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CHAPITRE VII
UN PREMIER AMOUR

Table des matières

Et c’est justement la gloire de ce grand

peuple de France d’avoir fait, au prix de son

sang versé à flots, la besogne du genre humain, d’avoir scandalisé l’Europe pour la

sauver.

Louis BLANC.

Si jamais une main n’a fait trembler la vôtre;

Si jamais ce seul mot qu’on dit l’un après l’autre,

Je t’aime! n’a rempli votre âme tout’un jour,

Si jamais vous n’avez pris en pitié les trônes

En songeant qu’on cherchait les sceptres, les couronnes

Et la gloire, et l’empire, et qu’on avait l’amour!.

.............................................

Vous n’avez point aimé, vous n’avez point souffert.

VICTOR HUGO.

–La fin de1792et l’année1793furent mémorables entre toutes.

Du fond de notre solitude d’Iéna nous recevions comme par un écho les nouvelles des grandes et terribles choses qui s’accomplissaient en France.

L’énergique défense de Lille, la victoire de Jemmapes, la prise de Mayence, la Belgique et la Savoie qui devenaient françaises avec enthousiasme, le procès de Louis XVI, sa mort tragique; l’Europe coalisée contre la France, l’énergie de la Convention faisant face à tous les périls, créant par magie des armées indomptables, ses luttes, ses fureurs, la guerre civile s’allumant partout, les Girondins proscrits ou mourant sur l’échafaud, et ces jeunes tribuns remplis de talent, au cœur chaleureux, avaient toutes nos sympathies.

La Saxe, au contraire, donnait le spectacle du peuple le plus heureux, le plus lettré, le plus pacifique de la terre.

Des princes amis de la science avaient appelé près d’eux les plus grands écrivains de l’époque.

Il y a des siècles que l’Italie et la France ont eu de profonds penseurs, de grands talents, d’éminents génies, l’Allemagne n’a commencé qu’au dix-huitième siècle, mais avec un grand éclat.

Weimar avait pris le titre ambitieux d’Athènes allemande, elle ne le mérite que sous le rapport littéraire: les grands citoyens au patriotisme invincible, les artistes de génie lui faisaient défaut.

On y voyait Herder, savant universel, philosophe profond; Vieland, disciple de Voltaire, grand talent, caractère acariâtre, d’une humeur intolérable pour ceux qui l’entouraient; Schiller, intelligence d’élite, noble cœur, patient dans la souffrance, chérissant la famille, sympathique à tous; Goëthe, véritable génie, cœur froid, gâté par l’adulation, car la flatterie est aussi funeste aux grands écrivains qu’aux princes. Il ne savait pas aimer la patrie!.

Iéna avait le reflet de cette lumineuse cour de Weimar, Schiller y enseigna plusieurs années, Humboldt et les savants les plus renommés de l’Allemagne y séjournèrent, et la réunion de ces vastes et belles intelligences faisait la joie de Hughes, toujours souffrant depuis son retour, mais qui se livrait à l’étude avec passion.

Son dévouement pour sa mère et pour sa sœur était admirable, son amour pour Wilhelmine grandissait sans cesse et vivait de sa propre flamme, car elle n’y répondait pas.

Florent, appelé de nouveau par les princes français et par les émigrés amis de son père, hésita, parce que l’ennui le consumait, disait-il, mais son frère et moi eûmes assez d’influence pour lui éviter ce crime.

«Prendre les armes contre la France, lui disions-nous, mais il vaut mieux mourir.»

Cependant comme il avait horreur du travail et qu’il fallait à cette âme servile des majestés devant qui s’incliner, il sollicita le titre de chambellan à la cour de Charles-Auguste.

A défaut d’aigle, un roitelet; à défaut d’empereur, un duc de Saxe-Weimar.

Il quitta donc Iena pour se fixer auprès de son nouveau souverain, mais il venait chaque semaine passer quelques heures auprès de nous, et sa présence était notre plus agréable distraction.

Nous étions ainsi parvenus jusqu’à l’année1794. j’avais quatorze ans, mon intelligence et mon cœur mûris par l’infortune avaient de vagues aspirations. je rêvais une vie indépendante et les yeux fixés à l’horizon, je me demandais avec inquiétude: quand donc reverrai-je la France et secouerai-je mes chaînes à mon tour? et toutes les nuits, j’étudiais en secret, me préparant pour un avenir inconnu et me disant que, par l’instruction, on surmonte les obstacles d’une ingrate destinée.

Un jour que ces idées avaient travaillé mon esprit jusqu’à le fatiguer, je laissai Renée endormie pour aller à mes chères ruines de Kirschberg.

On était en avril, un souffle printanier vivifiait l’atmosphère. J’avais soif d’affection; et je me vis entourée avec plaisir de tous mes animaux favoris: Leurs caresses me semblaient plus douces que de coutume, je me trouvais dans une disposition si étrange que je sentais mes yeux se remplir de larmes.

Un éclat de rire me fit retourner la tête et toutes mes bêtes s’enfuirent… Florent était près de moi.

«–Que fais-tu donc là, ma petite Franziella? me dit-il d’une voix douce. Tu as une société peu commune pour une jeune fille de ton âge… Sais-tu que tu deviens une charmante personne et que tu préoccupes mes pensées… Allons, ne te trouble pas; donne-moi la main.»

Il la porta à ses lèvres…

«–Tu trembles d’émotion, tu m’aimes aussi, n’est-ce pas, Franziella?.»

Il me dit mille paroles tendres, me confia l’ennui qu’il éprouvait à la cour… lui aussi voulait rentrer en France, relever le manoir de Muraour et m’y ramener.

A cette échappée d’avenir entrevue par mon imagination, à ces enivrants propos d’amour, il se fit en moi une transformation: je me sentis grandir, et une nouvelle ambition devint le but de ma vie.

Pour être digne d’être aimée, je voulus acquérir la science, la vertu, la distinction et je me mis à l’œuvre avec ardeur. A chaque visite de Florent, j’éprouvais des émotions délicieuses, l’air s’embrasait autour de moi et je me sentais heureuse: mille harmonies intérieures résonnaient à mon esprit charmé.

Florent m’aimait alors réellement autant qu’une nature comme la sienne peut aimer: il avait pour moi des attentions délicates qui me ravissaient: il m’apportait tantôt un livre, une fleur, un souvenir de Weimar et moi, jeune paysanne qui n’avais jamais reçu aucune caresse aucun présent pendant que Renée en avait à satiété, moi sevrée au berceau de toute tendresse et qui en sentais en moi des sources intolérables, je recevais ces hommages avec une inexprimable félicité.

Le clairvoyant Hughes devina bien vite mon secret, et chaque fois que l’émotion causée par la venue de Florent décolorait mes traits, il se plaçait devant moi afin d’empêcher la marquise de lire dans mon cœur.

Qui donc m’aurait mieux comprise que lui, étreint également par l’affection de Wilhelmine?

L’amour élevait nos intelligences, vivifiait tous nos sentiments: nous ne pensions qu’à devenir des âmes d’élite par l’instruction, par le caractère, par la vertu.

Oh! qu’il est bien, qu’il est bon de travailler avec ardeur quand un noble but se dresse devant vous.

La Révolution avait effacé toutes les distinctions sociales qui séparaient l’héritier des Muraour de la fille du serf. mais je voulais être une femme supérieure afin que mon mari pût être heureux et s’enorgueillir de moi.

Hughes et moi en vînmes tout naturellement aux confidences:

«–Franziella, me dit-il un jour, il s’est fait en toi une métamorphose qui me remplit d’admiration. Il y a peu de jeunes filles qu’on puisse te comparer aujourd’hui.

«–C’est à vous que je le dois en partie, Hughes, vos premières leçons, vos entretiens ont développé mon cœur et mon intelligence.

»–Tu as raison, ma petite amie, et j’aspire à vivre près de Wilhelmine pour faire passer dans son âme ce qui vibre dans la nôtre, pour lui faire comprendre l’idéal; éveiller en elle les sentiments d’amour qui me consument; toi de même, Franziella. Tu réchaufferas le cœur de mon frère; tu lui inspireras le patriotisme, le dévouement, la passion de l’étude et du travail qui l’ennoblira une seconde fois.

«–Oh! oui, Hughes, je pense à cela bien souvent, et j’ai hâte de me mettre à l’œuvre.»

Illusions naïves, rêves d’enfants généreux, que nous vous avons dû de larmes amères!. Il n’était pas plus au pouvoir de Hughes de donner ma nature impressionnable, ardente, mes facultés intellectuelles à Wilhelmine, que de me gratifier de sa belle figure; comme il n’était pas en moi de douer Florent des vertus de son frère.

L’un construisait sur les glaces du pôle, l’autre sur le sable aride.

A ces mots, Franziella inclina la tête: des larmes remontaient du plus profond de son cœur, elle n’avait plus la force de continuer.

Cyprien était sous le charme depuis le commencement de ce récit: les coudes sur les genoux, la figure entre ses mains, il l’écoutait avidement: c’est que la jeune fille avait tous les dons qui font les grands orateurs, voix sonore et harmonieuse, passion contenue, gestes éloquents… jamais histoire plus attachante n’avait ainsi captivé toute son attention… Mais allait-elle continuer?… Oh! que pourrait-il lui dire pour la supplier de poursuivre.

Le silence se prolongeait; il n’osait plus respirer… Elle se ranima pourtant et regardant le jeune homme:

–Tout cela ne doit guère t’intéresser, je voulais abréger, mais je me suis laissé entraîner malgré moi par la magie de ces chères ressouvenances.

–Mademoiselle, fit Cyprien, je vous en conjure, daignez reprendre votre récit: vous m’avez déjà fait regretter les paroles que m’a inspirées la colère. Je serais trop malheureux de ne pas savoir le reste: en échange, je promets une soumission aveugle à toutes vos volontés.

Franziella sourit tristement, et secrètement flattée de la naïve curiosité de Cyprien, reprit sa narration.

Le drapeau de Valmy

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