Читать книгу Œuvres de Napoléon Bonaparte (Tome I-V) - Napoleon Bonaparte - Страница 59

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Au quartier-général à Mantoue, le 14 pluviose an 5 (2 février 1797).

Au ministre de la guerre.

Je réponds, citoyen ministre, à votre lettre relative à la demande que vous me faites sur la situation militaire actuelle de l'île de Corse.

Le général de brigade Casalta, que j'envoyai en Corse, débarqua à la tête de la gendarmerie de ce département et de plusieurs autres réfugiés, et acheva de chasser les Anglais de cette île.

Le général Gentili ne tarda pas à y passer avec tous les réfugiés corses qui se trouvaient à l'armée d'Italie, et qui, par leurs liaisons dans le pays, achèveront de consolider notre établissement. Je fis passer également cent canonniers avec plusieurs officiers d'artillerie et du génie, pour armer les différens forts. Le général Gentili a, par mon ordre, créé, dans les départemens du Golo et du Liamone, un bon corps de gendarmerie, et cinq colonnes mobiles composées de trois cents hommes, tant pour veiller à la défense de la côte, que pour comprimer nos ennemis intérieurs.

La garde des forts d'Ajaccio, Bonifaccio et Bastia est confiée à des corps de gardes nationales d'une fidélité et d'un patriotisme reconnus.

Le commissaire ordonnateur de l'armée a passé des marchés et fait approvisionner les différentes places de l'île de tout ce qui leur était nécessaire, en même temps qu'il a pourvu à la solde de tous ces différens corps.

Depuis que les deux départemens qui composent l'île de Corse sont rentrés sous la domination de la république, il n'y a eu aucun assassinat ni attentat aux propriétés; jamais pays n'a été plus tranquille, et jamais révolution ne s'est faite avec aussi peu de commotion.

Je n'ai pas fait passer de troupes en Corse: nous avons l'habitude d'y tenir cinq mille hommes de garnison, et mes troupes m'étaient trop nécessaires en Italie pour pouvoir en distraire la moindre partie pour la Corse, dont la tranquillité d'ailleurs a été mieux assurée par les mesures de police intérieure que j'ai prises, et par l'argent que j'ai fait passer, que par un corps de quatre mille hommes. Cependant, lorsque les affaires de Rome seront terminées, et que les Anglais auront évacué Porto-Ferrajo, je ferai passer six cents hommes dans le fort de Bastia, et quatre cents dans celui d'Ajaccio.

Vous pouvez être, citoyen ministre, sans aucune inquiétude sur la tranquillité intérieure et extérieure de l'île de Corse. Il n'y a, je crois, qu'un ennemi de la patrie qui puisse exiger que l'on ait affaibli les corps de l'armée d'Italie pour envoyer en Corse des troupes à peu près inutiles. Si le directoire continue à me laisser le maître de faire ce qu'il conviendra, j'enverrai des troupes en Corse dès que la situation de l'armée me le permettra, ou que les circonstances l'exigeront.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Faenza, le 15 pluviose an 5 (3 février 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte hier de l'arrivée de nos troupes à Trente: le général Joubert, arrivé dans cette ville, envoya aussitôt à la poursuite de l'ennemi.

Le général Vial, à la tête de l'infanterie légère, occupa la ligne du Lawis; les débris de l'armée autrichienne étaient de l'autre côté. Le général Vial passa le Lawis à pied, à la tête de la vingt-neuvième demi-brigade, poussa l'ennemi jusqu'à Saint-Michel, lui fit huit cents prisonniers, et joncha la terre de morts. La jonction des généraux Masséna et Joubert est faite, et ce dernier général occupe la ligne du Lawis qui couvre Trente.

L'aide-de-camp Lambert, l'adjudant Cansillon se sont particulièrement distingués.

Je me suis attaché à montrer la générosité française vis-à-vis de Wurmser, général âgé de soixante-dix ans, envers qui la fortune a été, cette campagne-ci, très-cruelle, mais qui n'a pas cessé de montrer une connaissance et un courage que l'histoire remarquera. Enveloppé de tous côtés après la bataille de Bassano, perdant d'un seul coup une partie du Tyrol et son armée, il ose espérer de pouvoir se réfugier dans Mantoue, dont il est éloigné de quatre à cinq journées, passe l'Adige, culbute une de nos avant-gardes à Cerca, traverse la Molinella et arrive dans Mantoue. Enfermé dans cette ville, il a fait deux ou trois sorties, toutes lui ont été malheureuses, et à toutes il était à la tête. Mais, outre les obstacles très-considérables que lui présentaient nos lignes de circonvallation, hérissées de pièces de campagne, qu'il était obligé de surmonter, il ne pouvait agir qu'avec des soldats découragés par tant de défaites, et affaiblis par les maladies pestilentielles de Mantoue. Ce grand nombre d'hommes qui s'attachent toujours à calomnier le malheur, ne manqueront pas de chercher à persécuter Wurmser.

Le général Serrurier et le général Wurmser ont dû avoir hier une conférence pour fixer le jour de l'exécution de la capitulation, et s'accorder sur les différens qu'il y a entre l'accordé et le proposé.

La division du général Victor a couché le 13 à Imola, première ville de l'état papal. L'armée de Sa Sainteté avait coupé les ponts, et s'était retranchée avec le plus grand soin sur la rivière de Senio, qu'elle avait bordée de canons. Le général Lannes, commandant l'avant-garde, aperçut les ennemis qui commençaient à le canonner: il ordonna aussitôt aux éclaireurs de la légion lombarde d'attaquer les tirailleurs papistes; le chef de brigade Lahoz, commandant cette légion, réunit ses grenadiers, qu'il fit former en colonne serrée, pour enlever, la baïonnette au bout du fusil, les batteries ennemies. Cette légion, qui voit le feu pour la première fois, s'est couverte de gloire; elle a enlevé quatorze pièces de canon sous le feu de trois à quatre mille hommes retranchés. Pendant que le feu durait, plusieurs prêtres, un crucifix à la main, prêchaient ces malheureuses troupes. Nous avons pris à l'ennemi quatorze pièces de canon, huit drapeaux, quatre mille prisonniers, et tué quatre ou cinq cents hommes. Le chef de brigade Lahoz a été légèrement blessé. Nous avons eu quarante hommes tués ou blessés.

Nos troupes se portèrent aussitôt sur Faenza, elles en trouvèrent les portes fermées; toutes les cloches sonnaient le tocsin, et une populace égarée prétendait en défendre l'issue. Tous les chefs, notamment l'évêque, s'étaient sauvés: deux ou trois coups de canon enfoncèrent les portes, et nos gens entrèrent au pas de charge. Les lois de la guerre m'autorisaient à mettre cette ville infortunée au pillage; mais comment se résoudre à punir aussi sévèrement toute une ville pour le crime de quelques prêtres? J'ai envoyé chez eux cinquante officiers que j'avais faits prisonniers, pour qu'ils allassent éclairer leurs compatriotes, et leur faire sentir les dangers qu'une extravagance pareille à celle-ci leur ferait courir. J'ai fait, ce matin, venir tous les moines, tous les prêtres; je les ai rappelés aux principes de l'Évangile, et j'ai employé toute l'influence que peuvent avoir la raison et la nécessité, pour les engager à se bien conduire: ils m'ont paru animés de bons principes; j'ai envoyé à Ravennes le général des camaldules, pour éclairer cette ville, et éviter les malheurs qu'un plus long aveuglement pourrait produire; j'ai envoyé à Cézène, patrie du pape actuel, le P. don Ignacio, prieur des bénédictins.

Le général Victor continua hier sa route, et se rendit maître de Forti; je lui ai donné l'ordre de se porter aujourd'hui à Cézène. Je vous ai envoyé différentes pièces qui convaincront l'Europe entière de la folie de ceux qui conduisent la cour de Rome. Je vous enverrai aussi deux autres affiches, qui vous convaincront de la démence de ces gens-ci; il est déplorable de penser que cet aveuglement coûte le sang des pauvres peuples, innocens instrumens et de tout temps victimes des théologiens. Plusieurs prêtres, et entre autres un capucin, qui prêchaient l'armée des catholiques, ont été tués sur le champ de bataille.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Forti, le 15 pluviose an 5 (3 février 1797).

Au directoire exécutif.

Je vous fais passer, citoyens directeurs, le mémoire que m'envoie le citoyen Faypoult; vous frémirez d'indignation, lorsque vous y verrez avec quelle impudence on vole la république. Je donne les ordres pour que l'on arrête le citoyen Legros, contrôleur de la trésorerie, et le commissaire des guerres Lequeue; j'engage le citoyen Faypoult à faire arrêter à Gênes les citoyens Paillaud et Peregaldo. Vous ne souffrirez pas, sans doute, que les voleurs de l'armée d'Italie trouvent leur refuge à Paris. Pendant que je me battais et que j'étais éloigné de Milan, le citoyen Flachat s'en est allé, emportant cinq à six millions à l'armée, et nous a laissés dans le plus grand embarras. Si l'on ne trouve pas de moyens d'atteindre la friponnerie manifestement reconnue de ces gens-là, il faut renoncer au règne de l'ordre, à l'amélioration de nos finances et à maintenir une armée aussi considérable en Italie.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Bologne, le 18 pluviose an 5 (6 février 1797).

Proclamation.

L'armée française va entrer sur le territoire du pape; elle protégera la religion et le peuple.

Le soldat français porte d'une main la baïonnette, sûr garant de la victoire, et offre, de l'autre, aux différentes villes et villages paix, protection et sûreté... Malheur à ceux qui la dédaigneraient, et qui, de gaîté de coeur, séduits par des hommes profondément hypocrites et scélérats, attireraient dans leurs maisons la guerre et ses horreurs, et la vengeance d'une armée qui a, dans six mois, fait cent mille prisonniers des meilleures troupes de l'empereur, pris quatre cents pièces de canon, cent dix drapeaux, et détruit cinq armées.

ART. 1er. Tout village ou ville, où, à l'approche de l'armée française, on sonnera le tocsin, sera sur-le-champ brûlé, et les municipaux seront fusillés.

II. La commune sur le territoire de laquelle sera assassiné un Français sera sur-le-champ déclarée en état de guerre; une colonne mobile y sera envoyée; il y sera pris des otages, et il y sera levé une contribution extraordinaire.

III. Tous les prêtres, religieux et ministres de la religion, sous quelques noms que ce soit, seront protégés et maintenus dans leur état actuel, s'ils se conduisent selon les principes de l'Évangile, et, s'ils sont les premiers à le transgresser, ils seront traités militairement, et plus sévèrement que les autres citoyens.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Pezaro, le 19 pluviose an 5 (7 février 1797).

Au directoire exécutif.

Le général Bernadotte m'écrit de Metz pour m'annoncer que les six demi-brigades venant de l'armée de Sambre-et-Meuse, qui, au compte du général Moreau, devaient être de deux mille quatre cents hommes chacune, ce qui devrait faire quatorze mille quatre cents hommes, n'en font que douze mille huit cents. En supposant que les six demi-brigades envoyées par le général Moreau soient d'égale force, cela ferait vingt-cinq mille hommes: pour avoir trente mille hommes, il faudrait donc encore ordonner le départ de deux demi-brigades; vous pourriez nous en envoyer deux de l'armée de l'Océan.

Ces corps perdront nécessairement en route du monde; le moins qu'ils puissent perdre, c'est cinq cents hommes chacun, ce qui réduirait le secours de trente mille hommes annoncés pour l'armée à dix-neuf mille hommes; je crois donc qu'il serait nécessaire que vous nous envoyassiez encore trois demi-brigades, en les tirant, soit de l'armée des départemens de l'intérieur, soit des deux armées du Rhin. Avec ces cinq demi-brigades de renfort, le secours extraordinaire envoyé serait de dix-sept demi-brigades: c'est beaucoup les calculer, si on les porte, arrivées à Milan, à quinze cents hommes, surtout les demi-brigades d'infanterie légère, qui ne sont guère, dans toutes les armées, que la moitié des autres; ces demi-brigades feraient donc vingt-cinq mille cinq cents hommes. Le secours serait donc encore inférieur de cinq mille hommes aux trente mille que votre intention est d'envoyer à l'armée d'Italie.

Le général Kellermann vous fait un double emploi quand il compte la quarantième, qui nous a été envoyée il y a deux mois, et qui a été portée sur un autre envoi. Nous n'avons donc véritablement reçu, des dix mille hommes annoncés, que la soixante-quatrième et la treizième, formant en tout moins de quatre mille hommes.

Il m'est annoncé quatre régimens de troupes à cheval des deux armées, et le quinzième de chasseurs venant de Bourges. Je vous ai demandé deux escadrons, restés à Bordeaux et à Marseille, du dix-huitième de dragons; deux escadrons du cinquième de cavalerie et du neuvième de dragons restés à Lyon, et les différens petits détachemens de la cavalerie de l'armée qui sont restés dans la huitième division, et qu'il est instant de rallier à leurs corps. Si vous pouvez m'envoyer six cents hommes de grosse cavalerie, six cents dragons et sept à huit cents hommes des différentes armes de la cavalerie, à pied et armés, et que nous chercherons à monter avec les chevaux que nous pourrons trouver, je me trouverai suffisamment fort en cavalerie.

De l'annonce faite, au commencement de la campagne, par le ministre, de l'artillerie légère, il nous manque quatre compagnies, qui ne sont jamais venues; nous en avons le plus grand besoin.

Je compte mettre en ligne contre les Allemands la légion lombarde, qui se bat assez bien; mais elle n'est pas à quinze cents hommes. La légion polonaise qu'on lève fournira à peu près quinze cents hommes, qui, avec la légion cispadane, serviront à garder l'Italie inférieure.

Je vous prie d'envoyer à l'armée le citoyen Champeaux, ci-devant chef de brigade du dixième de chasseurs, et que j'ai nommé chef de brigade du septième de hussards, qui est très-pillard, mais que Champeaux remettra à l'ordre.

Je vous recommande de nous envoyer deux mille charretiers pour l'artillerie.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Ancône, le 22 pluviose an 5 (10 février 1797).

Au directoire exécutif.

Nous avons beaucoup à nous plaindre, citoyens directeurs, de la conduite des baillis suisses. Je n'ai fait mettre les barques canonnières sur le lac de Lugano que pour empêcher la contrebande qui se faisait, et arrêter la désertion des prisonniers autrichiens, protégés par les Suisses. Nous avions droit de mettre ces barques sur le lac, puisqu'une bonne partie du rivage nous appartient; d'ailleurs, si les baillis suisses continuent à se mal conduire, je ne leur accorderai plus de blé, et s'ils se permettent des voies de fait, je ferai brûler les villages qui se seront mal comportés. Les Suisses d'aujourd'hui ne sont plus les hommes du quatorzième siècle: ils ne sont fiers que lorsqu'on les cajole trop; ils sont humbles et bas lorsqu'on leur fait sentir qu'on n'a pas besoin d'eux: si nous ne les secourions pas du côté du Milanez, ils mourraient de faim; nous avons donc le droit d'exiger qu'ils se conduisent avec égard.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Ancône, le 22 pluviose an 5 (10 février 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Nous avons conquis en peu de jours la Romagne, le duché d'Urbin et la marche d'Ancône. Nous avons fait à Ancône douze cents prisonniers de l'armée du pape; ils s'étaient postés habilement sur des hauteurs en avant d'Ancône. Le général Victor les a enveloppés, et les a tous pris sans tirer un coup de fusil. L'empereur venait d'envoyer au pape trois mille beaux fusils, que nous avons trouvés dans la forteresse d'Ancône avec près de cent vingt pièces de canon de gros calibre; une cinquantaine d'officiers que nous avons faits prisonniers ont été renvoyés, avec le serment de ne plus servir le pape. La ville d'Ancône est le seul port qui existe, depuis Venise, sur l'Adriatique; il est, sous tous les points de vue, très-essentiel pour notre correspondance de Constantinople: en vingt-quatre heures on va d'ici en Macédoine. Aucun gouvernement n'était aussi méprisé par les peuples mêmes qui lui obéissent, que celui-ci. Au premier sentiment de frayeur que cause l'entrée d'une armée ennemie, a succédé la joie d'être délivré du plus ridicule des gouvernemens.

Le 22, à six heures du soir.

P.S. Nous sommes maîtres de Notre-Dame-de-Lorette.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Ancône, le 23 pluviose an 5 (11 février 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Je vous ferai passer la capitulation de Mantoue; nos troupes ont occupé la citadelle le 15 et, aujourd'hui, la ville est entièrement évacuée par les Autrichiens. Je vous enverrai les inventaires de l'artillerie et du génie et la revue de la garnison, dès l'instant qu'ils me seront parvenus. C'est le général Serrurier qui a assiégé la première fois Mantoue; le général Kilmaine, qui a établi le deuxième blocus, a rendu de grands services; c'est lui qui a ordonné que l'on fortifiât Saint-George, qui nous a si bien servis depuis. La garnison de Mantoue a mangé cinq mille chevaux, ce qui fait que nous en avons fort peu trouvé. Je vous demande le grade de général de brigade pour le citoyen Chasseloup, commandant du génie de l'armée. Il a assiégé le château de Milan, la ville de Mantoue, et on en était déjà aux batteries de brèche, lorsque j'ordonnai qu'on levât le siège; il a, dans cette campagne, fait fortifier Peschiera, Legnago et Pizzighitone. Je vous demande le grade de chef de brigade pour les citoyens Samson et Maubert; ils l'ont mérité, en rendant des services dans plus de quarante combats, et en faisant des reconnaissances dangereuses et utiles. Je vous ai demandé le grade de général de division d'artillerie pour le général Lespinasse. Je vous prie aussi d'employer le général Dommartin dans l'armée d'Italie.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Ancône, le 25 pluviose an 5 (13 février 1797).

À Monsieur le cardinal Mattei.

J'ai reconnu, dans la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire, monsieur le cardinal, cette simplicité de moeurs qui vous caractérise. Vous verrez, par l'imprimé que je vous envoie, les raisons qui m'ont engagé à rompre l'armistice conclu entre la république française et Sa Sainteté.

Personne n'est plus convaincu du désir que la république française avait de faire la paix, que le cardinal Busca, comme il l'avoue dans sa lettre à M. Albani, qui a été imprimée et dont j'ai l'original dans les mains.

On s'est rallié aux ennemis de la France lorsque les premières puissances de l'Europe s'empressaient de reconnaître la république et de désirer la paix avec elle; on s'est longtemps bercé de vaines chimères et on n'a rien oublié pour consommer la destruction de ce beau pays. Je n'entendrai jamais à aucune proposition qui tendrait à terminer les hostilités entre la république française et Sa Sainteté, qu'au préalable on n'ait ordonné le licenciement des régimens créés après l'armistice; secondement, que l'on n'ait ôté par notification publique le commandant de l'armée de Sa Sainteté aux officiers-généraux envoyés par l'empereur. Ces clauses remplies, il reste encore à Sa Sainteté un espoir de sauver ses états en prenant plus de confiance dans la générosité de la république française, et en se livrant toute entière et promptement à des négociations pacifiques.

Je sais que Sa Sainteté a été trompée: je veux bien encore prouver à l'Europe entière la modération du directoire exécutif de la république française, en lui accordant cinq jours pour envoyer un négociateur muni de pleins pouvoirs, qui se rendra à Foligno, où je me trouverai et où je désire de pouvoir contribuer en mon particulier à donner une preuve éclatante de la considération que j'ai pour le Saint-Siège.

Quelque chose qu'il arrive, monsieur le cardinal, je vous prie d'être persuadé de l'estime distinguée avec laquelle je suis, etc.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Macereta, le 27 pluviose an 5 (15 février 1797).

Au directoire exécutif.

Je vous fais passer, citoyens directeurs, 1°. la copie d'une lettre que m'a écrite le cardinal Mattei.

2°. La copie d'une note qui m'a été remise par le prince de Belmonte Pignatelli, envoyé près de moi par sa cour.

Il m'a dit confidentiellement et m'a montré des articles de son instruction, aussi très-confidentiellement et non officiellement, où le roi son maître prenait un tel intérêt aux affaires de Rome, qu'il faisait marcher un corps de troupes pour appuyer ses représentations sur Rome.

Je lui ai répondu très-confidentiellement que, si je n'avais point abattu l'orgueil du pape, il y a trois mois, c'est que je ne doutais pas que le roi de Naples voulait se mêler, contre le droit des gens et la teneur du traité, de cette affaire-là, et que véritablement alors je n'avais pas le moyen de lui répondre; mais qu'aujourd'hui j'avais de disponibles les trente mille hommes qui étaient devant Mantoue, et les quarante mille hommes qui me venaient de l'intérieur; que si le roi son maître me jetait le gant, je le ramasserais; que la république donnerait au roi de Naples toutes les satisfactions compatibles avec sa dignité et son intérêt: il a, en reprenant le ton officiel, désavoué ce qui avait été dit en confidence.

J'ai répondu au cardinal Mattei la lettre que je vous envoie, au prince Belmonte Pignatelli la note que je vous envoie également.

Je vous fais tenir la mesure que j'ai adoptée à Ancône pour l'organisation de l'administration, le parti que j'ai pris ici relativement à l'organisation de la province, ainsi qu'un ordre que j'ai donné en faveur des prêtres réfractaires. Cet ordre n'est pas contraire à la loi; il est conforme à nos intérêts et à la bonne politique: car ces prêtres nous sont fort attachés et beaucoup moins fanatiques que les Romains. Ils sont accoutumés à ce que les prêtres ne gouvernent pas, et c'est déjà beaucoup: ils sont très-misérables; les trois quarts pleurent quand ils voient un Français: d'ailleurs, à force d'en faire des battues, ou les oblige à se réfugier en France. Comme ici nous ne touchons en aucune manière à la religion, il vaut beaucoup mieux qu'ils y restent; si vous approuvez cette mesure et qu'elle ne contrarie pas les principes généraux, je tirerai de ces gens-là un grand parti en Italie.

Ancône est un très-bon port, on va delà en vingt-quatre heures en Macédoine, et en dix jours à Constantinople. Mon projet est d'y ramasser tous les juifs possible; je fais mettre dans le meilleur état de défense la forteresse; il faut que nous conservions le port d'Ancône à la paix générale, et qu'il reste toujours français: cela nous donnera une grande influence sur la Porte Ottomane et nous rendra maîtres de la mer Adriatique, comme nous le sommes, par Marseille, l'île de Corse et Saint-Pierre, de la Méditerranée. Quinze cents hommes de garnison, et 2 à 300,000 liv. pour fortifier un monticule voisin, et cette ville sera susceptible de soutenir un très-long siège.

Loretto contenait un trésor à peu près de 3,000,000 liv. tournois, ils nous ont laissé à peu près pour un million sur les sept; je vous envoie de plus la madone avec toutes les reliques. Cette caisse vous sera directement adressée, et vous en ferez l'usage que vous jugerez convenable; la madone est de bois.

La province de Macereta, connue plus communément sous le nom de Marche d'Ancône, est une des plus belles et sans contredit la plus riche des états du pape. Nos troupes seront, j'espère, ce soir à Foligno, et passeront la journée de demain à se réunir au deuxième bataillon de la soixante-troisième qui était à Livourne, et que j'ai fait venir. Voici ce que je compte faire:

J'accorderai la paix au pape, moyennant qu'il cédera en toute propriété à la république la légation de Bologne, la légation de Ferrare, la légation de Romagne, le duché d'Urbin et la Marche d'Ancône, et qu'il nous paiera, 1°. les 3,000,000 valeur du trésor de Loretto; 2°. les 15,000,000 valeur de ce qui reste dû pour l'armistice; il donnera tous les chevaux de cavalerie, tous les chevaux de son artillerie; qu'il chassera Colli et tous les Autrichiens, et nous donnera les armes de tous les nouveaux régimens créés depuis l'armistice. Si cela n'est pas accepté, j'irai à Rome.

Je préfère l'accommodement à aller à Rome, 1°. parce que cela m'évitera une discussion qui peut être très-sérieuse avec le roi de Naples; 2°. parce que le pape et tous les princes se sauvant de Rome, je ne pourrai jamais en tirer ce que je demande; 3°. parce que Rome ne peut pas exister long-temps dépouillée de ses belles provinces: une révolution s'y fera toute seule. 4°. Enfin la cour de Rome nous cédant tous ses droits sur ce pays, on ne pourra pas, à la paix générale, regarder cela comme un succès momentané, puisque ce sera une chose très-finie; et enfin cela nous donnera la division qui est ici, disponible tout de suite pour les opérations du Frioul, et me donnera le temps, avant d'être entré en lutte avec les Autrichiens, de conclure quelque article secret avec le sénat de Venise.

Je vous enverrai incessamment la seconde lettre que vient de m'écrire le cardinal Mattei.

Rien de nouveau, de bien intéressant dans le Tyrol, ni sur la Piave, si ce n'est des escarmouches, dont l'état-major vous fait passer le bulletin.

Je vous enverrai l'inventaire de l'artillerie trouvée à Mantoue, Ancône et autres places.

J'attends toujours Villemansy avec la plus grande impatience. Nous avons besoin d'un homme qui ait le sens commun dans cette place: tous ceux que j'ai vus depuis le commencement de la campagne, sont à peine bons pour être commissaires dans une place.

Verninac est arrivé à Naples, je lui répondrai du moment que le chemin sera libre, pour lui indiquer la route qu'il doit tenir.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Tolentino, le 29 pluviose an 5 (17 février 1797).

Au général Joubert.

Vous avez dû recevoir, citoyen général, la onzième demi-brigade et la cinquième: la vingt-sixième d'infanterie légère doit être, à l'heure qu'il est, à Verone; elle a ordre de suivre la cinquième, devant être de la même division avec ces dernières brigades. J'avais pensé que le quartier-général de cette division devait être à Borgo de Val-Sugano; cependant, si vous croyez qu'il serait mieux placé à Levico ou à Pergine, je vous autorise à donner des ordres en conséquence.

J'ai reçu votre lettre du 21 pluviose, je vous engage à réfléchir et à observer davantage les localités; car je ne conçois pas que, votre ligne du Lawis forcée, et votre mouvement de retraite exécuté pendant la nuit, vous n'ayez pas une position intermédiaire la plus rapprochée possible de cette première, où vous puissiez vous tenir toute la journée, remettre ensemble vos troupes, et recevoir les hommes éparpillés ou les corps qui n'auraient pas pu rejoindre dans la nuit; la nuit suivante, vous remettre en marche, s'il le faut, et reprendre la ligne de Mori et de Torbole, et là tenir en échec l'ennemi plusieurs jours; enfin, arriver à la Corona, au camp retranché de Castel-Novo, et enfin sous les murs de Mantoue ou de Verone: agir autrement, ce ne serait pas faire la guerre, dont l'art ne consiste qu'à gagner du temps lorsqu'on a des forces inférieures. Pour empêcher l'ennemi d'attaquer d'abord Torbole et Mori, le moyen qui m'a paru le plus clair était de faire construire un pont sur l'Adige et d'en retrancher la tête: ce pont devrait être situé entre Roveredo et Trente. Par ce moyen, l'ennemi ne peut rien tenter sur Mori et Torbole, même après avoir forcé le général Rey, qui doit toujours exécuter sa retraite sur Torbole.

Je vous prie de me répondre positivement à cette question: Y a-t-il, de Torbole à Mori, une bonne ligne? Elle servirait par le lac et par l'Adige, et j'avais ordonné: 1°. que l'on ferait à cette ligne tous les travaux nécessaires; 2°. qu'on y construirait dans l'endroit le plus favorable une redoute avec des coupures de chemins, de manière que cela fît la même position que la Chiusa et Rivoli, à l'exception que l'ennemi n'étant pas sur la rive du côté de Mori, on n'a pas besoin d'autant de forces pour défendre ce point, que pour le plateau de Rivoli.

Je vous prie de relire l'instruction que je vous ai fait passer au moment de votre entrée à Trente, et d'en faire strictement les préparatifs, cela tenant à un système général de guerre pour la campagne dans laquelle nous allons entrer, me reposant entièrement sur vous et sur le commandant du génie, auquel j'ai donné ordre de se rendre à Trente; sur les positions à tenir et sur l'application des idées générales contenues dans mon instruction.

Mon principe pour la défense du Tyrol est, dès l'instant que vous êtes obligé d'évacuer Trente, de vous rallier en avant de Roveredo, occupant, avec toute la division Rey, les hauteurs de Mori: rallié là pendant toute une journée, passer l'Adige et placer les trois divisions entre l'Adige, Mori et Torbole, plaçant seulement quelques pièces de canon et quelques détachemens dans les endroits les plus étroits entre Mori et Rivoli, pour empêcher l'ennemi de pouvoir se porter sur Ala, et même y construire, dans l'endroit le plus favorable, une bonne redoute, ayant soin de pratiquer des coupures de tous les côtés, et vis-à-vis de laquelle on doit avoir un pont avec une tête très-bien retranchée. Qui est maître d'une rive de l'Adige et a un pont, est maître des deux rives. Lorsqu'ensuite l'occupation de la ligne de Torbole et Mori par suite des événemens qui peuvent arriver aux autres divisions de l'armée, deviendrait inutile, alors Mantoue, Peschiera, ou une place quelconque, offrent une protection à la division.

La ligne de Rivoli ne peut donc plus me servir de rien, à moins que ce ne soit comme ligne de passage pour gagner quelques jours de temps: cette ligue est trop éloignée des gorges de la Brenta, pour que le corps d'armée puisse jamais être secouru par un mouvement de flanc sur Trente: au lieu que celle de Mori, avec un pont qui permet de passer de l'autre côté, aide aux divisions, qui, par un mouvement rétrograde, enfileraient les gorges de la Brenta, pour se porter sur les flancs de l'ennemi à Trente. En voilà assez, je crois, pour vous faire sentir l'importance de la position de Mori; il faut que l'art y seconde la nature. S'il arrivait une circonstance où vous puissiez être forcé dans la ligne de Torbole, plus tôt que dix jours après l'avoir été au Lawis, la campagne serait manquée.

Sous peu de jours, je serai de retour à l'armée, où je sens que ma présence devient nécessaire. L'armée est à trois jours de Rome, je suis en traité avec cette prêtraille, et, pour cette fois-ci, le Saint-Père sauvera encore sa capitale, en nous cédant ses plus beaux états et de l'argent, et, par ce moyen, nous sommes en mesure pour exécuter la grande tâche de la campagne prochaine.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Tolentino, le 30 pluviose an 5 (18 février 1797).

Au directoire exécutif.

Nos troupes se sont emparées de l'Ombrie et du pays de Perrugia; nous sommes maîtres aussi de la petite province de Camerino.

Je rencontre ici le cardinal Mattei, le neveu du pape, le marquis Massimo, et monsieur Galeppi, qui viennent avec des pleins pouvoirs du pape pour traiter.

On m'a écrit de Venise que le prince Charles est arrivé à Trieste, et que, de tous côtés, les troupes autrichiennes sont en marche pour renforcer l'armée ennemie.

Je vous ai instruit, par ma dernière dépêche, que les douze demi-brigades que vous m'envoyez, ne faisaient pas dix-neuf mille hommes. Le ministre de la guerre vient d'écrire au général Kellermann de garder deux mille hommes et de faire retourner un régiment de cavalerie à l'armée du Rhin. Voilà donc les trente mille hommes que vous m'annonciez rendus à dix-sept mille hommes: c'est un très-beau renfort pour l'armée d'Italie! mais cela me rend trop faible pour pouvoir me diviser en deux corps d'armée, et exécuter le plan de campagne que je m'étais proposé.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Tolentino, le 1er ventose an 5 (19 février 1797).

Au directoire exécutif.

Je vous fais passer, citoyens directeurs, le rapport du citoyen Monge, que j'ai envoyé à Saint-Marin, avec le discours qu'il a prononcé lorsque les douze drapeaux pris sur le pape et cinq drapeaux autrichiens, reste de ceux pris aux dernières affaires, ont été apportés.

Le général Bernadotte est arrivé, et sa division se réunit à Padoue; le calcul que j'avais fait, de porter les demi-brigades à quinze cents hommes, l'une portant l'autre, se vérifie.

Je vous demande le grade de général de brigade pour l'adjudant-général Duphot, qui a eu, dans ces différentes affaires, cinq chevaux tués sous lui: c'est un de nos plus braves officiers.

Le pape a ratifié le traité de paix conclu à Tolentino; dès que j'en aurai l'original, je vous l'expédierai.

Le roi de Sardaigne a approuvé le traité d'alliance offensive et défensive conclu par le général Clarke, qui, dans des lettres très-détaillées, vous expose les différentes démarches qu'il a faites pour arriver à des négociations de paix. Il nous a paru que l'on ne pouvait pas à la fois entamer une négociation de paix séparée avec Vienne, et prêter l'oreille à la proposition qui serait faite à l'ouverture d'un congrès: tant que la cour de Vienne aura l'espoir d'obtenir de nous l'ouverture d'un congrès, elle n'entendra jamais des propositions de paix séparée.

Nous ne porterons jamais la cour de Vienne à entrer en négociation avec nous, qu'en nous prononçant décidément contre l'ouverture d'un congrès, qui, par la lenteur des formes, ne pourrait pas éviter la campagne qui va s'ouvrir, et qu'un esprit d'humanité et de philosophie, qui, malheureusement, n'est pas partagé par l'empereur, vous fait désirer d'éviter.

Je fais travailler à l'armement et aux approvisionnemens de Mantoue, dans le même temps que je fais travailler aux mines pour la détruire. Notre position en Italie me paraît fort satisfaisante.

Je n'ai pas été à Milan depuis la prise de Mantoue, parce que les habitans de la Lombardie attendent mon arrivée, et espèrent que je vais leur permettre la réunion de leurs assemblées primaires.

Le moment d'exécuter vos ordres pour Venise n'est pas encore arrivé; il faut, avant, ôter toute incertitude sur le sort des combats que les deux armées vont avoir à se livrer; je désirerais même que la flottille que le ministre de la marine me promet, fût arrivée dans l'Adriatique.

J'ai nommé le citoyen Meuron, qui nous a rendu des services sur le lac de Garda, consul de la république à Ancône: je vous prie de le confirmer.

J'espère, avant quinze jours, indépendamment de la corvette la Brune, qui est arrivée dans l'Adriatique, avoir une vingtaine de corsaires à Ancône; ce qui nous rendra maîtres du commerce de l'Adriatique.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Tolentino, le 1er ventôse an 5 (19 février 1797).

À Sa Sainteté le Pape Pie VI.

Je dois remercier Votre Sainteté des choses obligeantes contenues dans la lettre qu'elle s'est donné la peine de m'écrire.

La paix entre la république française et Votre Sainteté vient d'être signée, je me félicite d'avoir pu contribuer à son repos particulier.

J'engage Votre Sainteté à se méfier des personnes qui sont à Rome, vendues aux cours ennemies de la France, ou qui se laissent exclusivement guider par les passions haineuses, qui entraînent toujours la perte des états.

Toute l'Europe connaît les inclinations pacifiques et les vertus conciliatrices de Votre Sainteté. La république française sera, j'espère, une des amies les plus vraies de Rome.

J'envoie mon aide-de-camp, chef de brigade, pour exprimer à Votre Sainteté l'estime et la vénération parfaites que j'ai pour sa personne, et je la prie de croire au désir que j'ai de lui donner, dans toutes les occasions, les preuves de respect et de vénération avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Bassano, le 20 ventose an 5 (10 mars 1797).

Aux soldats de l'armée d'Italie.

La prise de Mantoue vient de finir une campagne qui vous a donné des titres éternels à la reconnaissance de la patrie.

Vous avez remporté la victoire dans quatorze batailles rangées et soixante-dix combats; vous avez fait plus de cent mille prisonniers, pris à l'ennemi cinq cents pièces de canon de campagne, deux mille de gros calibre, quatre équipages de pont.

Les contributions mises sur les pays que vous avez conquis ont nourri, entretenu, soldé l'armée pendant toute la campagne; vous avez en outre envoyé trente millions au ministre des finances pour le soulagement du trésor public.

Vous avez enrichi le Muséum de Paris de plus de trois cents objets, chefs-d'oeuvre de l'ancienne et nouvelle Italie, et qu'il a fallu trente siècles pour produire.

Vous avez conquis à la république les plus belles contrées de l'Europe; les républiques Lombarde et Cispadane vous doivent leur liberté; les couleurs françaises flottent pour la première fois sur les bords de l'Adriatique, en face et à vingt-quatre heures de navigation de l'ancienne Macédoine; les rois de Sardaigne, de Naples, le pape, le duc de Parme se sont détachés de la coalition de nos ennemis, et ont brigué notre amitié; vous avez chassé les Anglais de Livourne, de Gênes, de la Corse...; mais vous n'avez pas encore tout achevé, une grande destinée vous est réservée: c'est en vous que la patrie met ses plus chères espérances, vous continuerez à en être dignes.

De tant d'ennemis qui se coalisèrent pour étouffer la république, à sa naissance, l'empereur seul reste devant nous. Se dégradant lui-même du rang d'une grande puissance, ce prince s'est mis à la solde des marchands de Londres; il n'a plus de politique, de volonté que celle de ces insulaires perfides, qui, étrangers aux malheurs de la guerre, sourient avec plaisir aux maux du continent.

Le directoire exécutif n'a rien épargné pour donner la paix à l'Europe; la modération de ses propositions ne se ressentait pas de la force de ses armées: il n'avait pas consulté votre courage, mais l'humanité et l'envie de vous faire rentrer dans vos familles; il n'a pas été écouté à Vienne; il n'est donc plus d'espérances pour la paix, qu'en allant la chercher dans le coeur des états héréditaires de la maison d'Autriche. Vous y trouverez un brave peuple accablé par la guerre qu'il a eue contre les Turcs, et par la guerre actuelle. Les habitans de Vienne et des États de l'Autriche gémissent sur l'aveuglement et l'arbitraire de leur gouvernement; il n'en est pas un qui ne soit convaincu que l'or de l'Angleterre a corrompu les ministres de l'empereur. Vous respecterez leur religion et leurs moeurs, vous protégerez leurs propriétés; c'est la liberté que vous apporterez à la brave nation hongroise.

La maison d'Autriche, qui, depuis trois siècles, va perdant à chaque guerre une partie de sa puissance, qui mécontente ses peuples, en les dépouillant de leurs privilèges, se trouvera réduite, à la fin de cette sixième campagne (puisqu'elle nous contraint à la faire) à accepter la paix que nous lui accorderons, et à descendre, dans la réalité, au rang des puissances secondaires, où elle s'est déjà placée en se mettant aux gages et à la disposition de l'Angleterre.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Bassano, le 20 ventose an 5 (10 mars 1797).

À M. Bataglia, provéditeur-général de la république de Venise à Verone.

J'ai été douloureusement affecté en apprenant que la tranquillité publique est troublée à Brescia. J'espère que, moyennant la sagesse des mesures que vous prendrez, il n'y aura pas de sang de répandu. Vous savez que, dans la position actuelle des esprits en Europe, les persécutions ne feraient qu'autoriser les mécontens contre le gouvernement.

Dans la plupart des villes de l'état vénitien, il y a des personnes qui montrent à chaque instant leur partialité pour les Autrichiens, qui ne cessent de maudire et de se montrer très-indisposées contre les Français. Quelques-unes, mais en petit nombre, paraissent préférer les moeurs et l'affabilité des Français à la rudesse des Allemands. Il serait injuste de punir ces derniers et de leur faire un crime de la partialité que l'on ne trouve pas mauvaise en faveur des Allemands.

Le sénat de Venise ne peut avoir aucune espèce d'inquiétude, devant être bien persuadé de la loyauté du gouvernement français, et du désir que nous avons de vivre en bonne amitié avec votre république; mais je ne voudrais pas que, sous prétexte de conspiration, l'on jetât sous les plombs du palais de Saint-Marc tous ceux qui ne sont pas ennemis déclarés de l'armée française, et qui nous auront, dans le cours de cette campagne, rendu quelques services.

Désirant pouvoir contribuer à rétablir la tranquillité et ôter toute espèce de méfiance entre les deux républiques, je vous prie, monsieur, de me faire connaître le lieu où je pourrai avoir l'honneur de vous voir, ainsi que de croire aux sentimens d'estime et de considération, etc.

BONAPARTE.

Sacile, le 25 ventose an 5 (15 mars 1797).

Instruction pour la conduite à tenir dans le Tyrol.

ART. 1er. Confirmer par une proclamation toutes les lois et tous les magistrats existans.

2. Ordonner, par une proclamation, que l'on continue, comme à l'ordinaire, l'exercice public du culte de la religion.

3. Beaucoup cajoler les prêtres, et chercher à se faire un parti parmi les moines, en ayant soin de bien distinguer les théologiens et les autres savans qui peuvent exister parmi eux.

4. Parler en bien de l'empereur, dire beaucoup de mal de ses ministres et de ceux qui le conseillent.

5. Donner un ordre pour que tous les Tyroliens qui ont été au service de l'empereur rentrent chez eux, et leur assurer la protection et la sauve-garde de la république.

6. Dès l'instant qu'on serait maître de Brixen et de tous les pays en deçà des hautes montagnes, y établir une commission de gouvernement, à laquelle vous donnerez le nom et l'organisation consacrés dans le pays, que vous chargerez de percevoir toutes les impositions qui se percevaient pour le compte de l'empereur, et qu'elle versera, sous sa responsabilité, dans la caisse de l'armée.

7. Ne prendre ni les monts-de-piété, ni les caisses qui appartiendront aux villes, mais seulement les caisses et magasins appartenant à l'empereur; enfin, avoir beaucoup d'aménité et chercher à se concilier les habitans.

8. À ces mesures on joindra celle d'exécuter avec rigueur le désarmement, de prendre des otages dans les endroits où on le croirait nécessaire, et de mettre des impositions en forme de contributions sur les villages qui se conduiraient mal, et où il y aurait eu de nos soldats assassinés.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Valdasone, le 27 ventose an 5 (17 mars 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Depuis la bataille de Rivoli, l'armée d'Italie occupait les bords de la Piave et du Lawis; l'armée de l'empereur, commandée par le prince Charles, occupait l'autre rive de la Piave, avait son centre placé derrière le Cordevole, et appuyait sa droite à l'Adige du côté de Bellune.

Le 20, au matin, la division du général Masséna se rend à Feltre: l'ennemi, à son approche, évacue la ligne de Cordevole et se porte sur Bellune.

La division du général Serrurier se porte à Asolo, elle est assaillie par un temps horrible; mais le vent et la pluie, à la veille d'une bataille, ont toujours été pour l'armée d'Italie un présage de bonheur.

Le 23, à la pointe du jour, la division passe la Piave vis-à-vis le village de Vidor: malgré la rapidité et la profondeur de l'eau, nous ne perdons qu'un jeune tambour. Le chef d'escadron Lasalle, à la tête d'un détachement de cavalerie, et l'adjudant général Leclerc, à la tête de la vingt-unième demi-brigade d'infanterie légère, culbutent le corps ennemi, qui voulait s'opposer à notre passage, et se portent rapidement à San-Salvador. Mais l'ennemi, au premier avis du passage, a craint d'être cerné, et a évacué son camp de Capanna.

Le général Guieux, à deux heures après midi, passe la Piave à Ospedalleto, et arrive le soir à Conegliano: un soldat entraîné par le courant est sur le point de se noyer; une femme attachée à la cinquante-unième se jette à la nage et le sauve; je lui ai fait présent d'un collier d'or, auquel sera suspendue une couronne civique avec le nom du soldat qu'elle a sauvé.

Notre cavalerie, dans cette journée, rencontre plusieurs fois celle de l'ennemi, et a toujours l'avantage; nous prenons quatre-vingts hussards.

Le 23, le général Guieux, avec sa division, arrive à Sacile, tombe sur l'arrière-garde ennemie, et, malgré l'obscurité de la nuit, lui fait cent prisonniers. Un corps de hulans demande à capituler; le citoyen Sciebeck, chef d'escadron, s'avance et reste mort; le général Dugua, commandant la réserve, est légèrement blessé.

Cependant, la division du général Masséna arrive à Bellune, poursuit l'ennemi qui s'est retiré du côté de Cadore, enveloppe son arrière-garde, fait sept cents prisonniers, parmi lesquels cent hussards, un colonel, et le général Lusignan, qui commandait tout le centre. Le dixième de chasseurs se distingue comme à son ordinaire. M. de Lusignan s'est couvert d'opprobre par la conduite qu'il tint à Brescia envers nos malades; j'ordonne qu'il soit conduit en France sans pouvoir être échangé.

Le 26, la division du général Guieux part de Pardenone, à cinq heures du matin; celle du général Bernadotte part de Sacile, à trois heures du matin; celle du général Serrurier part de Sassiano, à quatre heures du matin: tous se dirigent sur Valvasone.

La division du général Guieux dépasse Valvasone et arrive sur le bord du Tagliamento, à onze heures du matin. L'armée ennemie est retranchée de l'autre côté de la rivière, dont elle prétend nous disputer le passage. Mon aide-de-camp, chef d'escadron Croisier, va, à la tête de vingt-cinq guides, à la reconnaissance jusqu'aux retranchemens; il est accueilli par la mitraille.

La division du général Bernadotte arrive à midi: j'ordonne sur-le-champ au général Guieux de se porter sur la gauche pour passer la rivière à la droite des retranchemens ennemis, sous la protection de douze pièces d'artillerie. Le général Bernadotte doit la passer sur la droite; l'une et l'autre de ces divisions forment leurs bataillons de grenadiers, se rangent en bataille, ayant chacune une demi-brigade d'infanterie légère en avant, soutenue par deux bataillons de grenadiers, et flanquée par la cavalerie. L'infanterie légère se met en tirailleurs; le général Dommartin, à la gauche, et le général Lespinasse à la droite, font avancer leur artillerie, et la canonnade s'engage avec la plus grande vivacité; j'ordonne que chaque demi-brigade ploie, en colonne serrée sur les ailes de son second bataillon, ses premier et troisième bataillons.

Le général Duphot, à la tête de la vingt-septième d'infanterie légère, se jette dans la rivière; il est bientôt de l'autre côté. Le général Bon le soutient avec les grenadiers de la division du général Guieux. Le général Murat fait le même mouvement sur la droite, et est également soutenu par les grenadiers de la division Bernadotte. Toute la ligne se met en mouvement, chaque demi-brigade par échelon, des escadrons de cavalerie en arrière des intervalles. La cavalerie ennemie veut, plusieurs fois, charger notre infanterie, mais sans succès; la rivière est passée et l'ennemi est partout en déroute. Il cherche à déborder notre droite avec sa cavalerie, et notre gauche avec son infanterie, j'envoie le général Dugua et l'adjudant-général Kellermann à la tête de la cavalerie de réserve: aidés par notre infanterie, commandée par l'adjudant-général Mireur, ils culbutent la cavalerie ennemie, et font prisonnier le général qui la commande.

Le général Guieux fait attaquer le village de Gradisca, et malgré les ombres de la nuit, s'en empare, et met l'ennemi dans une déroute complète; le prince Charles n'a que le temps de se sauver.

La division du général Serrurier, à mesure qu'elle arrive, passe la rivière, et se met en bataille pour servir de réserve.

Nous avons pris à l'ennemi, dans cette journée, six pièces de canon, un général, plusieurs officiers supérieurs, et fait quatre ou cinq cents prisonniers.

La promptitude de notre déploiement et de notre manoeuvre, la supériorité de notre artillerie épouvantèrent tellement l'armée ennemie, qu'elle ne tint pas et profita de la auit pour fuir.

L'adjudant-général Kellermann a reçu plusieurs coups de sabre en chargeant, à la tête de la cavalerie, avec son courage ordinaire.

Je vais m'occuper de récompenser les officiers qui se sont distingués dans ces différentes affaires.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Gradisca, le 30 ventose an 5 (20 mars 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte du passage de la Piave, des combats de Longara, de Sacile, et de la journée du Tagliamento.

Le 28, la division du général Bernadotte part à trois heures du matin, dépasse Palma-Nova, et prend position sur le torrent de la Torre, où les hussards se rencontrent.

La division du général Serrurier prend position sur la droite, celle du général Guieux sur la gauche; j'envoie le citoyen Lasalle, avec le vingt-quatrième de chasseurs, à Voine.

L'ennemi, à notre approche, évacue Palma-Nova, où nous trouvons trente mille rations de pain et mille quintaux de farine en magasin: il y avait dix jours que le prince Charles s'était emparé de cette place, appartenant aux Vénitiens; il voulait l'occuper, mais il n'avait pas eu le temps de s'y établir.

Le général Masséna arrive à Saint-Daniel, à Osopo, à Gemona, et pousse son avant-garde dans les gorges.

Le 29, le général Bernadotte s'avance et bloque Gradisca; le général Serrurier se porte vis-à-vis San-Pietro pour passer l'Isonzo; l'ennemi a plusieurs pièces de canon et quelques bataillons de l'autre côté pour en défendre le passage.

J'ordonne différentes manoeuvres, qui épouvantent l'ennemi, et le passage s'exécute sans opposition. Je ne dois pas oublier le trait de courage du citoyen Andréossy, chef de brigade d'artillerie, que je charge de reconnaître si la rivière est guéable; il se précipite lui-même dans l'eau, et la passe et la repasse à pied. Cet officier est d'ailleurs distingué par ses talens et ses connaissances étendues.

Passage de l'Isonzo et prise de Gradisca.

Le général Serrurier se porte sur Gradisca en suivant les crêtes supérieures qui dominent cette ville.

Pour amuser pendant ce temps-là l'ennemi et l'empêcher de s'apercevoir de sa manoeuvre, le général Bernadotte fait attaquer, par des tirailleurs, les retranchemens ennemis; mais nos soldats, emportés par leur ardeur naturelle, s'avancent, la baïonnette en avant, jusque sous les murs de Gradisca. Ils sont reçus par une forte fusillade et de la mitraille. Le général Bernadotte, obligé de les soutenir, fait avancer quatre pièces de canon pour enfoncer les portes; mais elles sont couvertes par une flèche bien retranchée.

Cependant le général Serrurier arrive sur les hauteurs qui maîtrisent Gradisca, rend toute retraite impossible à la garnison; l'ennemi n'a donc plus ni probabilité de se défendre, ni espoir de s'échapper; le général Bernadotte lui fait la sommation que je vous envoie, et il capitule.

Trois mille prisonniers, l'élite de l'armée du prince Charles, dix pièces de canon, huit drapeaux sont le fruit de cette manoeuvre. Nous avons en même temps passé l'Isonzo et pris Gradisca.

La division du général Bernadotte s'est conduite avec un courage qui nous est un garant de nos succès à venir. Le général Bernadotte, ses aides-de-camp, ses généraux ont bravé tous les dangers. Je vous demande le grade de général de brigade pour l'adjudant-général Mireur.

Le général Bernadotte se loue beaucoup du général Murat, commandant son avant-garde, du général Friand, de l'adjudant-général Mireur, du citoyen Campredon, commandant du génie; du citoyen Zaillot, commandant l'artillerie; du citoyen Lahure, chef de la quinzième demi-brigade d'infanterie légère; du citoyen Marin, et des deux frères Conroux. Le citoyen Duroc, mon aide-de-camp, capitaine, s'est conduit avec la bravoure qui caractérise l'état major de l'armée d'Italie.

Le citoyen Miquet, chef de la quatre-vingt-huitième demi-brigade, a été blessé.

Combat de Casasola.

La division du général Masséna s'empare du fort de la Chiusa, rencontre l'ennemi, qui veut lui disputer le passage du pont de Casasola. Ses tirailleurs font replier ceux de l'ennemi, et un instant après les grenadiers des trente-deuxième et cinquante-septième demi-brigades, en colonne serrée, forcent ce pont, culbutent l'ennemi malgré ses retranchemens et ses chevaux de frise, le poursuivent jusqu'à la Ponteba, et lui font six cents prisonniers, tous des régimens nouvellement venus du Rhin; tous les magasins que l'ennemi avait de ce côté tombent en notre pouvoir.

Les chasseurs du dixième régiment, le sabre à la main, foncent dans les retranchemens ennemis, et acquièrent un nouveau titre à l'estime de l'armée.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Goritz, le 2 germinal an 5 (22 mars 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Nous sommes entrés hier dans Goritz: l'armée ennemie a effectué sa retraite avec tant de précipitation, qu'elle a laissé dans nos mains quatre hôpitaux contenant quinze cents malades, et tous les magasins de vivres et de munitions de guerre, dont je vous ferai passer l'état par le premier courrier.

La division du général Bernadotte s'est rendue hier à Camiza, son avant-garde et l'arrière-garde ennemie se sont rencontrées à Caminia; le dix-neuvième régiment de chasseurs à cheval a chargé l'ennemi avec une telle impétuosité, qu'il lui a fait cinquante hussards prisonniers, avec leurs chevaux. Le général Masséna a poursuivi l'ennemi jusqu'à la Ponteba.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Goritz, le 4 germinal an 5 (24 mars 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Je vous fais passer l'état des objets que nous avons trouvés à Goritz. Je vous enverrai par le prochain courrier l'état de ce que nous avons trouvé à Trieste.

Nous sommes maîtres des célèbres mines d'Idria; nous y avons trouvé des matières préparées pour deux millions, on va s'occuper à les charroyer. Si cette opération se fait sans accident, elle sera fort utile à nos finances.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Goritz, le 4 germinal an 5 (24 mars 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Le général Guieux, avec sa division, se rendit, le 2, de Cividal à Caporeto; il rencontra l'ennemi retranché à Pufero, l'attaqua, lui prit deux pièces de canon, et lui fit une centaine de prisonniers, et le poursuivit dans les gorges de Caporeto à la Chiusa autrichienne, en laissant le champ de bataille couvert d'Autrichiens.

Cependant le général Masséna, avec sa division, est à Tarwis; j'ai donc lieu d'espérer que les deux mille hommes que le général Guieux a poussés devant lui tomberont dans les mains de la division Masséna.

Le général de division Dugua est entré hier soir dans Trieste.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Goritz, le 4 germinal an 5 (24 mars 1797).

Au directoire exécutif.

M. Pezar, sage grand de la république de Venise, a été envoyé ici, accompagné d'un sage de terre-ferme; il est revenu relativement aux événemens de Brescia et de Bergame. Les peuples de ces deux villes ont désarmé la garnison vénitienne, et chassé les provéditeurs de la république de Venise. Un germe d'insurrection gagne toutes les têtes de cette république. Je vous envoie une lettre que m'avait écrite précédemment M. Battaglia, provéditeur de la république de Venise, et la réponse que je lui ai faite. Ma conduite avec M. Pezaro était assez délicate: ce n'est pas dans un moment où Palma-Nova n'est pas encore approvisionné et armé, où nous avons besoin de tous les secours du Frioul, et de toute la bonne volonté des gouvernemens vénitiens pour nous approvisionner dans les défilés de l'Allemagne, qu'il fallait nous brouiller. Il ne fallait pas non plus qu'ils pussent envoyer quatre ou cinq mille hommes, et écraser les personnes qui, à Brescia et à Bergame, nous sont attachées, quoique je n'approuve pas leur conduite, et que je croie que leur insurrection nous est, dans le moment, très-nuisible; mais le parti ennemi de la France est, dans ces différentes villes, si acharné contre nous, que, s'il prenait le dessus, il faudrait être en guerre ouverte avec toute la population. J'ai dit à M. Pezaro que le directoire exécutif n'oubliait pas que la république de Venise était l'ancienne alliée de la France; que nous avions un désir bien formé de la protéger de tout notre pouvoir. J'ai demandé seulement d'épargner l'effusion du sang, et de ne pas faire un crime aux citoyens vénitiens qui avaient plus d'inclination pour l'armée française que pour l'armée impériale; que nous ne soutenions pas les insurgés, qu'au contraire je favoriserais les démarches que ferait le gouvernement; mais que je croyais que, comme ils avaient envoyé un courrier au directoire exécutif, il serait bon peut-être d'en attendre le retour, parce que je croyais que la seule intervention de la France dans ces affaires pourrait ramener les esprits sans avoir besoin de recourir aux armes. Nous nous sommes quittés bons amis, il m'a paru fort content. Le grand point, dans tout ceci, est de gagner du temps. Je vous prie, pour ma règle, de me donner une instruction détaillée.

Les villes d'Ancone, du duché d'Urbin, de la province de Macerata, m'accablent de députations pour me demander à ne pas retourner sous l'autorité papale. La révolution gagne véritablement toutes les têtes en Italie; mais il faudrait encore bien du temps pour que les peuples de ces pays pussent devenir guerriers et offrir un spectacle sérieux.

Je vous envoie un exemplaire de la constitution de la république cispadane.

Les Lombards sont très-impatiens; ils voudraient qu'on déclarât leur liberté, et qu'on leur permît également de se faire une constitution; ils soudoient, dans ce moment, quinze cents Polonais et deux mille hommes de la légion lombarde. L'un et l'autre de ces corps commencent à s'organiser assez Bien.

BONAPARTE.

Au quartier-général à Goritz, le 5 germinal an 5 (25 mars 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte, par mon dernier courrier, qu'une colonne de l'armée du prince Charles était cernée entre la division du général Masséna, qui était à Tarwis, et celle du général Guieux, qui, arrivé à Caporeto, le poussait devant lui dans les gorges.

Combat de Tarwis.

Le général Masséna, arrivé à Tarwis, fut attaqué par une division ennemie, partie de Clagenfurth, et qui venait au secours de la division qui était cernée. Après un combat extrêmement opiniâtre, il la mit en déroute, lui fit une grande quantité de prisonniers, parmi lesquels trois généraux. Les cuirassiers de l'empereur, arrivant du Rhin, ont extrêmement souffert.

Affaire de la Chiusa.—Prise de ce poste.

Cependant le général Guieux poussa la colonne qu'il avait battue à Pufero, jusqu'à la Chiusa autrichienne, poste extrêmement retranché, mais qui fut enlevé de vive force, après un combat très-opiniâtre, où se sont particulièrement distingués les généraux Bon, Verdier, et la quatrième demi-brigade, ainsi que la quarante-troisième. Le général Kablès défendait lui-même la Chiusa avec cinq cents grenadiers: par le droit de la guerre, les cinq cents hommes devaient être passés au fil de l'épée; mais ce droit barbare a toujours été méconnu et jamais pratiqué par l'armée française.

La colonne ennemie, voyant la Chiusa prise, activa sa marche, et tomba au milieu de la division du général Masséna, qui, après un léger combat, la fit toute prisonnière: trente pièces de canon, quatre cents chariots portant les bagages de l'armée, cinq mille hommes, quatre généraux, sont tombés en notre pouvoir.

Je m'empresse de vous faire part de cet événement, parce que, dans les circonstances actuelles, il est indispensable que vous soyez prévenu de tout sans retard. Je me réserve de vous rendre un compte plus détaillé de tous ces événemens dès l'instant que j'aurai recueilli tous les rapports, et que les momens seront moins pressans.

La chaîne des Alpes qui sépare la France et la Suisse de l'Italie, sépare le Tyrol italien du Tyrol allemand, les états de Venise des états de l'empereur, et la Carinthie du comté de Goritz et de Gradisca. La division Masséna a traversé les Alpes italiques, et est venue occuper le débouché des Alpes nordiques. Nos ennemis ont eu la maladresse d'engager tous leurs bagages et une partie de leur armée par les Alpes nordiques, qui dès lors se sont trouvés pris.

Le combat de Tarwis s'est donné au-dessus des nuages, sur une sommité qui domine l'Allemagne et la Dalmatie; dans plusieurs endroits où notre ligne s'étendait, il y avait trois pieds de neige, et la cavalerie, chargeant sur la glace, a essuyé des accidens dont les résultats ont été extrêmement funestes à la cavalerie ennemie.

BONAPARTE.

Œuvres de Napoléon Bonaparte (Tome I-V)

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