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CHAPITRE PREMIER
UNE VIVE DOULEUR

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Table des matières

A genoux devant l’autel où brûlait le feu sacré, j’y versais tous les parfums de mon cœur; tout ce que Dieu peut donner à l’homme de force, de vertu, d’enivrement, je le consumais et le rallumais sans cesse à cette flamme qu’un autre amour attisait. Aujourd’hui le feu sacré est éteint. Une pâle fumée s’élève et cherche la flamme qui n’est plus!…

GEORGE SAND.

–Oh! quelle souffrance; comment pourrai-je la surmonter?

En murmurant ces paroles, une jeune fille, la tête inclinée sur ses genoux, se livrait au plus violent désespoir.

–Demain, disait-elle, demain, il faudra que, le cœur brisé, saignant, j’assiste l’air calme et joyeux à ce mariage… Pourquoi donc ma vie a-t-elle déjà connu tant d’amertume?

Aimer, se croire aimée et voir celui qui possédait votre amour en épouser une autre! Reconnaître que l’élu de son cœur, doué par l’imagination des qualités les plus précieuses, est le plus vil des hommes: Quel cruel désenchantement!

Et elle comprimait ses sanglots.

Témoin de cette vive affection, un jeune ouvrier en blouse, d’une taille élevée, brun, robuste, les traits réguliers, accentués, énergiques, révélant son origine méridionale, se tenait à quelque distance, dans un profond étonnement, n’osant ni reculer, ni avancer, de peur de trahir sa présence.

–Que ferai-je donc pour maîtriser ma douleur? dit-elle en se relevant tout à coup; comme je souffre!!

Elle s’aperçut qu’elle n’était pas seule, essuya vivement les larmes qui couvraient son visage, et d’une voix encore oppressée:

–Toi, ici, Cyprien, serait-ce déjà l’heure?

–Oui, mademoiselle, dix heures viennent de sonner, mais nous pourrons remettre ma leçon à une autre fois.

–Non, tes progrès sont si lents déjà.

Et elle pensa:

–Ce sera une diversion pour mes tristes pensées.

–Mademoiselle, je crois que vous ne m’apprendrez jamais à lire, malgré la peine que vous vous donnez pour moi: Il est vrai que je comprends mieux mille et mille choses, grâce à vos bonnes explications. Mais la lecture et l’orthographe me paraissent vraiment trop difficiles.

–C’est triste de t’entendre parler ainsi, Cyprien. Il ne faut qu’un effort de volonté de ta part et à dix-neuf ans, la raison ne doit-elle pas t’aider à vaincre ta paresse!

Qu’est-ce qu’un homme qui ne sait pas lire aujourd’hui? C’est un aveugle de la civilisation qui toute sa vie marchera dans les ténèbres.

Sais-tu pourquoi tu ne fais aucun progrès? c’est que tu te laisses abrutir par l’ivresse. Te rappelles-tu ta conduite d’avant-hier? Dans quel état t’ai-je rencontré? As-tu entendu la voisine me crier: «Mademoiselle Franziella, regardez donc comme votre élève profite bien de vos leçons»? C’est une honte pour un homme, pour un Français de se déshonorer ainsi.

Le jeune ouvrier avait pâli et rougi tour à tour.

–Mademoiselle, reprit-il, j’ai le plus profond regret de ce qui s’est passé, le geste d’effroi que vous avez fait, en m’apercevant, m’a presque dégrisé; je vous promets que cela ne m’arrivera plus jamais.

–Quelle confiance avoir en toi que j’ai vu si souvent tomber dans ce vice immonde!

Comprend-on un être intelligent qui boit jusqu’à perdre conscience de lui-même. Comment s’avilir ainsi? L’âne du boulanger que tu as voulu frapper t’était bien supérieur, et comme je m’approchais pour le défendre, tu as failli me manquer de respect: tu m’as regardée en riant d’un air ignoble et hébété qui faisait horreur.

Tes camarades sont des sauvages qui te conduiront à l’infamie. Et si tu négliges ton travail pour aller te griser avec ces mauvais sujets, tu te feras renvoyer de l’atelier et tu seras sans pain.

–C’est déjà. fait, mademoiselle, depuis cinq jours, je suis sans ouvrage.

–Cinq jours! Que manges-tu donc alors?

–Mes amis m’emmènent avec eux.

– Et vous buvez, voilà ce que je ne veux pas, c’est à moi qu’il faut s’adresser dans cette occasion… et pour commencer aujourd’hui, dès que ta leçon sera finie, tu iras chercher de quoi déjeuner pour nous deux, comme tu as fait si souvent du temps de ta pauvre mère.

Mais nous perdons un temps précieux, j’ai assez prêché dans le désert, prends ton livre et essaie de lire.

Il s’assit avec la docilité d’un enfant, et de son doigt suivit la ligne, épelant avec la plus grande attention. Les reproches de la jeune fille lui avaient été très sensibles; il se sentait humilié et malheureux. Mais plus il avançait, plus les syllabes devenaient rebelles.

Assise derrière lui, Franziella était retombée dans sa tristesse, elle fermait les yeux et des larmes silencieuses coulaient sur ses joues pâlies par le chagrin.

Le jeune ouvrier allait se retourner pour appeler à son aide, lorsque, à la faveur d’une glace placée devant lui, il vit cette muette douleur.

Profondément ému, il se pencha de nouveau sur son livre, lut au hasard en se demandant:

–Qu’est-ce qui peut faire pleurer ainsi mademoiselle Franziella? Elle n’a pas de parents, elle est libre, elle est aimée et estimée de tous ceux qui la connaissent, elle a des élèves riches, des relations charmantes… comme je voudrais savoir ce qui l’afflige autant!

Un coup de sonnette retentit… Franziella tressaillit comme réveillée en sursaut. Avant qu’elle eût eu le temps de se lever, la clef tourna dans la serrure, et un homme d’une trentaine d’années, de petite stature, mais d’une distinction remarquable, pâle, maigre, les traits fatigués par les. veilles studieuses, les souffrances physiques et morales, entra.

–Hughes de Muraour, vous ici? fit-elle tout émue.

Il prit les mains de la jeune fille, les serra affectueusement.

–Oui, ma chère Franziella, ma visite ne doit pas te surprendre puisque l’horizon de ta vie s’est assombri; et il y a longtemps que j’aspire à une de ces longues causeries que nous aimions tant autrefois.

Elle se retourna vers l’ouvrier:

–Cyprien, dit-elle, va chercher ce dont nous sommes convenus et reviens dans une heure.

Il salua timidement l’étranger, qui le regardait avec une extrême attention et s’éloigna.

–Cher Hughes, comme je vous remercie, fit la jeune fille avec expansion, en le conduisant dans une chambre voisine où il s’assit avec un geste plein de lassitude.

Votre amitié est tout ce qui me reste, poursuivit-elle, mais c’est le bien le plus précieux. Aidez-moi de vos conseils, de votre expérience, quel prétexte inventer pour ne pas être témoin de cet odieux mariage?.

–Aucun, mon amie, tu dois y assister quand même; plus l’épreuve sera douloureuse, plus elle te sera salutaire.

–Je l’aimais tant! sanglota la jeune institutrice.

–Et il t’aimait si peu! Il est indigne de ton amour. N’oublie pas, Franziella, qu’il a la noblesse du nom, et toi celle de l’âme, double mésalliance. Il prend une femme laide, sotte, vaniteuse, d’une famille roturière, pour une riche dot… C’est ignoble, et cet homme est mon frère. Ah! je suis presque aussi humilié que toi.

Ne .pleure pas, je t’en supplie, surmonte vite cette faiblesse: tu es trop fière, tu as trop de valeur pour conserver une affection dont tu peux rougir. On se dégrade, on s’avilit en aimant un être méprisable.

Ta riche nature prodiguait ses trésors à une triste idole, à un dieu pétri du plus vulgaire limon. Déchire le bandeau de l’amour, rappelle-toi ce jeune homme toujours amoureux de lui-même, frivole à l’excès, prêt à combattre contre la France si nous ne l’avions retenu en1793. Aujourd’hui il se marie pour de l’or afin de sacrifier à la seule passion de sa vie… passion funeste entre toutes, cause de tant de deuils, de tant de suicides, de tant de déshonneurs… le jeu, auquel il se livre avec frénésie depuis quelque temps.

Je t’aime trop, Franziella, pour ne pas me réjouir de ton manque de fortune, il te fait échapper à l’existence la plus malheureuse.

Sache attendre jusqu’au jour où tu trouveras un homme de cœur, d’intelligence, digne de répondre à ton affection.

–C’est fini, je n’aimerai plus jamais, l’amour est éteint sans espoir de se rallumer jamais.

–Quelle erreur, mon amie, tu penses comme tous ceux qui sont à l’agonie de leur premier amour! Tu ne sais pas combien notre argile humaine est fragile, inconstante, facile à prendre mille empreintes; tu verras que le cœur humain, féminin surtout, ne peut vivre sans amour et que pour lui la fable du Phénix renaissant de ses cendres est éternellement vraie.

A chaque affection qui meurt en nous, nous traversons un hiver plus ou moins long, un désert plus ou moins aride, mais, à un jour donné, l’espérance reparaît, réchauffant l’atmosphère intérieure; des sentiments nouveaux se mettent à germer et nous aimons encore, avec plus de passion peut-être!… Est-ce que la vie serait possible sans cela?

Hughes parla encore, mettant toute son éloquence à consoler la jeune fille, à ranimer l’énergie de son caractère, et comme l’amitié vraie est un baume efficace pour les blessures de l’amour, il y réussit: elle s’arracha à elle-même pour parler à Hughes de ce qui l’intéressait, de sa fille Andrée.

–Vous me la donnerez demain, lui dit-elle, pour cacher ma pâleur, car le mal a en moi de profondes racines.

–Oui, Franziella, mais elle est bien souffrante en ce moment, chère petite sensitive. La peur de la perdre empoisonne ses plus tendres caresses. Elle t’aime passionnément, je suis si heureux quand tu es près d’elle; au foyer de ton cœur elle semble revivre.

Si sa santé se raffermit et que je puisse te confier son instruction, ma vie s’adoucira, car ta présence me fait du bien; mon cœur fermé pour tous à triples verrous, gonfle jusqu’à la douleur; mais je dois m’interdire de te voir: il n’y a que les natures d’élite pour comprendre que l’amitié est le seul lien entre un homme de mon âge et une jeune femme du tien; la plupart préfèrent calomnier l’amitié et L’amour à la fois.

–Ah! dit Franziella, c’est qu’ils ne sont pas capables de les ressentir et, comme certains insectes, ils corrompent tout ce qu’ils touchent. Et cependant, quand on traverse cette pénible chose appelée la vie, on voit bientôt que l’amour n’est que le partage des années orageuses de la jeunesse; c’est un embrasement qui souvent ne laisse que des ruines; tandis que l’amitié nous accompagne du berceau à la tombe: joie de l’enfant, consolation du vieillard…

Désormais elle me suffira, l’étude va devenir mon unique passion; un but admirable est devant moi: répandre l’instruction dont a tant besoin le peuple de France.

Je ne serai pas lâche, Hughes, ne craignez rien, je suis trop Française pour cela.

–Bravo! Franziella, rien ne pouvait me rendre heureux comme d’entendre ces paroles. Celui qui, absorbé par son misérable moi, passe sur la terre sans servir son pays et l’humanité, n’est pas digne de vivre.

Nous nous associerons pour faire de nobles œuvres et surtout sans en demander la récompense. Je n’ai jamais fait une bonne action sans en être payé par l’ingratitude et par la calomnie.

Si je rencontre, un jour, un cœur reconnaissant, j’en ferai un ami, un frère; mais, selon la parole du sage: «Il faut savoir supporter sans découragement les injures du temps et celles des hommes.»

–Combien cette sérénité de l’âme est loin de moi, dit-elle; à chaque injustice, à chaque bassesse entrevue, j’éprouve des accès de misanthropie terribles et d’épaisses ténèbres voilent tout ce qui m’environne.

–Oui, Franziella, mais une noble action, une belle parole, un acte de dévouement t’enthousiasment; tu vois alors ceux que tu aimes à travers le prisme de ton imagination; tu pares les plus arides naturels de toutes les perfections morales et intellectuelles, tu les divinises enfin; c’est ainsi que tu as fait de Florent un idéal à mille lieues de la réalité.

Nous devons nous rappeler ce que disait Socrate: «Les géants et les nains sont rares; de même les hommes parfaits et les hommes criminels; mais les êtres moyens sont innombrables.»

Crois-moi, Franziella, je m’y connais, ce n’est pas de l’amour que tu avais pour mon frère: C’était une illusion de jeune fille. Si, plus tard, tu éprouves une vraie passion, tu en mesureras la différence.

Le drapeau de Valmy

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