Читать книгу Le drapeau de Valmy - Nelly Hager - Страница 4

Оглавление

CHAPITRE II
AMITIÉ

Table des matières

Certaines paroles sont plus amères que le fiel, plus aiguës que la flèche, plus douloureuses que le scalpel; mais elles font parfois des blessures salutaires.

NELLY HAGER.

Qui fait pleurer le castor ne réussit jamais.

(Sentence polonaise).

Cyprien venait de rentrer sans bruit, il resta debout près de la porte, prêt à s’éloigner pour ne pas commettre d’indiscrétion.

Onze heures sonnèrent, Hughes de Muraour se leva pour partir; mais se ravisant par l’effet d’une idée subite:

–Dis-moi, Franziella, quel est ce jeune ouvrier que j’ai rencontré ici? La nature l’a doué d’une beauté remarquable; il a la vigueur d’un athlète, et ses traits pourraient servir à David pour peindre un Spartacus superbe.

Le cœur de Cyprien battit avec force en attendant la réponse de Franziella, jamais une semblable émotion n’avait ainsi précipité le sang dans ses artères. Allait-elle pallier ses fautes, l’excuser? lui reconnaissait-elle quelques qualités? qu’allait-elle dire?

–Lui, fit-elle, c’est une brute de la plus belle venue, à qui je ne connais que de mauvais instincts, fraternisant avec la lie du peuple, paresseux, ivrogne, impitoyable à ce qui souffre, aux animaux surtout. Il déshonore les dons qu’il a reçus en partage. La nature s’étant montrée trop libérale pour le corps, a oublié de lui donner une âme.

–Tu m’étonnes, Franziella, l’aversion que t’inspirent ses vices, fausse sans doute ton jugement: Il est jeune, il peut se corriger et développer ses facultés. Comment l’as-tu connu et pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé?.

–Il y a trois ans, dans la première semaine de mon arrivée à Paris; un soir, en revenant de chez vous, j’entendis des plaintes déchirantes qui partaient de la cour d’une maison voisine: on eût dit un enfant dans la détresse. J’entre, j’approche, et que vois-je? Ce Cyprien avec deux de ses pareils qui s’amusaient à écorcher un chat vivant: la pauvre créature se débattait de toutes ses forces et avait déjà la patte entamée.

–Je m’élance à son secours. Que faites-vous donc, cruels, misérables? quelle lâcheté é! Et me mettant entre eux et leur victime, je leur ordonne de la délier. Cyprien refuse et veut me repousser: Vous me connaissez, Hughes, quand il faut lutter, je deviens terrible. Ce grand et fort garçon fut obligé d’obéir: j’emportai l’angora tout sanglant en leur jetant une malédiction… Ce chat, guéri par mes soins, est devenu le favori de votre fille, son fidèle Sidi…

Le docteur de Muraour se mit à sourire:

–Je te vois d’ici, Franziella, toi, d’un caractère si égal, qu’on croirait douée d’une inaltérable patience, révéler ta nature léonine, ton énergie méridionale; n’est-ce pas en luttant pour la défense d’un chien que je t’ai vue aussi pour la première fois?.

–Vous savez, Hughes, que les animaux me sont sacrés et que celui qui les torture ou les fait souffrir m’inspire une violente antipathie… Je regrette ces temps calomniés où les peuples vénéraient et divinisaient la race animale: ils n’ont connu ni l’inquisition, ni les horreurs de la place de Grève, ni l’échafaud en permanence.

La cruauté qui s’exerce d’abord sur les bêtes inoffensives, se tourne à un moment donné contre l’homme; elle est le propre d’une nature ignoble et abjecte.

–Tu lui as pardonné, cependant, puisque tu lui apprends à lire.

–C’est que le même soir sa mère est venue me demander son pardon; je lui en voulais tant!

Comme elle vous aurait plu, cette femme, Hughes; c’était une Provençale si belle qu’on en avait fait une déesse Raison; malheureusement elle était déjà atteinte d’une maladie de poitrine contractée par le travail forcé, les privations, le chagrin; elle m’inspira une vive sympathie qui devint bientôt amitié sérieuse, et souvent nous avons partagé le même pain et adouci mutuellement nos tristesses.

A son lit de mort, elle m’a confié son fils: Je n’ai pas osé refuser cette onéreuse tutelle dont je ne prévoyais pas les ennuis.

Pendant la longue et cruelle maladie de la pauvre femme, il lui montrait un dévouement, une obéissance, une tendresse qui me le faisaient prendre’ en affection; mais depuis, ses plus mauvais instincts ont reparu. Que d’inquiétudes, que d’humiliations il m’a données! Un soir, la police l’a rapporté ici ivre-mort; avant-hier il était encore dans un état dégoûtant d’ébriété!.

–Et son père, l’as-tu connu?

– Malheureusement, non; sa veuve avait un culte pour sa mémoire. C’était un vaillant soldat, un héros de Valmy, de Jemmapes, de Fleurus, mort des blessures reçues en défendant son drapeau. Il avait l’âme d’un républicain de la Rome païenne; combien il serait malheureux d’avoir un tel fils! un fils auquel il a légué le plus sublime héritage: Un drapeau de Valmy tout taché de son sang, dont il s’était fait un linceul!

Je n’ai jamais contemplé cet héroïque souvenir sans être émue jusqu’au fond de l’âme: il aurait dû être un talisman contre toutes les mauvaises passions de ce jeune homme.

–Mais, Franziella, pourquoi ne m’as-tu pas appelé à prendre la moitié de cette tâche: à l’avenir, je partagerai ta tutelle.

–S’il avait été un bon sujet, je vous aurais certainement parlé de lui; mais qu’auriez-vous. pensé de moi, vous donnant un tel protégé! l’année prochaine il part pour l’armée, et je voudrais qu’il sût lire; nous ne sommes pas de ceux qui pensent que la chair à canon n’a pas besoin de s’instruire, n’est-ce pas, Hughes?

Si tous les hommes étaient éclairés, l’humanité en finirait peut-être avec ces guerres injustes, ces boucheries, ces massacres qui nous ramènent aux temps les plus barbares.

–Comme tu as raison, Franziella. Trop de sang humain a arrosé la terre, nous commençons le dix-neuvième siècle, nous avons notre frontière du Rhin, nous rayonnons sur l’Europe, qui, à notre exemple, a conquis ses droits et sa liberté; nous sommes le premier peuple du monde.

–Par malheur, reprit-elle, l’instruction manque dans les classes inférieures. Si notre consul Bonaparte n’est pas un ambitieux vulgaire, et, qu’avec son génie, il applique les idées sublimes de la Convention, la France est appelée à d’incomparables destinées.

Hughes serra la main de la jeune institutrice qui, au jour d’une si grande affliction, raisonnait avec une si lumineuse intelligence.

–C’est très bien, ma fille, d’autant plus que chez toi ce ne sont pas des phrases, puisque tu es à l’œuvre avec ce jeune ouvrier. Comment as-tu réussi à l’amener à s’instruire? C’est très pénible à son âge, et contraire à ce que tu dis de ses goûts infimes.

–Je le lui avais proposé du vivant de sa mère, il disait oui et reculait toujours: peu après la mort de la pauvre femme, il m’apporta à lire une lettre… A ce seul souvenir, j’ai honte encore; c’était épouvantable, un style d’égout traduisant ce que la fange morale a de plus révoltant, elle venait d’une misérable femme alors à l’hôpital. Heureusement que les expressions en étaient si étranges que je ne les comprenais pas.

Je jetai ce papier avec dégoût… Cyprien, lui dis-je, quand on a de telles correspondances, on apprend à lire et à écrire pour y répondre, afin de ne pas mettre les autres dans de tels secrets.

«–Je vous serais reconnaissant, mademoiselle, de vouloir bien m’apprendre, mais je n’y parviendrai jamais.

»–Essaie toujours, je serais si heureuse de le faire pour ta pauvre mère; et au régiment, tu pourrais aspirer à obtenir des grades.»

Puis, je me disais:

Ce sera un frein contre ses mauvaises passions. Un jour peut-être, il ne s’enivrera plus et deviendra un homme de bien.

–Franziella, c’est la plus belle action de ta vie, elle te portera bonheur: Défendre les animaux est très bien; apprendre à lire est mieux encore… Ce jeune homme m’a plu, je veux m’intéresser à son sort; il a été bon pour sa mère, donc il y a des ressources en lui; ses yeux sont pleins d’intelligence; je lui monte à peine à l’épaule, pour avoir son physique, je donnerais un monde!

–Vous, Hughes?

–Oui, une santé à toute épreuve, une haute stature, la force, la beauté; quels divins privilèges! Cette race française est admirable quand elle ne s’étiole pas dans nos grandes villes; où, en deux générations, les géants sont transformés en nains.

–Vous êtes comme les Grecs antiques: la beauté avant tout. Ce qu’il me faut à moi: c’est une âme.

–Et tu aimais mon frère?… Ne rougis pas, mon amie, félicite-toi plutôt de bannir de ton cœur ce parasite; il ne mérite pas une seule de tes larmes; tu seras vengée au delà de tes espérances.

Mais il y a longtemps que je devrais être parti. Valentin Haüy doit m’attendre; c’est une âme d’élite remplie de tendresse, mais faible, il déplaît au premier consul et le sort de ses chers aveugles est bien compromis: avec l’argent que coûte une guerre pour tuer des. hommes, que de grandes choses on pourrait faire pour soulager l’humanité!

Tu m’enverras ton pupille après-demain matin, à neuf heures, et avant de nous séparer laisse-moi te donner un conseil: Ne reçois pas ce jeune homme dans ton intimité, cela pourrait te compromettre. Nous sommes presque toujours méconnus pour les meilleures choses que nous accomplissons. Les natures généreuses comme la tienne sont la pâture préférée de la calomnie.

La jeune fille sourit dédaigneusement.

–Cyprien me compromettre, oh! qui donc oserait s’abaisser jusque-là? Est-ce que c’est un homme pour moi? Mais je lui préfère les commensaux du Jardin des Plantes!–Que je ne puisse vous recevoir, vous, Hughes, cela se comprend… Mais lui!…–Rassurez-vous, nos voisins nous connaissent, ce sont des travailleurs comme moi, ils m’estiment.

–Tu ne l’as donc jamais regardé?

–Qu’importe pour moi, c’est une âme informe, une nature brutale, une ignorance grossière; mais je veux remplir mon devoir envers lui, quelque pénible qu’il soit.

–Tu es une généreuse créature Franziella, pourquoi le nombre de femmes comme-toi est-il si rare?. Au revoir. à demain.

–Oui, répéta-t-elle, à demain!

Le drapeau de Valmy

Подняться наверх