présenter la même requête que la veille, détache un définitif:

— No.

Et s’en va, sans plus écouter.

Les Russes sont de plus en plus ahuris. Mais ils n’insistent pas. Ils s’ennuient. Pour se distraire, ils jouent aux cartes le jour et, la nuit, dans la cale, chantent des chœurs, à la grande fureur des Français qui ne peuvent plus dormir.

Le soir, quelques bateaux, un submersible camouflé de gris, passent devant notre cargo, déplaçant de longues raies noires sur les eaux dansantes. L’air est un peu plus humide à mesure que la nuit descend, si l’on peut appeler ainsi cette indéfinissable clarté où les lointains paraissent encore plus nets... Au reste, depuis que nous avons passé le cercle polaire, les nuits sont blafardes. Il n’y a, pour tout dire, que deux heures de véritable obscurité.

Autre distraction.

Vers les onze heures, les passagers — soldats français, Russes grelottants, quelques dames — se rassemblent à l’arrière du pont pour assister au fameux soleil de minuit qui se produit vers les onze heures et demie... Une traînée lumineuse dore les arbres et la neige, à l’est. Le soleil monte au-dessus des bois et disparaît lentement derrière la montagne. Une pénombre plus opaque succède à ce départ. Puis le soleil reparaît sur l’autre versant des bois et colore de rouille la neige et les eaux...

Le grade de capitaine dans l’armée russe commence à donner à celui qui le porte quelque prestige. Pour cette raison, les médecins et pharmaciens de la mission, partis de France avec un galon, auront le droit de coudre sur leurs manches deux galons supplémentaires. Un sous-lieutenant devient ainsi capitaine, un lieutenant commandant, un capitaine se mue en colonel.

Les nouveaux gradés ne touchent que les indemnités attribuées à leurs galons nouveaux, ainsi que l’indemnité de monture, indispensable sur mer, dans le train, ou au premier étage d’un hôpital, comme on peut le croire. Mais ils n’ont pas droit à la solde.

Un soir, l’opération de la transformation des dolmans et des capotes a lieu discrètement, sans tapage, et le lendemain, aides-majors et apprentis pharmaciens apparaissent transformés en capitaine de médecine ou en colonels de pharmacie.

— Il a plu cette nuit, constate Captain Treuleuleu. Je n’ai jamais vu d’avancement aussi rapide!...

Aussitôt, nous décidons d’élever au grade de colonel le Captain Treuleuleu qui représente assez bien l’esprit frondeur des Français et de donner à Gaston Desprès les galons de caporal.

— J’accepte cet honneur, remercie Treuleuleu. Mais je conserve mon premier titre. Je resterai «Captain».

Et nous sommes toujours en rade... Il y a des jours où l’on voit un peu le soleil et des jours de brume où les bateaux nous apparaissent découpés en noir, à peine visibles, et des jours de pluie glacée, comme cette après-midi où les Russes entonnent sur le pont leur nouvel hymne: les Bateliers du Volga.

Enfin, le 13 juin, huit jours après notre arrivée à Mourmansk, le cargo repart, descend la rivière et se laisse porter vers la mer Blanche.

D'Archangel au golfe Persique, aventures de cinquante Français en Perse

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