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Scène IV .

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Orante.

Tout le monde sera de mon opinion.

Clymène.

Croyez-vous l’emporter par obstination?

Orante.

Je pense mes raisons meilleures que les vôtres.

Clymène.

Je voudrois qu’on ouît les unes et les autres.

Orante.

J’avise un homme ici qui n’est pas ignorant:

Il pourra nous juger sur notre différend.

Marquis, de grâce, un mot: souffrez qu’on vous appelle

Pour être entre nous deux juge d’une querelle,

D’un débat qu’ont ému nos divers sentiments

Sur ce qui peut marquer les plus parfaits amants.

Éraste.

C’est une question à vider difficile,

Et vous devez chercher un juge plus habile.

Orante.

Non: vous nous dites là d’inutiles chansons;

Votre esprit fait du bruit, et nous vous connoissons:

Nous savons que chacun vous donne à juste titre …

Éraste.

Hé! De grâce …

Orante.

En un mot, vous serez notre arbitre:

Et ce sont deux moments qu’il vous faut nous donner.

Clymène.

Vous retenez ici qui vous doit condamner;

Car enfin, s’il est vrai ce que j’en ose croire,

Monsieur à mes raisons donnera la victoire.

Éraste.

Que ne puis-je à mon traître inspirer le souci

D’inventer quelque chose à me tirer d’ici!

Orante.

Pour moi, de son esprit j’ai trop bon témoignage,

Pour craindre qu’il prononce à mon désavantage.

Enfin, ce grand débat qui s’allume entre nous,

Est de savoir s’il faut qu’un amant soit jaloux.

Clymène.

Ou, pour mieux expliquer ma pensée et la vôtre,

Lequel doit plaire plus d’un jaloux ou d’un autre.

Orante.

Pour moi, sans contredit, je suis pour le dernier.

Clymène.

Et dans mon sentiment, je tiens pour le premier.

Orante.

Je crois que notre coeur doit donner son suffrage

À qui fait éclater du respect davantage.

Clymène.

Et moi, que si nos voeux doivent paroître au jour,

C’est pour celui qui fait éclater plus d’amour.

Orante.

Oui; mais on voit l’ardeur dont une âme est saisie

Bien mieux dans le respect que dans la jalousie.

Clymène.

Et c’est mon sentiment, que qui s’attache à nous

Nous aime d’autant plus qu’il se montre jaloux.

Orante.

Fi! Ne me parlez point, pour être amants, Clymène,

De ces gens dont l’amour est fait comme la haine,

Et qui, pour tous respects et toute offre de voeux,

Ne s’appliquent jamais qu’à se rendre fâcheux;

Dont l’âme, que sans cesse un noir transport anime,

Des moindres actions cherche à nous faire un crime,

En soumet l’innocence à son aveuglement,

Et veut sur un coup d’oeil un éclaircissement;

Qui, de quelque chagrin nous voyant l’apparence,

Se plaignent aussitôt qu’il naît de leur présence,

Et lorsque dans nos yeux brille un peu d’enjoûment,

Veulent que leurs rivaux en soient le fondement;

Enfin, qui prenant droit des fureurs de leur zèle,

Ne vous parlent jamais que pour faire querelle,

Osent défendre à tous l’approche de nos coeurs,

Et se font les tyrans de leurs propres vainqueurs.

Moi, je veux des amants que le respect inspire,

Et leur soumission marque mieux notre empire.

Clymène.

Fi! Ne me parlez point, pour être vrais amants,

De ces gens qui pour nous n’ont nuls emportements,

De ces tièdes galans, de qui les coeurs paisibles

Tiennent déjà pour eux les choses infaillibles,

N’ont point peur de nous perdre, et laissent chaque jour

Sur trop de confiance endormir leur amour,

Sont avec leurs rivaux en bonne intelligence,

Et laissent un champ libre à leur persévérance.

Un Amour si tranquille excite mon courroux.

C’est aimer froidement que n’être point jaloux;

Et je veux qu’un amant, pour me prouver sa flamme,

Sur d’éternels soupçons laisse flotter son âme,

Et par de prompts transports donne un signe éclatant

De l’estime qu’il fait de celle qu’il prétend.

On s’applaudit alors de son inquiétude,

Et s’il nous fait parfois un traitement trop rude,

Le plaisir de le voir, soumis à nos genoux,

S’excuser de l’éclat qu’il a fait contre nous,

Ses pleurs, son désespoir d’avoir pu nous déplaire,

Est un charme à calmer toute notre colère.

Orante.

Si pour vous plaire il faut beaucoup d’emportement,

Je sais qui vous pourroit donner contentement;

Et je connois des gens dans Paris plus de quatre

Qui, comme ils le font voir, aiment jusques à battre.

Clymène.

Si pour vous plaire il faut n’être jamais jaloux,

Je sais certaines gens fort commodes pour vous,

Des hommes en amour d’une humeur si souffrante,

Qu’ils vous verroient sans peine entre les bras de trente.

Orante.

Enfin par votre arrêt vous devez déclarer

Celui de qui l’amour vous semble à préférer.

Éraste.

Puisqu’à moins d’un arrêt je ne m’en puis défaire,

Toutes deux à la fois je vous veux satisfaire;

Et pour ne point blâmer ce qui plaît à vos yeux,

Le jaloux aime plus, et l’autre aime bien mieux.

Clymène.

L’arrêt est plein d’esprit; mais …

Éraste.

Suffit, j’en suis quitte.

Après ce que j’ai dit, souffrez que je vous quitte.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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