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CHAPITRE III
UN ACCÈS DE COLÈRE

Table des matières

Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert.

ALFRED DE MUSSET.

Cette intervention de l’amitié avait porté ses fruits en ranimant l’énergie native de Franziella. Elle avait une de ces riches organisations que la douleur secoue violemment, mais qui réagissent vite contre leur faiblesse.

Hughes parti, elle rentra dans sa petite salle à manger et salle d’étude à la fois où l’on ne voyait qu’une table, des chaises, mais une grande bibliothèque et alimenta le feu.

On était alors au mois de pluviôse, l’an IX (février1801). La journée était très froide. Quel ne fut pas son saisissement devoir Cyprien debout, derrière le rideau de la fenêtre, la main sur ses yeux, la poitrine oppressée et le pied frappant la mesure en proie à une agitation qu’il essayait vainement de contenir.

–Il m’a entendue, pensa-t-elle avec un sentiment de remords. Pauvre garçon je lui ai fait involontairement de la peine.

–Cyprien! fit-elle doucement.

Il la regarda avec une expression farouche, elle fut frappée de sa pâleur et de ses yeux rougis par les larmes.

–Est-ce que tu es malade?

–Vous savez bien que non.

–As-tu ce qu’il faut pour notre déjeuner?

–Oui. Voilà, ainsi que le reste de l’argent. Adieu, mademoiselle. Merci de ce que vous avez fait pour moi jusqu’à ce jour. Je vous délivre de ma présence à tout jamais pour l’avenir.

–Tu n’y penses pas, mon ami, je ne te permettrai pas de partir avant d’avoir partagé mon modeste repas.

–Oh! non, mademoiselle! Moi, m’asseoir à votre table; moi, qui pour vous ne suis pas un homme, mais une brute de la plus belle venue, une âme informe, une nature grossière, une ignorance brutale, au-dessous du commensal du Jardin des Plantes. Comme je vous fais horreur!comme vous me méprisez! Je ne suis pas un comte de Muraour, moi, un riche monsieur bien habillé, parfumé, faisant de beaux discours comme celui qui sort d’ici; mais on a beau être un enfant du peuple, on ne veut pas être humilié et par une femme encore.

–Voilà le Méridional qui paraît en toi, interrompit Franziella, et qui veut que la femme soit une esclave orientale. Ah! je ne sais que trop pourquoi mes remontrances sont vaines, mais Hughes de Muraour est un homme, je te mets désormais sous sa protection.

–Je ne veux ni de la sienne, ni de la vôtre, et il serait vraiment débonnaire de s’occuper de moi, dont-vous lui avez fait un si beau portrait.

Mais, en vérité, je ne sais pas mentir, pouvais-je donc dire que tu es laborieux, sobre, d’un caractère généreux?

–Non, mais vous qui parlez si bien, vous pouviez me traiter avec plus d’indulgence; est-ce ma faute si, tout enfant, je n’ai connu que la misère et ai passé mes jeunes années dans les rues de Paris. Vous avez eu la fortune, vous, l’instruction.

–Moi, Cyprien, hélas! je suis aussi une fille du peuple, une fille de paysans, que dis-je, de serfs… Mais Hughes de Muraour a fait pour moi ce que je voulais faire pour toi; il m’a appris à lire, à penser.

L’ouvrier eut un rire cynique.

–Il a dû mieux réussir, car il vous aimait autant que vous me haïssez.

–Moi, te haïr; non, mon ami, je ne hais que tes vices.

–Eh bien, moi, je vous hais de toutes mes forces pour ce que vous avez dit de moi à votre amant.

–Quelle parole as-tu prononcée, Cyprien? Hughes ne m’a jamais aimée d’amour.

–Comment donc a-t-il pu vous aimer alors? Une brute comme moi comprend cependant ce qu’elle voit… Et je m’explique à présent pourquoi vous n’avez jamais voulu raconter votre histoire devant moi qui désirais, si ardemment la connaître.

Combien de fois ai-je supplié, ma mère de me faire ce récit, qu’elle me: disait être plus intéressant que ce qu’on lit dans les livres, et ce que j’en avais écouté un jour, m’inspirait une curiosité absurde et violente d’en savoir .davantage; mais je n’ai jamais osé vous le demander, près de vous je me sens humilié, petit, mal à l’aise, vous m’avez toujours tenu à distance et traité avec une rigueur dont j’ai souffert comme vous ne l’auriez jamais cru d’un misérable tel que moi.

Un jour, surtout, vous m’avez repoussé du bout de votre bottine, pendant que vous caressiez un affreux chien couvert de plaies.

–C’est qu’il n’était pas ivre ce chien, mais victime des mauvais traitements des hommes, et j’ai craint de te le voir battre.

–Adieu! mademoiselle, c’est un bonheur pour moi de vous quitter pour toujours. Je vais aller habiter à l’extrémité de Paris afin de ne jamais plus vous rencontrer… Personne ne m’a encore inspiré une aussi grande aversion.

–Calme-toi, Cyprien, rappelle-toi le serment de m’obéir fait au lit de mort de ta mère.

–Savait-elle ce que vous pensiez de moi?

–Mais qu’es-tu devenu depuis sa mort? Qu’as-tu fait de tout ce qu’elle t’a confié? de ce drapeau de Valmy que je préférerais, moi, à tous les trésors de la terre?

–Quoi, ce bâton brisé et ce lambeau d’étoffe!.

–Oh! le misérable, s’écria-t-elle en bondissant; l’infortuné! il ne comprend pas, il ne sait pas ce que c’est que le drapeau de son pays!… Je ne m’étonne plus de son abrutissement.

Le drapeau, Cyprien, c’est le symbole de la patrie. Il porte dans ses plis glorieux la gloire, l’honneur, l’indépendance d’une nation.

Malheur à celui qui tient le drapeau d’une main débile et lâche; malheur à un peuple qui n’a pas le culte de son drapeau; le jour où il l’abandonne entre les mains de l’ennemi, il devient esclave!

Regarde le drapeau de Valmy, il est couvert du sang de ton père: crois-tu donc que tant de héros soient tombés à Valmy, à Jemmapes, à Fleurus, défendant et illustrant ce drapeau pour que leurs fils s’abandonnent à la débauche et à l’ivresse. Que deviendrait alors la France?

–Mademoiselle, ces choses-là me sont étrangères. J’étais seul, triste, pauvre, rêvant une chose impossible, et les vapeurs du vin me faisaient tout oublier. Et puis vous ne savez pas ce que c’est que d’être entraîné par les camarades.

–Je sais qu’un homme digne de ce nom ne doit jamais s’avilir, mais tu es un enfant égaré dont on ne peut rien attendre, puisqu’il ignore ce qu’est le drapeau de la France. Je vais te l’apprendre, moi, te le faire aimer, te rendre digne de ton père.

–Vous prendriez une peine inutile, je ne veux rien vous devoir.

–Mais j’ai cependant la responsabilité de ta conduite.

–Elle vous pèse trop; vous ne l’aurez plus…

–Alors, selon la promesse faite à ta pauvre mère, je vais écrire à ton oncle, le jardinier de Marseille, tu me donneras son nom et son adresse, c’est à lui de faire son devoir.

–Mon oncle, je n’ai rien de commun avec celui qui reniait sa sœur parce qu’elle était pauvre, je travaillerai pour me suffire sans avoir besoin ni de lui, ni de vous, ni de votre ami.

–Il est cependant nécessaire que quelqu’un veille sur toi, et puisque le docteur de Muraour a offert sa protection, qu’il m’est tout dévoué, tu iras vers lui…

–Je vous répète que je ne veux rien devoir à votre amant.

La jeune fille se releva, les yeux étincelants de colère.

–Cyprien, n’osez pas répéter cette insulte, ou prenez garde.

On eût dit une lionne blessée…

–Mais enfin, mademoiselle, pourquoi tenez-vous tant à m’imposer ce protecteur, qu’est-ce que je sais de lui? Ce nom de Muraour, que ma mère et vous prononciez si souvent, m’est odieux et irrite malgré moi ma curiosité? Qui est-ce jeune noble? il vous tutoie et vous ne le tutoyez pas; il s’inquiète de me voir chez vous… Est-ce pour rassurer sa jalousie que vous m’avez fait si noir?…

Franziella, d’abord attristée, puis offensée des paroles de Cyprien venait de faire un retour sur elle-même. Avait-elle bien rempli son devoir de tutrice envers cet orphelin? Non, puisqu’il ne savait pas ce qu’était le drapeau de Valmy.

Il lui reprochait sa dureté et il avait raison.

Absorbée par la pensée de Florent de Muraour, occupée du matin au soir par ses élèves, elle n’avait vu le jeune ouvrier que le jeudi et le dimanche, car il venait régulièrement prendre sa leçon… Elle la lui donnait en conscience, mais avec un secret ennui, humiliée de. ne. pouvoir vaincre sa paresse, ses mauvais instincts, et ne cherchant pas à lire dans son âme. •

Elle regrettait aussi de n’avoir pas parlé de lui à. Hughes, aussitôt la mort de sa mère.

Il lui sembla revoir la pauvre femme sur son lit d’agonie, désirant prolonger ses souffrances pour ne pas abandonner son enfant.

Et il allait la quitter pour toujours sous cette impression de haine et de colère, à l’avenir, il l’accuserait de ses fautes, car il n’aurait plus aucun frein contre ses tristes passions. Il emporterait aussi la croyance qu’elle était la maîtresse de Hughes… Cette idée lui était odieuse. Une vie aussi irréprochable que la sienne, ainsi méconnue.

Toutes ces pensées avaient traversé son esprit pendant que Cyprien s’approchait résolument de la porte, en lui jetant un regard plein de haine et réellement beau comme le Satan de Milton.

Elle eut une inspiration subite…

–Cyprien, au nom de ta mère, écoute-moi une dernière fois: je vois par la peine que t’ont faite mes paroles que tu as du cœur… Si je t’ai jugé trop sévèrement, si je n’ai pas eu l’indulgence d’une mère; c’est que pour prendre ta tutelle j’étais bien jeune; deux ans de plus que toi à peine, et l’ivresse m’inspire une répugnance invincible, mais je n’ai jamais eu l’intention d’environner mon passé de mystères; loin de là; j’aime la vie au grand jour; ma conscience est trop pure pour en avoir peur.

J’ai toujours été ce que tu m’as connue, une femme se donnant tout entière à ses devoirs, à ses leçons, à ses études, et hélas! à des projets d’avenir qui aujourd’hui ont fait naufrage.

–Pourquoi donc exigiez-vous de ma mère qu’elle me renvoyât quand vous lui parliez de vos Muraour?

–Mais je ne l’ai jamais exigé, au contraire, une fois je lui ai demandé pourquoi elle te disait de partir? Comment pouvions-nous prévoir que cela t’intéresserait?… Mais si tu désires connaître le récit que je lui ai fait, je suis prête à le recommencer sans y changer un mot.

Alors tu me connaîtras à ton tour, tu sauras qui est Hughes, car nos existences ont été longtemps unies par la destinée… Ensuite, tu seras libre d’accepter ou de refuser sa protection..

–Quoi! mademoiselle, vous feriez cela, vous me recommenceriez l’histoire de ce qu’était le paysan avant la Révolution, qu’une crise de ma mère a interrompue, et que je n’ai jamais osé vous redemander depuis? Vous ne me penseriez pas trop brute pour vous comprendre?…

–Oui, Cyprien, je te dois bien cette compensation pour la peine que je t’ai faite sans le vouloir, et puis je trouve juste que tu connaisses Hughes de Muraour avant de devenir son protégé.

Mets de côté ta rancune; aujourd’hui, je suis si désolée que tu n’as pas besoin d’ajouter à ma tristesse.

Prenons un peu de nourriture, car mon récit est assez long, et je tiens à te le faire tout entier… Ce sera peut-être la meilleure leçon.

Cyprien s’était transfiguré à l’idée de satisfaire enfin sa vive curiosité.

Ils partagèrent un frugal déjeuner, puis s’étant mis chacun d’un côté de la cheminée, Franziella commença son histoire et en ressentit bientôt un allégement.

Dans certaines angoisses, on éprouve le besoin d’ouvrir son cœur que la douleur fait déborder.

Le drapeau de Valmy

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