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Scène VI .

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Dorante.

Ha! Marquis, que l’on voit de fâcheux, tous les jours,

Venir de nos plaisirs interrompre le cours!

Tu me vois enragé d’une assez belle chasse,

Qu’un fat … C’est un récit qu’il faut que je te fasse.

Éraste.

Je cherche ici quelqu’un, et ne puis m’arrêter.

Dorante, le retenant.

Parbleu, chemin faisant, je te le veux conter.

Nous étions une troupe assez bien assortie,

Qui pour courir un cerf avions hier fait partie;

Et nous fûmes coucher sur le pays exprès,

C’est-à-dire, mon cher, en fin fond de forêts.

Comme cet exercice est mon plaisir suprême,

Je voulus, pour bien faire, aller au bois moi-même;

Et nous conclûmes tous d’attacher nos efforts

Sur un cerf qu’un chacun nous disoit cerf dix-cors;

Mais moi, mon jugement, sans qu’aux marques j’arrête,

Fut qu’il n’étoit que cerf à sa seconde tête.

Nous avions, comme il faut, séparé nos relais,

Et déjeunions en hâte avec quelques oeufs frais,

Lorsqu’un franc campagnard, avec longue rapière,

Montant superbement sa jument poulinière,

Qu’il honoroit du nom de sa bonne jument,

S’en est venu nous faire un mauvais compliment,

Nous présentant aussi, pour surcroît de colère,

Un grand benêt de fils aussi sot que son père.

Il s’est dit grand chasseur, et nous a priés tous

Qu’il pût avoir le bien de courir avec nous.

Dieu préserve, en chassant, toute sage personne

D’un porteur de huchet qui mal à propos sonne,

De ces gens qui, suivis de dix hourets galeux,

Disent ” ma meute, ” et font les chasseurs merveilleux!

Sa demande reçue et ses vertus prisées,

Nous avons été tous frapper à nos brisées.

À trois longueurs de trait, tayaut! Voilà d’abord

Le cerf donné aux chiens. J’appuie, et sonne fort.

Mon cerf débuche, et passe une assez longue plaine,

Et mes chiens après lui, mais si bien en haleine,

Qu’on les auroit couverts tous d’un seul justaucorps.

Il vient à la forêt. Nous lui donnons alors

La vieille meute; et moi, je prends en diligence

Mon cheval alezan. Tu l’as vu?

Éraste.

Non, je pense.

Dorante.

Comment? C’est un cheval aussi bon qu’il est beau,

Et que ces jours passés j’achetai de Gaveau.

Je te laisse à penser si sur cette matière

Il voudroit me tromper, lui qui me considère:

Aussi je m’en contente; et jamais, en effet,

Il n’a vendu cheval ni meilleur ni mieux fait:

Une tête de barbe, avec l’étoile nette;

L’encolure d’un cygne, effilée et bien droite;

Point d’épaules non plus qu’un lièvre; court-jointé,

Et qui fait dans son port voir sa vivacité;

Des pieds, morbleu! Des pieds! Le rein double (à vrai dire,

J’ai trouvé le moyen, moi seul, de le réduire;

Et sur lui, quoique aux yeux il montrât beau semblant,

Petit-Jean de Gaveau ne montoit qu’en tremblant),

Une croupe en largeur à nulle autre pareille,

Et des gigots, Dieu sait! Bref, c’est une merveille;

Et j’en ai refusé cent pistoles, crois-moi,

Au retour d’un cheval amené pour le roi.

Je monte donc dessus, et ma joie étoit pleine

De voir filer de loin les coupeurs dans la plaine;

Je pousse, et je me trouve en un fort à l’écart.

À la queue de nos chiens, moi seul avec Drécar.

Une heure là dedans notre cerf se fait battre.

J’appuie alors mes chiens, et fais le diable à quatre;

Enfin jamais chasseur ne se vit plus joyeux.

Je le relance seul, et tout alloit des mieux,

Lorsque d’un jeune cerf s’accompagne le nôtre:

Une part de mes chiens se sépare de l’autre,

Et je les vois, marquis, comme tu peux penser,

Chasser tous avec crainte, et Finaut balancer.

Il se rabat soudain, dont j’eus l’âme ravie;

Il empaume la voie; et moi, je sonne et crie:

” à Finaut! à Finaut! ” j’en revois à plaisir

Sur une taupinière, et résonne à loisir.

Quelques chiens revenoient à moi, quand pour disgrâce

Le jeune cerf, marquis, à mon campagnard passe.

Mon étourdi se met à sonner comme il faut,

Et crie à pleine voix ” tayaut! Tayaut! Tayaut! “

Mes chiens me quittent tous, et vont à ma pécore;

J’y pousse, et j’en revois dans le chemin encore;

Mais à terre, mon cher, je n’eus pas jeté l’oeil,

Que je connus le change et sentis un grand deuil.

J’ai beau lui faire voir toutes les différences

Des pinces de mon cerf et de ses connoissances,

Il me soutient toujours, en chasseur ignorant,

Que c’est le cerf de meute; et par ce différend

Il donne temps aux chiens d’aller loin. J’en enrage,

Et pestant de bon coeur contre le personnage,

Je pousse mon cheval et par haut et par bas,

Qui plioit des gaulis aussi gros que les bras:

Je ramène les chiens à ma première voie,

Qui vont, en me donnant une excessive joie,

Requerir notre cerf, comme s’ils l’eussent vu.

Ils le relancent; mais ce coup est-il prévu?

À te dire le vrai, cher marquis, il m’assomme:

Notre cerf relancé va passer à notre homme,

Qui croyant faire un trait de chasseur fort vanté,

D’un pistolet d’arçon qu’il avoit apporté

Lui donne justement au milieu de la tête,

Et de fort loin me crie: ” ah! J’ai mis bas la bête! “

A-t-on jamais parlé de pistolets, bon Dieu!

Pour courre un cerf? Pour moi, venant dessus le lieu,

J’ai trouvé l’action tellement hors d’usage,

Que j’ai donné des deux à mon cheval, de rage,

Et m’en suis revenu chez moi toujours courant,

Sans vouloir dire un mot à ce sot ignorant.

Éraste.

Tu ne pouvois mieux faire, et ta prudence est rare;

C’est ainsi des fâcheux qu’il faut qu’on se sépare.

Adieu.

Dorante.

Quand tu voudras, nous irons quelque part,

Où nous ne craindrons point de chasseur campagnard.

Éraste.

Fort bien. Je crois qu’enfin je perdrai patience.

Cherchons à m’excuser avecque diligence.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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