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CHAPITRE V
EN ALLEMAGNE

Table des matières

Un exilé est le plus malheureux de tons les captifs; il a le monde entier pour prison; les montagnes, les murs et le cercle de l’horizon sont comme des barrières qui le séparent du seul coin de terre où, quel que fût son destin. il serait encore l’enfant de la patrie et irait volontiers mourir.

BYRON,

Au commencement de février1791, il nous fallut quitter la France!… Je n’oublierai jamais notre passage à Strasbourg.

Le temps était affreux, la neige tombait à gros flocons, chassée par un vent glacial… Quelle cruelle sensation pour des enfants du Languedoc.

Nous voilà sur les bords du Rhin, nous attendons la barque qui doit nous transporter sur l’autre rive… Alors, un sentiment d’angoisse inexprimable s’empare de mon jeune cœur. Je me sens pâlir, Hughes me serre la main en silence: le patriotisme fait vibrer nos âmes à l’unisson.

Nous traversons le fleuve, une langue étrangère résonne à notre oreille! quel douloureux moment: Il semble que nos fibres les plus intimes se déchirent et que se détache un lambeau de notre âme! Lorsque la patrie a disparu à l’horizon, nous sommes comme des arbres déracinés qui laissent au sol natal une partie de leur propre substance.

Après un voyage d’une tristesse et d’une fatigue extrêmes, nous arrivâmes à Berlin où tout nous parut froid, amer, inhospitalier. Vivre dans cette ville nous eût été impossible. Le climat, l’isolement, l’exil, l’antipathie que nous inspiraient les habitants, et pour combler la mesure, Renée y tomba malade et perdit complètement la vue.

Des émigrés conseillèrent au marquis de Muraour d’aller à Iéna dont l’université possédait les docteurs les plus renommés.

Comme l’espoir de guérir son enfant n’abandonne jamais une mère, nous partîmes aussitôt.

Iéna était alors, avec Weimar, «le foyer intellectuel de l’Allemagne», et cette jolie petite ville nous parut une oasis, après notre triste séjour à Berlin, pour nous un Sahara… Le jour de notre arrivée, le soleil ranimait toute la nature; les étudiants célébraient une fête et donnaient partout une grande animation.

Des personnes, bienveillantes nous aplanirent toutes les difficultés d’une installation, et nous trouvâmes sans peine Une maison charmante, avec un grand jardin, sur les bords de la Saale, d’où l’on avait un point de vue magnifique des ruines du château de Kirschberg.

«–Nous planterons ici notre tente; dit la marquise, en attendant des jours meilleurs.»

En effet, c’est là que nous avons vu s’écouler de longues années d’exil.

Hughes et moi, aussitôt à Berlin, avions étudié l’allemand avec ardeur.

C’est une langue difficile, riche, belle surtout pour la poésie, qui explique la lourdeur d’esprit des indigènes, par sa construction lente et compliquée.

Madame de Muraour ne put jamais la prononcer, le marquis n’essaya même pas. Florent ne l’a jamais sue, aussi fûmes-nous chargés de tous les détails domestiques et tout le poids de la maison retomba sur nous.

Notre premier soin, dès que nous fûmes à peu près organisés, fut d’aller à la recherche du professeur Wigmann, dont la réputation était très grande et très peu méritée.

Ce fut pour Hughes une circonstance mémorable, car sa destinée prit, à partir de ce jour, une voie nouvelle… Je m’en souviens comme si c’était hier.

Hughes venait d’avoir vingt ans. Il était sous une impression rêveuse, et, au lieu de remplir promptement notre message, il me proposa une longue promenade pour causer d’autrefois dans notre patois languedocien. Ce cher dialecte faisait notre bonheur, mais la marquise nous défendait sévèrement de le parler; et nous ne le faisions qu’à son insu.

Cet innocent plaisir nous fit complètement oublier l’heure ce jour-là!

–Et le docteur? dis-je enfin, nous allons être grondés.

–Que veux-tu? Franziella, ce patois a un charme enivrant. C’est un souvenir de la patrie, qui adoucit l’amertume de l’exil; mais hâtons-nous.

Nous arrivons bientôt à la demeure du professeur Wigmann.

Je frappe… une vieille servante vient ouvrir et nous fait entrer dans un vaste salon, où une jeune fille de seize ans enlevait la poussière de la cheminée avec le plus grand soin. Quand elle se retourna pour nous saluer, nous restâmes frappés d’admiration.

Elle était grande, mince, un teint éblouissant, des cheveux superbes d’un blond si clair, si beau, si rare que nous n’en avions jamais vu de semblables. de grands yeux bleus limpides sans expression, mais des traits d’une régularité remarquable: une beauté enfin, et avec cela, une nonchalance, une lenteur dans tous ses mouvements… quel contraste avec moi, d’une vivacité si grande!.

Avant qu’elle se fût donné la peine de nous répondre ou plutôt de nous comprendre: le docteur parut et nous causa un saisissement dans le sens contraire.

Jamais pareille caricature n’avait frappé nos regards. Représente-toi un petit homme aux gestes ridicules et incohérents portant lunettes et perruque, un sourire stéréotypé sur les lèvres qui laissaient voir de fausses dents; de petits yeux verts et jaunes, un nez demesuré, une tournure grotesque, malpropre, vêtu d’un habit crasseux, tandis qu’une abominable odeur de pipe s’exhalait de toute sa personne.

–Comment a-t-il pu être le père d’une jolie créature comme celle-ci? dis-je à Hughes en patois.

Il se mordit les lèvres pour ne pas rire et demanda au docteur de venir le jour même donner ses soins à la pauvre Renée.

«–Très volontiers, répondit-il avec un empressement obséquieux, je vous accompagne, si vous le permettez.»

Il alla s’affubler d’un paletot d’une couleur innommée, d’un chapeau usé aux larges bords d’une forme impossible, prit un parapluie bleu, embrassa sa fille, représentant ainsi le tableau vivant de la Belle et la Bête et nous suivit.

Hughes avait été ébloui par la figure de Wilhelmine Wigmann, cette chevelure, cette carnation, cet ensemble ravissant lui donnaient des vertiges. La beauté a sur lui un empire tout-puissant; tu le vois, puisque la vue de ta personne a suffi pour qu’il voulùt devenir ton protecteur:

Le lendemain, il se trouvait une vocation irrésistible et demandait à son père la permission de suivre les cours de l’Université afin d’être un jour médecin.

«–Il veut ressembler au docteur Wigmann, dit Florent, séduit à première vue par cet idéal, il veut torturer l’humanité sous prétexte de la guérir.»

Seule j’avais compris, et, sans m’en rendre compte, j’en éprouvais une profonde tristesse.

Louis XVI avait essayé de fuir à l’étranger (20juin1791). Ce fut une grande faute, un crime de lèse-patrie; ramené dans sa capitale, il n’était plus le roi, mais le prisonnier de ses sujets.

L’Allemagne était remplie d’émigrés déserteurs de la France, qui lui cherchaient des ennemis dans toutes les cours.

A Coblentz, rendez-vous de ces patricides, se tramaient sans cesse des conspirations qui exaspéraient les révolutionnaires et les rendaient implacables.

Le frère du roi, le comte de Provence, envoya au marquis de Muraour un émissaire porteur d’un ’autographe qui le conviait à cette guerre impie, et contenait, avec des mots à effet, plusieurs citations d’Horace.

M. de Muraour hésita longtemps, l’avenir s’assombrissait tous les jours davantage, et il regrettait de laisser sa femme et sa fille isolées sur une terre étrangère; mais sollicité et trompé par les émigrés qui traversaient Iéna et dont les illusions aussi coupables que naïves faisaient pitié, il nous fit part de sa résolution dans les premiers jours de1792.

«–Florent et Hughes m’accompagneront, ajouta-t-il, je les offre en sacrifice à la cause royale.»

Le fils aîné s’inclina en signe d’assentiment; mais le plus jeune se leva avec impétuosité.

«–Ne comptez pas sur moi, mon père, je ne lutterai jamais contre mon pays1

»–Comment un cadet ose-t-il résister aux volontés paternelles? vous n’avez qu’à vous taire et à obéir.

»–Oh! j’aime trop ma patrie pour prendre les armes contre elle.

»–Vous combattrez les ennemis du roi.

»–Ce sont des Français.

»–La Révolution.

»–C’est la France, c’est-à-dire ma mère, la plus sainte, la plus sacrée de toutes mes affections.

»–Avez-vous perdu la raison, Hughes de Muraour? ne savez-vous donc pas que votre race n’est faite que pour servir Dieu au pied de ses autels ou le roi au pied de son trône.

»–Non, je ne veux être ni prêtre, ni courtisan, ni soldat. Je veux devenir un homme utile, instruit, me marier, avoir des enfants à chérir, à.»

Il n’acheva pas, le marquis se levait menaçant, prêt à sévir. Madame de Muraour se précipita entre eux. Renée, tout effrayée, se pressait contre ma poitrine.

Ce fut une scène terrible: l’exaspération du marquis ne connaissait plus de bornes, il brisait tout ce qui lui tombait sous la main.

Ils partirent tous les trois, cependant, quinze jours plus tard; et Hughes, en me disant adieu, murmurait à mon oreille:

«–Ne redoute rien pour moi, Franziella, je soignerai les blessés, mais aucune puissance humaine ne pourra me faire commettre ce que je regarde comme le plus grand des crimes, combattre contre son pays!.»

Le drapeau de Valmy

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