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CHAPITRE VI
RETOUR DES DEUX FRÈRES

Table des matières

Le canon que vous entendez, n’est pas e canon d’alarme, c’est le pas de charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, pour les atterrer que faut-il? De l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace.

DANTON.

Leur secret pour sauver la France est de la croire sublime et de le lui dire.

Louis BLANC.

Lorsque le marquis et ses fils eurent quitté Iéna, la vie la plus monotone commença pour nous. Renée, devenue la victime des médecins de l’Université, subissait de temps en temps de douloureuses et inutiles opérations. Il n’y avait plus d’espoir de lui rendre la vue; à quoi servait de la faire tant souffrir?

J’étais la seule distraction de la marquise, et j’employais toutes mes facultés, toutes les ressources de ma jeune imagination à changer le cours de ses tristes pensées. Nous parlions de Muraour, des chers absents, je lui lisais ou lui traduisais des livres pleins d’intérêt; je lui procurais mille distractions imprévues, usant de la plus grande délicatesse, et, comme je parlais la langue allemande, j’étais l’âme de la maison; j’en profitais pour adoucir notre isolement. Cela me rendait très fière.

Mon plus grand bonheur était d’aller avec Renée, mais le plus souvent seule, aux ruines de Kirschberg. Là, j’avais fait amitié avec des animaux de toutes sortes, même avec une pauvre chouette à laquelle j’avais sauvé la vie.

Dès que j’apparaissais et que je me mettais à chanter un air languedocien, tous mes favoris accouraient: corbeaux, passereaux, merles, chèvres, moutons, chiens et chats égarés ou abandonnés, et aussi de jeunes paysans qui venaient me raconter leurs peines, et que je secourais grâce à la bonté de la marquise, heureuse, dans ma position infime, de faire le bien.

Les serfs allemands avaient ressort peut-être plus triste que les serfs français: Vieh und Bauer (bétail et paysan sont synonymes en allemand); qui mieux que moi devait compatir à leurs misères?

Les bonnes gens m’avaient surnommée «la jeune Française du bon Dieu», dans leur reconnaissance.

Ainsi se passèrent le printemps et l’été de1792; si calmes pour nous, si terribles pour tant d’autres; nous n’avions reçu que quatre ou cinq fois des nouvelles de la frontière!

Les bruits les plus étranges, les plus effrayants, les plus sinistres sur ce qui se passait à Paris et en France circulaient à Iéna; ils me causaient souvent de cruelles insomnies et donnaient les plus vives appréhensions à madame de Muraour.

Le30septembre1792, après une semaine de pluie, nous eûmes un temps splendide, ciel pur, soleil radieux, air tiède et parfumé. La marquise nous proposa une promenade après le déjeuner, Wilhelmine Wigmann étant venue nous porter une invitation de son père pour le lendemain, nous l’emmenâmes avec nous.

Les cours d’eau ont un aimant qui attire; il y a dans le murmure, de l’onde, dans son voyage éternel et mystérieux un attrait irrésistible, pour moi du moins. C’est pour cela que nous suivions les rives de la Saale dans toutes nos sorties, sans nous lasser jamais des charmants paysages de cette riante contrée.

D’ailleurs les lieux inspirent des antipathies ou des sympathies comme les personnes, car les plus étroites affinités existent entre les hommes et la nature.

Renée fut bientôt lasse et désira s’arrêter; il était une heure de l’après-midi: nous étions dans un site ravissant où nous nous assîmes sur l’herbe.

J’admirai la scène qui nous entourait, l’eau miroitant les rayons du soleil, les arbres aux riches couleurs de l’automne, les animaux broutant dans la prairie, et à l’horizon les toits de la ville. Mais je n’osais exprimer mon admiration, craignant d’entendre Renée murmurer de sa voix plaintive:

«–Dire que je ne verrai plus jamais ces belles choses!.»

Wilhelmine, parfaitement insensible à la beauté du paysage avait tiré de sa poche une broderie, et, avec sa placidité accoutumée travaillait sans rien dire, et, je crois en être sûre, sans penser à rien.

Madame de Muraour avait le front plein de nuages; une invincible tristesse s’était emparée d’elle depuis quelques jours et nous ne pouvions la dissiper.

Renée, au contraire, plus gaie que d’habitude se mit à chanter une vieille romance espagnole. Tout à coup elle s’arrêta et prêta une oreille attentive.

«–Des cavaliers,» fit-elle.

Madame Muraour et moi fûmes debout en un instant, et, avec un battement de cœur, interrogeâmes l’horizon..

Nous n’aperçûmes d’abord que des tourbillons de poussière soulevés par les pas des chevaux, mais avant d’avoir pu prononcer une parole, un cri m’échappait: Je venais de reconnaître Florent et Hughes!. En quelques secondes, ils furent auprès de nous.

«–Et votre père?» s’écria la marquise.

Ils avaient mis pied à terre et l’embrassaient tendrement.

«–Et votre père?» répéta-t-elle?

Hughes d’une voix étranglée par l’émotion:

«–Il est. tombé. sur le champ de bataille de Valmy.

»–Mort! mort! s’écria-t-elle? Les royalistes ont-ils eu la victoire au moins!

»–Hélas! ma mère, reprit Florent: Les Français sont vainqueurs, le roi est en prison, la République est proclamée. la noblesse n’existe plus!»

Elle s’évanouit!»

Après lui avoir fait reprendre ses sens, nous revînmes dans notre demeure, tous affligés de ce deuil, excepté moi.

Le marquis ne m’avait jamais regardée que comme un jeune animal domestique. Il ne me comptait jamais quand on demandait combien nous étions de personnes, oubliant toujours de me servir à table, et sans la délicatesse de Hughes, j’aurais eu faim souvent, car j’étais trop fière pour rien lui demander.

Je ne crois pas qu’il m’ait jamais adressé la parole directement et il disait la petite Franze comme il aurait dit la poupée ou la perruche de Renée.

Et puis, les nouvelles apportées par Florent avaient fait bondir mon cœur, et j’étais avide de connaître ce qui se passait en France. Pour la première fois, le mot République avait retenti à mes oreilles, aussi dès que la marquise se fut retirée avec Florent et que Hughes se trouva seul avec Wilhelmine et moi, je lui adressai cette question:

–Qu’est-ce que la République?

–C’est, me répondit-il, le plus beau des gouvernements avec des hommes justes, mais il peut devenir terrible avec des ambitieux, des impatriotes, des pervers. C’est le gouvernement de tous: Plus de roi, plus de noblesse, plus de privilèges, tous les Français sont égaux devant la loi.

–Mais c’est juste, cela, fis-je toute frémissante. Pourquoi donc donner tout aux uns, rien aux autres. Il n’y a plus de droit d’aînesse, vous êtes autant que votre frère aîné, et on ne vous imposera plus d’être prêtre ou soldat contre votre volonté. Combien j’en suis heureuse pour vous! Mais comment avez-vous perdu votre père? Vous a-t-il été possible de ne pas lutter contre les Français?

«–Oui, chère Franziella, le duc de Brunswick a compris ma répugnance à servir sous ses ordres, il m’a chargé de soigner les blessés, hélas! nous avons connu des jours bien cruels.

» Au mois d’août nous rentrions en France, dans cette chère patrie, avec l’état-major prussien: Ce souvenir m’amène encore une rougeur au front.

» Le22, nous étions à Longwy: Verdun ouvrait ses portes aux ennemis, et son brave commandant Beaurepaire, le désespoir au cœur, pour rester fidèle à son serment de sauver la place où de périr, s’est tué avec héroïsme. C’est le seul suicide que je comprenne et admire.

» Avec des hommes de cette trempe, un peuple ne subit jamais la domination étrangère! J’ai vu un jeune et beau soldat suivre cet exemple… A l’approche des ennemis, il fait feu, on l’arrête et on le garde à vue, mais il s’élance dans la Meuse et meurt en héros.

» A Valmy, les conscrits français, sans pain, à peine vêtus, ont été sublimes. Au nombre de 96,000ils ont vaincu160,000Prussiens: le patriotisme supplée au nombre et ils ont inspiré à l’armée vaincue une admiration sans égale.»

–Tu vois, Cyprien, que ces jeunes hommes savaient ce que c’est que le drapeau de la patrie. Ton père l’a vaillamment porté à cette bataille de géants. Et le marquis de Muraour, deserteur de son drapeau, tombait blesse à mort à la première décharge de l’armée française, ses fils reçurent son dernier soupir et il ne leur dit que ces paroles:

«–Retournez à Iéna.»

«–La France a eu ses Thermopyles, poursuivit Hughes, elle a été sauvée par l’héroïsme de ses enfants.

» Tiens, Franziella, prends mes livres de Rollin, lis l’histoire de la Grèce et celle de Rome afin de mieux comprendre ce qui se passe dans notre pays. Je suis d’autant plus inconsolable de la mort de mon père qu’elle est un opprobre pour sa mémoire.

» Cette victoire de Valmy a frappé au cœur les ennemis de la France.

» Le soir, la consternation était dans leur camp et les chefs, essayant de s’étourdir, demandaient à leur poète Goëthe, venu en curieux pour voir tuer des hommes, afin de sentir si son cœur sec en serait troublé, de dissiper leurs pressentiments lugubres par quelque inspiration lyrique. Il leur a répondu d’une voix solennelle et avec l’accent de la prophétie: «En ce lieu et dans ce jour, commence une nouvelle époque dans l’histoire du monde!»

Le drapeau de Valmy

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